Les camps de concentration ou l’histoire mémorielle à géométrie variable
Par Mesloub Khider – L’historiographie occidentale contemporaine concentre, sans jeu de mots, toute son attention sur les camps de concentration nazis. Cette focalisation sur ces uniques camps de concentration n’est pas gratuite. Elle se paye chère en termes de pauvreté historique. Elle permet surtout l’enrichissement de certaines catégories de personnes par l’exploitation mémorielle lucrative de ce travestissement de l’histoire concentrationnaire.
Cette propagande tortionnaire sur les camps concentrationnaires a fini par enfermer la mémoire historique universelle dans une vision mémorielle partisane, partiale, partielle, réductrice, destructrice. Destructrice, car elle a anéanti de la connaissance, pour des raisons mercantiles inavouées et inavouables, tout un champ de l’histoire humaine délibérément occulté. Ainsi, tout un pan de l’histoire des camps de concentration est escampé. Seuls sont campés sur les champs historiques désertés par l’objectivité les camps nazis.
Aujourd’hui, sur ce chapitre de l’histoire des camps, les historiens campent sur des positions minées d’explosives contrevérités, barbelées de lois restrictives et liberticides. La recherche sur les camps de concentration a été préemptée, domptée. Cette domestication de l’histoire laisse le champ libre au camp de la falsification de l’histoire. Elle leur permet lucrativement d’enfermer l’histoire dans un champ fertile en manipulation, fécond en matière d’enrichissement pécuniaire. Fructueux de soumissions réflexives. Ainsi enfermée dans un champ favorable à l’ignorance, l’histoire des camps est prometteuse de rentabilité pour certaines notabilités jamais en peine d’inventivités dénuées historiquement de crédibilité.
Aujourd’hui, cette doxa concentrationnaire ne souffre aucune discussion, ne tolère aucun questionnement, n’accepte aucune autre thèse, n’autorise aucune autre recherche historique. Sa vérité lucrative s’impose comme une loi divine. Au reste, cette vérité rémunératrice a fini par se graver dans le marbre mémoriel populaire. Chaque citoyen doit l’apprendre à l’école comme une prière religieuse. La réciter, telle une litanie républicaine laïque, tout au cours de sa vie. Cette vérité politiquement rentable dispose même de ses temples où viennent se recueillir les adeptes de cette nouvelle religion mémorielle.
Malheureusement, combien de ces adeptes enfermés dans leur dogme mercantile connaissent-ils réellement l’histoire des camps ? Ces zélateurs de l’unique camp de la mort ignorent-ils que leur authentique mémoire dort, mise en sommeil par les adorateurs du veau d’or ?
Contrairement à l’opinion communément répandue par la propagande, l’histoire des camps de concentration ne prend pas naissance en Allemagne nazie. La première apparition de la dénomination «camp de concentration» est due aux Britanniques en Afrique du Sud durant leur guerre contre les Boers (Guerre du Transvaal, 1899-1902). Dans ces pionniers camps de la première puissance économique civilisée de l’époque, l’Angleterre, les Britanniques enfermaient les femmes, les vieillards et les enfants des Boers et des membres de tribus indigènes alliées.
En ce qui concerne les Hottentots et les Boers, il s’est agi de véritables camps d’extermination. Et pour les Hottentots, d’un premier génocide de l’ère moderne. Pourtant, ces faits historiques sont méconnus, délibérément ignorés par l’historiographie mémorielle vénale, banale, bancale.
A la vérité, Hitler n’a rien inventé : il s’est contenté de recycler de vieilles inventions des pays démocratiques occidentaux.
Plus tard, les seconds camps de concentration ont été construits en 1904 en Namibie pour éliminer le peuple herero opposé à la colonisation et aux armées du chancelier Von Bülow. La catastrophe humanitaire a été effroyable : plus de 70 000 Hereros morts dans les camps de concentration – pour causes de malnutrition, mauvais traitements, de maladie, d’exécutions sommaires. Ces populations internées ont également été l’objet d’expérimentations anthropologiques, scientifiques ; transformées en cobayes pour des expériences médicales.
Au pays la de la civilisation capitaliste raffinée, le Royaume-Uni, l’expérience a été importée sur leur sol. En effet, en pleine Première Guerre mondiale, 32 000 étrangers, dont de nombreux Irlandais, ont été internés dans des camps de concentration, notamment dans le champ de course de Newbury transformé en camp.
De même, sur le sol du pays des droits de l’homme, à la même époque, durant la Première Guerre mondiale, la France a utilisé des camps de concentration pour y enfermer les ressortissants allemands, austro-hongrois et ottomans présents sur son territoire. A cet effet, de nombreuses îles françaises de la Manche, de l’Atlantique et de la Méditerranée ont été utilisées pour implanter des camps de concentration. La France réitère l’expérience à l’issue de la guerre d’Espagne par l’ouverture de nouveaux camps pour interner les réfugiés républicains fuyant le régime franquiste.
Plus près de nous, durant la Guerre de libération nationale de l’Algérie, la France renoue avec ses vieux démons en internant des milliers d’Algériens dans des camps de concentration – ne pas oublier que la France a exterminé 1,5 millions d’Algériens durant juste cette courte période de Guerre de libération, sans compter le nombre de morts au cours de 132 ans de colonisation.
Dans la première démocratie mondiale, les Etats-Unis, durant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de civils japonais, ou parce que asiatiques, ou simplement américains d’origine asiatique, ont été enfermés dans des camps de concentration. Le Canada a recouru aux mêmes méthodes d’internement concentrationnaire
Quant à la politique d’extermination massive de populations, l’Allemagne n’innove pas en la matière. L’histoire est jalonnée de massacres collectifs. Qu’il nous suffise d’évoquer le génocide des Amérindiens, des esclaves africains, des Arméniens, des Aborigènes d’Australie, du génocide des Algériens perpétré durant la colonisation française, du bilan sanglant du colonialisme belge au Congo, du génocide des Malgaches massacrés par l’armée française en 1947, des massacres indonésiens au Timor-Oriental, des massacres du peuple palestinien, le génocide perpétré lors de la guerre du démembrement de la Yougoslavie, le génocide du Rwanda, etc.
Sans oublier bien évidemment le génocide des génocides, l’holocauste des holocaustes perpétré par le capitalisme à notre époque moderne civilisée : à savoir le massacre annuel de millions de personnes victimes des famines provoquées par ce mode de production capitaliste mortifère.
Où est la différence entre le génocide des juifs et le génocide de ces millions de morts annuels, victimes des famines, de malnutrition, de maladies bénignes aisément soignables en Occident – toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim, autant d’adultes, au total 25 000 êtres humains meurent de faim chaque jour, au bas mot 10 millions par an, 100 millions en l’espace de 10 ans, etc. ?
La différence est de degré et non de nature. Dans les deux cas, c’est le capitalisme qui est responsable de leur mort. Excepté que les victimes des famines meurent à petit feu, dans l’indifférence générale, en pleine époque d’abondance alimentaire, de société de consommation et en période de «paix».
Et pour quel motif ne s’alarme-t-on pas, ne se mobilise-t-on pas contre ce génocide humain contemporain pour y mettre fin ? Qu’attend-on pour traduire devant le tribunal de l’humanité les responsables de ce génocide ?
M. K.
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