Une vidéo virale d’El-Magharibia du FIS menace la révolution et l’Algérie
Par Youcef Benzatat – Une vidéo réalisée et diffusée lors de l’acte 10 de la révolution en cours en Algérie, le vendredi 26 avril 2019, par le journaliste Makhlouf Mellal, exerçant à la chaîne de télévision satellitaire El-Magharibia, émettant à partir de Paris et appartenant au fils d’Abassi Madani, fondateur du FIS, parti islamiste dissous, qui est devenue virale sur les réseaux sociaux et largement diffusée par les médias algériens, est en train de compromettre la trajectoire de la révolution et de mettre en danger l’Algérie.
L’intervenante, toujours non identifiée à ce jour, très hostile contre l’Armée nationale populaire (ANP) dans ses propos, qu’elle accuse d’avoir causé 250 000 morts et disparus pendant la décennie noire, sans aucun commentaire sur la barbarie perpétrée contre le peuple algérien, ses intellectuels, ses femmes, ses enfants, ses laïcs, ses modernistes, ses progressistes, par les hordes terroristes du FIS dissous, qui n’ont pu être neutralisés que grâce à l’ANP et l’Algérie et son peuple sauvés d’une tragédie qui les aurait perdus à jamais.
Aucun mot sur les leaders du FIS qui considéraient la démocratie impie et les démocrates apostats. Qui ne reconnaissaient comme source constitutionnelle que le Coran, en voulant imposer la charia par la violence et exterminer tous ceux qui n’adhéraient pas à leur idéologie totalitaire et criminelle, en placardant ouvertement dans les mosquées des listes de personnes à exécuter.
Aucune condamnation des meneurs terroristes qui revendiquaient les assassinats d’intellectuels et les carnages commis par leurs bombes dans les lieux très fréquentés par les populations civiles, les égorgements d’innocents, parmi eux des enfants. Ni Ali Belhadj, ni Mourad Dhina, ni Madani Mezrag, ni tous les théoriciens et exécutants qui défrayaient la chroniques pendant la décennie noire en déambulant librement dans l’espace public, y compris parmi les manifestants du hirak, n’ont eu le mérite d’être accusés par cette énigmatique inconnue sortie de nulle part, dont le caméraman de la chaîne El-Magharibia n’a curieusement rien raté de son intervention, avec un timing millimétré.
Ses propos ne laissent aucun doute sur l’objectif de son intervention coordonnée avec El-Magharibia, dont elle épouse les contours critiques sur la décennie noire. Appel à la désobéissance civile arbitraire et irréfléchie et à l’ingérence de la Cour pénale internationale dans les affaires intérieures algériennes, pour condamner le chef d’état-major de l’ANP de l’époque, Khaled Nezzar, accusé d’être le chef de file des responsables de tous les crimes commis pendant la décennie noire. Mettant ainsi en danger le dernier rempart de la souveraineté nationale en sollicitant des forces étrangères à la confrontation avec l’institution militaire.
Cette personne n’est pas à son premier discours pendant les manifestations du vendredi. Son objectif déclaré et récurent à chacune de ses interventions est d’inciter les manifestants à la désobéissance civile et à l’affrontement avec l’ANP en tant qu’institution pour provoquer un conflit à l’intérieur de l’armée pouvant déboucher sur une guerre civile.
Cette offensive, que l’on peut qualifier de contre-révolutionnaire, ne s’embarrasse pas de vouloir détourner la révolution de ses objectifs. Ceux qui consistent au préalable à changer le système de pouvoir qui sévit contre le peuple depuis l’indépendance, instaurer un Etat de droit, consacrer une justice indépendante pour, ensuite, ouvrir tous les dossiers des crimes commis contre l’Algérie et son peuple depuis l’indépendance. Car ressortir la problématique du «qui tue qui» au moment où la révolution n’a atteint aucun de ses objectifs, c’est la condamner à l’échec, parce que cette problématique est génératrice de division et d’atomisation de l’unité du peuple et du risque d’une guerre civile. Le «système» est en train d’user de la même stratégie de la justice sélective pour condamner des lampistes pour corruption, pour pousser la population à s’engouffrer dans un esprit de vengeance et dévier ainsi la trajectoire révolutionnaire, par la légitimation du système judiciaire contesté.
Ce n’est qu’après avoir réussi à renverser le système de pouvoir en vigueur et avoir permis à la justice d’accéder à son autonomie, que tous les crimes commis contre l’Algérie et son peuple pourront être convoqués et jugés.
