Les Algériens chez les Ch’tis ou la récompense d’un Poilu algérien de la guerre 14-18
Par Abdelkader Taleb – Mon grand-père Mohamed Taleb a fait la guerre des tranchées lors de la Première Guerre mondiale de 1914 à 1918, qui se déroulait en partie dans le Nord-Pas-de-Calais comme beaucoup de soldats conscrits des colonies françaises, qui ont permis à la France de remporter la victoire sur les Allemands.
La guerre terminée, tout était dévasté et à reconstruire dans la région dès la fin des combats, soit le long du canal de la Deûle qui était la ligne de front. Aussi les militaires algériens ont-ils été sollicités pour travailler à reconstruire les villes et l’économie du lieu. C’est ainsi que le nord de la France a accueilli les premiers Algériens qui y ont trouvé une terre d’exil en acceptant de rester pour relever cette terre dévastée.
Mon grand-père était parmi ces pionniers et y a travaillé. J’ai eu en main des documents de paie de la Malterie Vilain de Dourges 62 (située sur le canal de la Deûle) près de 20 ans ou plus, soit de 1918 à 1938.
Il y a eu cet intervalle de la guerre 39-45 mais les premiers Algériens avaient tracé un chemin vers le Nord-Pas-de-Calais. Avec le développement économique d’après-guerre et le besoin de main-d’œuvre grandissant, outre la famine en Algérie en 1945, due à la restriction et au pillage de la nourriture de l’Etat français, beaucoup se sont expatriés.
Mais le gros de l’émigration s’est fait à l’indépendance de l’Algérie en 1962. C’était compréhensible, en ce sens que l’économie algérienne s’est effondrée avec le départ de tous les pieds-noirs.
Lors de mon arrivée en France en 1950, mon grand-père y était. Depuis le début de son arrivée en 1918, il vivait comme seufri (ouvrier célibataire) qui, à chaque été, retournait dans son douar d’Ouled Taleb à Djebala-Nedroma.
De France, il faisait parvenir via un commerçant de Nedroma des montants d’argent pour que sa famille puisse vivre et quand, à son retour, il pouvait s’acheter un âne ou un lopin de terre pour agrandir son domaine agricole car c’étaient des fellahs avant tout attachés à leur patrimoine et à leur culture. Leur terre et les animaux en Algérie, c’étaient leur femme et leurs enfants qui s’en occupaient sans la présence paternelle.
Ma grand-mère Abid Fatima était une femme remarquable de courage, de douceur et de prestance. Elle était fière et quand j’allais avec elle au marché de Maghnia, au mois de juillet 1962, elle ne portait pas de voile et marchait la tête haute. C’était une vraie Berbère qui n’avait pas peur d’affronter la tempête : elle avait perdu son époux, sa terre, sa maison au douar et ses fils et filles tous partis en France. Mais elle restait imperturbable comme une patriote algérienne, invincible.
Mon grand-père est retourné en Algérie en 1954 pour s’occuper de ses terres et de ses animaux. Quand la Révolution a débuté, il est resté en Algérie.
Lors de la bataille de Fillaoucène ou les patriotes algériens ont résisté brillamment à toute l’armée française disposant de l’aviation, de l’artillerie, du napalm, etc., ils ont rasé le douar où je suis né, à la frontière avec le Maroc. Ils ont interné mon grand-père et mes oncles et les ont torturés au fort de Bab Taza, au pied de la montagne au-dessus de Nedroma.
Mon grand-père a été battu sauvagement ainsi que mes oncles, subissant le supplice de la baignoire (ingurgitation forcée d’eau et saut sur la panse gonflée d’eau) et à la gégène (électricité). Comme il avait déjà presque 60 ans, il n’a pas résisté à ces tortures. Ils l’ont jeté dans une fosse commune à El-Houanet-Djebala pour faire disparaître son corps. Mes oncles, plus jeunes, s’en sont sortis et sont venus en France grâce aux contrats de travail à la mine de charbon que mon père leur avait fait parvenir en 1958.
Pour finir, voilà le remerciement de la France à un Poilu de la guerre 14-18 et aussi voilà comment les Algériens, nombreux dans le Nord-Pas-de-Calais, ont trouvé le chemin du Nord-Pas-de-Calais, chez les Ch’tis…
A. T.
Ndlr : Poilu est le surnom donné aux soldats français de la Première Guerre mondiale qui étaient dans les tranchées.
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