Contribution de Youcef Benzatat – Khawa khawa : un dos à dos en larmes
Par Youcef Benzatat – L’image est exhaustivement illustrative. Un manifestant et un policier en larmes se jettent spontanément dans les bras l’un de l’autre dans une accolade soutenue, pendant que l’émotion de la foule des manifestants et des policiers aux alentours atteint son paroxysme. Tous ces Algériens, policiers et manifestants, semblent se dire après tout le peuple c’est nous, à la différence que les uns sont soumis à la répression et les autres à sa mise en pratique. Une ambivalence s’instaure dès lors dans la relation et dans les deux sens. Pour les uns, le policier est confondu entre système et peuple. Pour les autres, le manifestant, c’est l’antisystème mais aussi le peuple auquel il appartient.
Cette ambivalence révèle toute l’ambiguïté qui entoure l’expression khawa khawa. D’une part, le policier, le gendarme ou le soldat de l’ANP ne sont pas perçus comme étant ceux qui ont décidé de fermer la porte aux exigences des manifestants, qui se résument dans la proclamation que la souveraineté appartient au peuple et qu’il est l’unique source légitime de toute décision politique. Ils ne sont pas non plus perçus comme étant ceux qui ont maintenu le personnel politique décrié par le peuple à son poste pour conduire la transition et qui ont décidé de la tenue de l’élection présidentielle le 4 juillet contre la volonté du peuple. Mais en même temps, ils sont qualifiés de force répressive du système et donc sa colonne vertébrale.
L’expression khawa khawa n’est donc pas déclamée dans son sens littéral mais plutôt dans un désir d’inversion des rapports entre manifestants et forces armées, à savoir celui dans lequel ces derniers seraient plutôt la colonne vertébrale du peuple et sa force de sécurité et, par extension, la force de sécurité de l’Etat souverain, de la République et de la nation désirés.
Khawa khawa serait donc l’expression centrale des exigences de la révolution du peuple en cours, celle de mettre les forces armées au service du peuple et non le contraire, celui où le peuple serait soumis au diktat des services armés. Edifier une République où la décision politique appartient au peuple et dans laquelle l’Etat est souverain.
L’ambiguïté de cette expression, khawa khawa, révèle donc une dimension sémantique refoulée, celle de nommer les forces armées comme le seul obstacle à la souveraineté de la décision politique du peuple.
Dans ce cas, l’image pathétique de l’accolade du manifestant et du policier peut être interprétée comme l’expression d’un désir partagé de passage à l’acte à l’insubordination à la hiérarchie de la chaîne de commandement des forces armées pour un ralliement avec le peuple et sa révolution et le refus de sa répression. Certainement après avoir constaté que cette chaîne de commandement est contrerévolutionnaire, en ce sens qu’elle n’entend pas restituer la souveraineté de décision politique au peuple, en s’arrogeant le droit unilatéralement au monopole de cette décision politique.
C’est donc dos à dos en larmes que les manifestants et les forces armées se retrouvent et se quittent tous les vendredis dans l’espoir d’une issue heureuse pour la révolution du peuple pour une Algérie meilleure.
Y. B.
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