Par ailleurs, la révolution n’est pas une revanche contre des personnes ou contre l’histoire. Alors que depuis deux mois de manifestations populaires massives, on constate deux pulsions dominantes qui animent incontestablement l’état d’esprit de la population, celle de croire que nous sommes en train d’accomplir une révolution et celle qui se traduit simplement par un désir de revanche sur l’histoire et sur les hommes. Une nuance de taille, car la révolution ne procède pas par revanche, ni sur l’histoire, ni contre des personnes. Cette posture est une dérive révolutionnaire qui aura pour effet de pervertir les objectifs qu’elle se serait fixé, en les détournant vers ce qui n’est pas la révolution. Si la révolution a pour objectif de changer des habitudes et des principes jugés révolus et des pratiques jugées arbitraires et irresponsables, elle doit se donner des moyens pragmatiques à la hauteur de ces objectifs.
C’est sur cette ligne de faille que la contre-révolution est en train de concentrer son investissement pour espérer briser l’élan révolutionnaire ainsi défini.
La stratégie contre-révolutionnaire, qui consiste à donner en pâture aux insurgés des personnes de seconde zone par le système d’habitudes et de principes contestés, est en train de réussir une grande part de satisfaction de la volonté de revanche sur les hommes et, par conséquence, de l’affaiblissement et de la fragmentation de l’élan révolutionnaire.
La révolution exige la libération de la justice pour pouvoir juger par elle-même tous les acteurs de ce système de valeurs rendus coupables d’abus de tous genres. L’impératif révolutionnaire de l’exigence d’une justice indépendante ne doit pas perdre de son importance dans l’imaginaire pour se remettre passivement à la volonté du tuteur qui n’est autre que le même système en vigueur agissant contre lui-même à moindre frais.
En parallèle de la dérive vengeresse contre des personnes, il y a l’autre dérive, dont l’objet d’investissement de la pulsion vengeresse serait plutôt l’histoire. C’est le cas du désir de vengeance contre l’histoire conséquent à la négation de la part amazighe de l’identité culturelle et ethnique de la population algérienne qui a subi dans l’histoire contemporaine de l’Algérie une injustice caractérisée par sa négation en tant que composante essentielle et fondamentale de la personnalité de base algérienne. Si dans le champ de l’expression révolutionnaire le risque de l’islam politique ne s’est pas encore manifesté ouvertement à ce jour, ce qui ne veut pas dire qu’il a définitivement disparu, la tentation de la revendication identitaire, culturelle et ethnique, par contre, commence à investir de plus en plus massivement et ostentatoirement l’espace public et médiatique, suffisamment pour constituer une véritable menace d’atomisation de l’unité du peuple qui fut justement à l’origine de l’énergie d’activation et de production du processus révolutionnaire.
C’est parce que le système de valeurs qui fut à l’origine de cette négation s’exprimait à partir de l’arabité, les identitaires amazighes se sont mis à le confondre avec tout le reste de la population qui ne faisait pas partie de leur système d’identification. Tous ceux qui n’étaient pas amazighs étaient considérés comme arabes et donc étrangers à l’identité algérienne authentique. Niant délibérément le fait du métissage de la population algérienne depuis plus de deux millénaires, qui fait d’elle une population unique par son originalité. La tentation de l’épuration ethnique par les identitaires qui s’en est suivie avait nourri leur combat politique contre ce système par la volonté de séparation ethnique et de ghettoïsation régionale.
C’est cette revanche contre l’histoire qui s’exprime aujourd’hui aussi bien dans l’espace public pendant les manifestations, en brandissant de plus en plus massivement un emblème différent de l’emblème national, et dans le champ médiatique par la production de discours ethnicistes, avec toute la connotation que ce concept signifie en termes de négation du métissage.
Souhaitons pour la révolution qu’elle ne s’embarrasse pas de ces considérations, car ce genre de revendications fait partie intégrante de l’ordre révolu. Le propre de la révolution en cours, tel qu’il est exprimé par les manifestants à travers chants et slogans, se dirige droit vers l’émergence d’une citoyenneté transcendant tous les clivages identitaires et religieux, même si, pour le moment, elle prend l’eau de toute part, par toute sorte de contre-révolutions. Sa trajectoire vers la modernité, la démocratie, l’Etat de droit, la liberté de conscience, l’unité du peuple, de la nation et du territoire national est inaliénable. Et ni les tentatives de sa perversion en vengeance contre des personnes ou contre l’histoire ne seront en mesure de la dévier de son objectif. Ils ne pourront au mieux que la ralentir. Car le peuple a pu réaliser l’expérience de la sensation que procure l’unité – une sensation de force, de dignité et de liberté – et saura à tout moment la reproduire et pouvoir conduire son destin vers le chemin qui lui paraît le mieux approprié. Cette expérience est unique pour un peuple ; elle devient un référent autour duquel la nation prend tout son sens.
Y. B.
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