Départ de Tartag et tutelle de la CSS : les interrogations d’un ex-cadre du MDN
Nous publions la contribution d’un officier supérieur à la retraite, ancien cadre au ministère de la Défense nationale, qui soulève le problème sensible de la tutelle des services des renseignements.
Par Ahmed Zerrouk – Une dépêche de l’APS datée du vendredi 5 avril 219, publiée à 19h20, a indiqué avoir confirmé que «le conseiller auprès du président de la République chargé de la coordination des services de sécurité a été démis de ses fonctions» et que «la structure, dirigée depuis 2015 par M. Tartag, est dorénavant sous la tutelle du MDN».
Le contenu de cette dépêche appelle de nombreuses observations.
C’est la première fois, à ma connaissance, que la forme passive est employée. Cette forme présente le sujet comme agent subissant l’action. Le conseiller en question a été démis de ses fonctions – le verbe transitif «démettre» veut dire, selon le Larousse, obliger quelqu’un à quitter sa fonction, son emploi, le destituer. Par quelle autorité compétente ? La dépêche est muette.
Cette dépêche de l’APS a occulté une mention importante, en ne précisant qu’il s’agit des services de sécurité «rattachés à la présidence de la République».
La structure en charge de la coordination de ces services de sécurité ainsi que les trois directions générales qui étaient rattachées depuis 2016 à la présidence de la République, sont dorénavant, selon cette dépêche, sous la tutelle du MDN. Quelle autorité compétente a décidé de ce changement de tutelle ? Pas une seule indication sur ce «donneur d’ordres» n’est apportée par la dépêche de l’APS.
La dépêche de l’APS fait référence à une «source proche du MDN», ce qui renvoie à une source qui ne relève pas des structures de l’institution militaire. La question légitime qui se pose est la suivante : comment une telle source peut-elle confirmer une question aussi importante que celle de la mise sous la tutelle du MDN des services de sécurité rattachés à la présidence de la République ?
Le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP a toujours assumé ses responsabilités et ses actes, par le biais des différents communiqués du MDN, en recourant à la forme active. Il ne s’est jamais «caché» ou «dérobé» derrière une source proche du MDN, comme il a été souligné dans la dépêche de l’APS, pour informer l’opinion publique.
Le directeur de cabinet de la présidence de la République avait, en janvier 2016, déclaré que les trois directions générales ( sécurité intérieure, documentation et sécurité extérieure, renseignement technique) sont directement rattachées à la présidence de la République, dont la coordination est assurée par le conseiller auprès du président de la République chargé de la coordination des services de sécurité rattachés à la présidence de la République. Certes, et d’après les recherches faites dans le Journal Officiel, on ne trouve nulle trace d’un décret présidentiel portant rattachement à la présidence de la République desdits services de sécurité, ni du décret présidentiel de nomination du conseiller chargé de la coordination de ces services, les deux décrets étant non publiables au Journal Officiel.
Cependant, le décret présidentiel 17-145 du 19 avril 2017 portant création, missions, organisation et fonctionnement de l’institut des hautes études de sécurité nationale (JO 26 du 23 avril 2017), énonce dans son article 3 ce qui suit : «L’institut est rattaché à la présidence de la République. A ce titre, le conseiller auprès du président de la République, chargé de la coordination des services de sécurité rattachés à la présidence de la République, désigné ci-après le coordonnateur, est chargé d’orienter l’institut et de veiller à son bon fonctionnement».
Ce qui confirme le rattachement de ces services à la présidence de la République et le rang de conseiller du président de la République du coordonnateur desdits services. Donc, le rattachement de ces services à la présidence de la République et la fonction du coordinateur ne peuvent être décidés que par le président de la République, c’est-à-dire par un décret présidentiel.
La règle du parallélisme des formes impose que la cessation des fonctions du conseiller en charge de la coordination de ces services et la mise de ces derniers sous la tutelle du MDN soient traduites par un décret présidentiel. Or, le président de la République, dans sa lettre de démission adressée au président du Conseil constitutionnel, a précisé ce qui suit, dans le premier paragraphe de ladite lettre : «J’ai l’honneur de vous notifier formellement ma décision de mettre fin au mandat que j’accomplis en qualité de président de la République, à partir de ce jour, mardi 26 radjab 1440, correspondant au 2 avril 2019».
De ce qui précède, la question qui se pose est de savoir quelle entité a usurpé une prérogative du président de la République pour mettre fin aux fonctions du conseiller chargé de la coordination des services de sécurité rattachés à la présidence de la République, étant entendu que le recours à la démission aurait été le mieux indiqué et sans préjudice au plan réglementaire et juridique, d’une part, et ,d’autre part, pour mettre lesdits services sous la tutelle du MDN, d’autant plus que le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP a été catégorique, lors de la réunion tenue l’après-midi du 2 avril 2019 au siège de l’état-major de l’ANP, en soulignant que «nous confirmons que toute décision prise en dehors du cadre constitutionnel est considérée comme nulle et non avenue».
En conséquence, je crois fermement, comme le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP, que des «entités non constitutionnelles et non habilitées» sont derrière le contenu de la dépêche, à l’instar du communiqué attribué au président de la République publié le 1er avril 2019, et veulent ternir l’image de marque, la crédibilité et la stricte conformité à la loi de l’institution militaire et de son chef.
En outre, l’Etat de droit auquel aspire le peuple algérien, où la primauté du civil sur le militaire et non le contraire doit être une règle aussi réelle qu’effective implique, voire impose que les services de sécurité et de renseignement (espionnage, contre-espionnage, recherche et recueil de renseignements intéressant les différents départements ministériels, y compris le MDN, et les institutions publiques ainsi que les entreprises publiques et privées) soient rattachés directement à la présidence de la République ou au Premier ministre.
S’agissant de l’institution militaire, elle dispose de ses propres structures compétentes en matière de sécurité de l’armée et du renseignement militaire. Les attributions constitutionnelles de l’ANP se limitent à la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationales. Elle est chargée d’assurer la défense de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime. En somme, elle est chargée, comme il est prévu dans le préambule de la Constitution, qui en fait partie intégrante, de la préservation du pays contre toute menace extérieure et de la lutte contre le terrorisme.
Aussi, il est temps de remédier à cette situation et de laisser lesdits services rattachés à la présidence de la République, jusqu’à l’élection du nouveau président de la République qui avisera, en toute légitimité et en conformité avec ses prérogatives constitutionnelles. Quant au coordonnateur, il devrait être considéré comme démissionnaire et, en conséquence, ne peut exercer la coordination de ces services.
Par ailleurs, je crois très fermement, sans pouvoir être détrompé, que ces mêmes «entités non constitutionnelles et non habilitées» étaient les instigatrices de la décision prise en septembre 2015, injustement et en violation de la loi, par le vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP.
Cette haute autorité militaire a été, ainsi, induite en erreur et poussée à commettre une faute lourde, en décidant de décapiter la Direction de la justice militaire, par la mise à la retraite d’office du directeur de la justice militaire, de l’inspecteur de la DJM et du procureur militaire de la République près le tribunal militaire de Blida.
Il appartient au vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP, d’identifier les personnes faisant partie de ces «entités non constitutionnelles et non habilitées» qui l’ont amené ou contraint à prendre cette décision, de les extirper de son entourage immédiat, militaire et/ou civil – à moins qu’il ne l’ait déjà fait – et, enfin, de rendre justice à l’officier-général et aux deux officiers supérieurs dont la carrière a été brisée d’une manière brutale, brusque et injuste.
A. Z.
Colonel à la retraite, ancien cadre au MDN
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