Contribution – Le pour et le contre d’une réélection d’Abdelaziz Bouteflika
Par Dr Arab Kennouche – L’Algérie entre en période électorale dans un contexte délicat où le principe même d’une élection pluraliste, ouverte, démocratique, est discuté au nom d’une quête absolue de stabilité dont semblerait jouir actuellement le pays. L’idée fondamentale se résume en un mot, la continuité de l’ordre bouteflikien, sachant que les quatre mandats conduits par Bouteflika, selon la thèse avancée, ont permis au pays de recouvrer une relative stabilité politique ainsi qu’une aisance économique affichée comme des conquêtes qu’ils ne faut pas gâcher.
L’argument est de taille, car il consiste à dire que cette période est encore positive, même si beaucoup de choses restent à revoir, donc autant continuer ainsi. Aux défenseurs de la continuité, s’opposent ceux du respect de la légalité constitutionnelle, ce qui comporte un élément de taille, l’impossibilité pour le président sortant de se représenter vu son état de santé. Le saut dans l’inconnu étant reproché aux défenseurs de la légalité, les légalistes présupposent également qu’un nouveau mandat fragiliserait encore plus les institutions en les discréditant, dont principalement la Loi fondamentale régulant la vie politique du pays, un autre saut vers l’inconnu.
En d’autres termes, si l’on offrait à Bouteflika un nouveau mandat, on violerait la Constitution sur le principe de son éligibilité, ce qui mettrait en défaut un nombre important d’acteurs institutionnels, principalement l’ANP et l’état-major, soucieux de légalisme constitutionnel mais également de continuité bouteflikienne. Ainsi, selon les légalistes, c’est la sécurité de l’Algérie qui est en jeu.
La continuation est-elle viable ?
Plusieurs fissures survenues lors du 4e mandat permettent de dire que le pouvoir actuel aura du mal à terminer un 5e sur le principe d’un accord entre l’état-major et le président Abdelaziz Bouteflika. Il existe de nombreux signes d’usure politique qui se sont traduits ces derniers temps par des dysfonctionnements patents à l’APN, au niveau institutionnel, mais également au niveau des grands corps de sécurité nationale, avec des nominations suivies de contre-nominations, ce qui tend à multiplier les centres de décision. Ce phénomène a également gagné la DGSN et l’ANP, avec des valses de nominations qui ont mis au grand jour le délitement des centres de décision institutionnels. Même si on peut mettre ceci sur le compte d’une période électorale cruciale, rien ne dit, en effet, que tout rentrerait dans l’ordre si Bouteflika rempilait pour un autre mandat. L’argument de l’héritage est donc démenti par ces premières fissures qui deviendraient sans doute plus récurrentes à l’avenir.
Une société tétanisée seulement en partie
C’est un fait du quatrième mandat, que l’Etat algérien sous Bouteflika est bien moins stable que la société elle-même qui n’en est pas encore le reflet. Cette dernière n’est, pour ainsi dire, pas encore ancrée dans le jeu institutionnel et politique, mais on commettrait une erreur à sous-estimer cet attentisme ou le caractère passif d’une société habituée, formatée à observer sur un long terme. C’est l’activisme politique des islamistes qui est le plus à craindre si les acteurs institutionnels donnaient à penser qu’ils sont divisés et que la loi de l’Etat n’est plus un cadre formel du jeu politique. On a vu, dans le théâtre syrien par exemple, que l’argument de la relative prospérité d’une société n’était pas un rempart inexpugnable contre un retour des islamistes, qui peuvent aussi jouer sur le facteur de l’Etat déliquescent ou sur l’incurie de la démocratie pour fonder un nouveau djihadisme.
Un scénario bis repetita : ANP arbitre malgré elle
L’actuel chef d’état-major n’a jamais manqué une occasion pour rappeler les devoirs constitutionnels de l’ANP, allant jusqu’à promulguer une loi obligeant à la réserve tout officier issu de ses rangs. Cependant, malgré toutes ces précautions, il est évident que l’ANP aura à subir malgré elle les conséquences des divisions politiques malsaines de l’ordre civil au plus haut point, et même dans un contexte de préservation de l’unité nationale.
En ce sens, Ahmed Gaïd-Salah commet une erreur d’appréciation en invoquant une position de neutralité absolue de l’institution militaire mais qui ne correspond pas à un jeu sain des joutes politiques, tel qu’il le souhaiterait, mais plutôt à une superposition d’intérêts personnels, claniques au-dessus de ceux de l’Etat. Surtout, en garantissant l’appui de l’armée à un 5e mandat, celle-ci serait de facto propulsée dans l’arène du jeu politique institutionnel, à tous les niveaux de l’Etat, avec beaucoup plus d’acuité qu’actuellement. L’ANP serait donc la grande perdante de ce 5e mandat, car elle se verrait obligée d’internaliser les luttes politiques en son sein, sur la base d’un accord politique. De telles escarmouches se sont déjà produites au cours du 4e mandat, elles ne feront que s’accentuer ultérieurement.
Légitimité contre pseudo-légalisme
Dans le débat actuel sur l’élection présidentielle, il y a deux façons de revendiquer l’ordre constitutionnel. Par la perspective de l’armée, il s’agit de séparer l’ordre civil de l’ordre militaire, mettant ainsi en valeur le jeu démocratique d’élections ouvertes. Une seconde perspective s’offre à nous, celle du respect entier de la lettre constitutionnelle quant aux conditions d’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle. Cette dernière position est tenue par un ensemble de partis politiques, mais également au sein de corps sécuritaires.
Ces derniers ont réussi à démontrer logiquement qu’on ne peut arguer de la lettre constitutionnelle comme rempart à ne pas franchir par l’armée, tout en permettant une nouvelle candidature d’Abdelaziz Bouteflika qui ne réunit pas les conditions de santé physique. Les partisans de la légalité institutionnelle, donc de la non-continuité du 4e mandat en d’autres termes, invoquent à juste titre des risques de déflagration de l’Etat, sous le jeu en roue libre d’un pacte scellé entre la Présidence et l’ANP, mais contre la continuité et la légitimité des représentants de l’Etat.
Il faut ajouter à cela le caractère profondément conjoncturel d’une alliance dyarchique entre l’ANP et la Présidence, qui risque d’exploser à tout moment. De ce côté-ci également, le facteur de l’usure est important, et c’est l’Etat institutionnel qui risque de se retrouver sans état-major, ou bien l’inverse, l’ANP sans chef d’Etat.
Retour nécessaire à un fair-play politique
D’où la nécessité d’un retour au respect rigoureux de la Loi fondamentale. C’est la voie la plus sûre pour l’Algérie. D’autant que l’Etat entre actuellement en phase de recomposition, devenue nécessaire dans un contexte d’amoindrissement des ressources, donc de capacité de redéploiement, et de ré-institutionnalisation de ses fonctions. Seule une revitalisation des institutions en exigeant une application stricte des lois de l’Etat, notamment la loi électorale, dans la perspective des élections présidentielles de 2019, pourrait sortir l’Algérie de l’ornière actuelle, où les luttes claniques ont désormais largement outrepassé les règles et les principes constitutionnels.
La primauté du fair-play politique ou d’une amorce de décrispation entre les clans doit dicter en principe les prochaines élections contre toute tentative de forçage personnel contre-productif pour tous les acteurs.
A. K.
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