Quand «M. Air cocaïne» Aymeric Chauprade encense le royaume du kif
Par Tarek B. – On le pensait définitivement voué aux gémonies depuis que son nom a été mêlé à l’affaire criminelle d’«Air cocaïne». L’ancien frontiste Aymeric Chauprade refait parler de lui depuis qu’il a repris du service rétribué en tant que lobbyiste patenté du Makhzen. Son parcours politique jonché de traîtrises et de «fidélités» contingentes ne le prédisposait pas à faire valoir outre-mesure son poste d’eurodéputé en fin de mandat – ou de carrière ! – pour défendre les thèses de ses nouveaux maîtres qui avaient, par le passé, eu recours à ses services pour chanter la ritournelle du «Sahara marocain» en tant que pétitionnaire de la quatrième commission de l’Organisation des Nations unies.
C’est plutôt avec la casquette de «géopoliticien» que l’ex-frontiste désavoué par son parti et sous le coup d’un mandat d’arrêt international, met en service sa plume fielleuse, en prévision d’un événement que ses parrains organisent à Paris sous le titre fallacieux : «Pour une résolution définitive de la question du Sahara».
Il a, dans ce cadre, commis une pseudo-analyse sur le Sahara Occidental, dont le titre pompeux «Sahara, vieilles lunes idéologiques contre réalité historique et géopolitique», n’a d’égal que le lacis filandreux de contre-vérités auxquels il se livre toute honte bue. L’ex-frontiste aurait été bien mieux inspiré de prendre exemple de son maitre à penser Charles Maurras qui disait : «Il est des vérités que tout établit, que rien ne dément». Mais la traîtrise n’a définitivement pas de scrupule à commettre une infidélité, une de plus. Décryptage.
L’idéologisation d’une question de droit à l’autodétermination
Rien dans l’«analyse» prosaïque faite par Aymeric Chauprade ne correspond à un raisonnement géopolitique digne de ce nom, encore moins lorsqu’il déballe une série de mots-valises (Grand Maroc, question existentielle, droits historiques, souveraineté légitime, etc.) ayant en commun de puiser dans le creuset idéologique expansionniste et belliciste du Maroc. Pourtant, il n’aurait pas fallu à cet analyste affidé de chercher bien loin que dans l’«école géopolitique française», notamment chez Yves Lacoste, qui affirmait dans «l’originalité géopolitique du Maghreb» que «les frontières dans cette région sont d’une ancienneté tout à fait exceptionnelle».
Mais en s’arcboutant aveuglement sur un argumentaire vermoulu, l’«expert» frontiste commet rapidement un impair lorsqu’il déterre la vieille rengaine marocaine d’«un conflit d’un autre temps qui est d’abord l’héritage de la Guerre froide» où «les considérations idéologiques l’emportaient sur le fond du dossier» et où le Maroc est présenté comme une «victime de son appartenance au camp occidental».
L’«auteur» semble oublier que la question du Sahara Occidental est inscrite depuis 1963 sur la liste des territoires non autonomes du comité de décolonisation de l’Assemblée générale des Nations unies, qui, dans une résolution (37.37) de 1979, affirmait bien, dans son article 5, que le Sahara Occidental est un «territoire occupé». Il omet aussi d’indiquer que c’est dans ce même «camp occidental» que se recrutent des hommes politiques et diplomates chevronnés qui, malgré une fine maîtrise du dossier, n’ont pu faire avancer sa résolution définitive en raison de l’intransigeance marocaine qui a fait du blocage du processus onusien un cas d’école en matière de perpétuation méthodique et planifiée du statu quo, aidée dans cette vile entreprise par un allié du même «camp occidental», qui perçoit ce royaume comme une «maîtresse» à défendre vaille que vaille.
Le nouvel élan donné au processus de négociations entre les deux parties au conflit sous l’égide des Nations unies est, d’une certaine manière, l’œuvre de pays de ce même «camp occidental» lassés des années perdues, financièrement et politiquement, à débattre de questions procédurales qui ont confiné l’ONU à un rôle de gestionnaire d’une crise oubliée.
Taire le droit au nom de la «stabilité» est un autre pataquès de l’auteur qui brandit maladroitement les risques sécuritaires dans la région pour légitimer perfidement, au nom de la realpolitik, une sorte de prescription du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination. Passons outre les arguments sournois développés – trafics de drogues et extrémisme violent – que ni le passif de l’eurodéputé dans l’affaire «Air Cocaïne» et encore moins le statut du pays qui le recrute, en tant que plus grand exportateur de terroristes étrangers et de cannabis, ne prédisposent à s’exprimer décemment sur ces sujets.
La manipulation du droit international
Si le profil «géopolitique» de l’ex-frontiste ne l’a pas prémuni d’une analyse subjective du volet des «représentations» dans ce dossier, son parcours académique en droit international ne l’a pas aidé non plus à faire une lecture sereine et objective de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 16 octobre 1975, en optant pour la perversion de ses conclusions, dans la fidélité de la démarche de ses parrains à Rabat. Le «géopoliticard» à la solde du Makhzen affirme sans vergogne que «la Cour internationale de justice a ainsi reconnu, le 16 octobre 1975, le fait qu’en 1884, c’est-à-dire au moment où l’Espagne commençait à s’intéresser à cette région, ladite région n’était pas terra nullius et que les tribus nomades qui l’habitaient avaient des liens d’allégeance avec le souverain marocain».
Cette lecture biaisée d’un texte pourtant limpide suffit, à elle seule, pour discréditer la pseudo-analyse du balourd makhzenien. Il suffit juste de consulter les points n°105, 107, 128, 129 dudit avis consultatif, pour se faire une idée très claire des conclusions de la Cour, suite à son examen des «actes internes» et des «accords internationaux» présentés par le Maroc pour revendiquer sa soi-disant souveraineté sur le Sahara Occidental. La conclusion finale mentionnée dans le point 162 est sans appel, puisque l’avis de la cour stipule clairement que «la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, le royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part. La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) quant à la décolonisation du Sahara Occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire».
Il est, par ailleurs, inutile de commenter les accords internationaux auxquels fait référence l’eurodéputé d’extrême-droite dans son papier, qui semble ne pas se rendre compte que ces textes ont été méthodiquement déconstruits par la CIJ. Le traité de Marrakech de 1767, entre les rois d’Espagne et le Sultan du Maroc, rappelle, d’ailleurs, très clairement, tout comme le traité de Meknès de 1789, que le souverain marocain reconnaissait la limite spatiale de son autorité qui ne dépasse pas Oued Noun, au nord de la frontière septentrionale du Sahara Occidental.
Louange à la «sincérité» diplomatique du Maroc
S’il ne fallait pas plus pour réduire en miettes le «torchon» de l’eurodéputé français, sans doute le fait de louer la sincérité de l’engagement marocain dans le processus onusien aura été le fil blanc en trop qui dévoile l’étendue du tissu de mensonges, tant il est vrai que le Maroc est un débiteur de mauvaise foi, en refusant de s’inscrire dans la logique du droit international et en recourant de façon récurrente à l’escalade et à l’intimidation comme un moyen de chantage et de blocage. Les agissements du Maroc ont toujours été en déphasage avec l’ouverture de la partie sahraouie dont les concessions peuvent remonter à la période d’acceptation du plan Baker II, alors qu’il prévoyait la participation au référendum d’autodétermination des populations marocaines installées au Sahara Occidental au 31 décembre 1999 (dont le nombre était plus d’une fois et demi supérieur à celui de la population autochtone sahraouie), ou encore à son accord de considérer le plan d’autonomie, présenté par le Maroc en 2007 comme une option à soumettre aux électeurs sahraouis, dans le cadre d’un référendum d’autodétermination à choix multiples.
Un Maroc bienfaiteur dans un désert de sable
L’ex-frontiste va encore plus loin dans la bêtise en tentant d’introduire au travers d’une interrogation trompeuse, l’idée que le Maroc défend ce «néant de sable» rien que pour poursuivre un «but existentiel» d’accomplissement et, qu’a contrario, l’Algérie voit dans cet «immensité désertique» la possibilité de «disposer d’un petit Etat satellite permettant de s’ouvrir un chemin vers l’Atlantique».
Inutile de dire que l’eurodéputé en fin de mandat aurait mieux fait de consulter, préalablement à la formulation de cette énième baliverne, l’invité d’honneur de l’événement propagandiste pour le compte duquel il écrit, en la personne de l’ambassadeur du Maroc à Paris, Chakib Benmoussa. Du temps où il présidait le Conseil économique et social marocain, ce dernier avait eu le courage d’élaborer un rapport sans concessions sur la réalité des politiques économiques du Maroc dans les territoires occupés, basées sur une logique de pillage des ressources, halieutiques, minières, énergétiques, agricoles, etc., qui fait peu de cas du principe onusien de la «primauté des intérêts des habitants du territoire».
Rédigé dans un contexte où le Maroc miroitait la promesse d’un «nouveau modèle de développement» pour les territoires occupés, sorte de recyclage d’une «régionalisation avancée» tombés aux oubliettes, destiné prioritairement à la consommation diplomatique internationale, ce rapport indiquait, entre autres informations compromettantes, que le taux de chômage dans les territoires occupées (20%) est le double de la «moyenne marocaine», que l’enveloppe budgétaire réservée à l’investissement est en constante régression comparativement à la tendance générale «dans les autres régions du Maroc» ou, encore, que les eaux adjacentes du Sahara Occidental contribuent à hauteur de 80% des «captures marocaines», lesquelles constituent 58% des exportations alimentaires et environ 7% des exportations globales.
A cette prégnance douloureuse de la logique d’exploitation, s’ajoutent aussi l’iniquité sociale due aux problèmes d’accès aux services essentiels et le musellement des droits fondamentaux qui viennent, encore une fois, faire l’objet d’un récent rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW), dénonçant notamment l’interdiction par le Maroc des rassemblements en faveur de l’autodétermination ainsi que l’obstruction imposée au travail des ONG dans les territoires occupés du Sahara Occidental.
Autant de vérités auxquelles les boursouflures «analytiques» de l’ex-frontiste ne résistent pas. Pas plus que ne résistera le statu quo dans lequel se trouve la dernière colonie en Afrique.
T. B.
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