Ne vous suicidez pas pour sauver le capital !
Par Mesloub Khider – Au-delà du slogan «suicidez-vous !», proféré de manière provocatrice par une frange groupusculaire des Gilets jaunes, cette sinistre phrase exprime indirectement le mot d’ordre de l’Etat bourgeois français distillé de manière subliminale aux agents policiers : «Tuez-vous à la tâche pour préserver les privilèges de classe.»
Cet oukase est l’équivalent, en période de guerre impérialiste, du mot d’ordre adressé à la population : «Sacrifiez-vous pour la défense de la patrie capitaliste.». Aussi, s’il faut affirmer une évidence, elle est contenue dans cette sentence étatique : «Flics, mourez pour la sécurité des riches.» Aujourd’hui, avec l’aggravation de la crise économique et la prolifération des révoltes populaires, condamnées à se pérenniser, la tranquillité de la vie de la bourgeoisie n’est assurée qu’au prix de la mort des policiers, et au prix de l’agonie physique et psychique des ouvriers surexploités sur leurs lieux de travail.
C’est la cruelle réalité. La police ne remplit plus sa mission de lutte contre la délinquance et le crime (inhérents par ailleurs à la société de classe), elle est désormais réduite à assurer l’unique mission de sauvegarde des intérêts de la bourgeoisie en butte à la fronde sociale. Ironie de l’histoire : la police, cette force censée «sécuriser» la population, n’aura jamais autant vécu dans un état d’insécurité physique et psychologique ; et parallèlement jamais elle n’aura fait planer autant la terreur de l’Etat sur tous les «citoyens».
Aujourd’hui, la police travaille dans et par la terreur. La vie du policier est émaillée d’agressions verbales et physiques, parfois létales. Il ne se sent nulle part en sécurité, lui dont la fonction est d’imposer la sécurité… des possédants. Le policier n’est aucunement respecté, même pas par la classe privilégiée qu’il protège. Ni par son employeur (cet Etat terroriste social appliqué aujourd’hui à exploser la vie des travailleurs par ses mesures meurtrières antisociales) qui, de plus en plus, ne le recrute que pour assurer les basses besognes répressives contre la majorité de la population précarisée et paupérisée, acculée à la délinquance ou contrainte de se révolter. Ni par cette majoritaire population victime de violences forcenées policières. Au reste, les villes populaires gangrenées par la misère et l’insécurité, du fait des restrictions massives budgétaires, sont livrées aux multiples mafias, transformant la vie des résidents en cauchemar. Tandis que les quartiers bourgeois, devenus des ghettos bunkérisés, sont surprotégés non seulement par une police publique pléthorique mais également par des agences de sécurité privées.
De manière générale, la plupart des fonctionnaires de police subit ainsi une double pression, une double punition, matérialisée par l’augmentation exponentielle de la consommation de psychotropes. Le policier contemporain est autant perclus de maladies pathologiques que la population victime de sa violence hystérique, incontrôlée, commandée par la conjoncture actuelle de crise économique systémique, régulée chaotiquement par la dictature étatique. En effet, une proportion importante de policiers est atteinte de maladies psychiatriques. La profession assiste à une véritable hécatombe. En son sein, les arrêts maladie de longue durée se multiplient. Les familles se disloquent. Les chiffres des divorces implosent. Les démissions s’amplifient. Et bien sûr le nombre de suicides explose, provoqué par la politique d’affrontement instituée par tous les gouvernements successifs pour gérer violemment les mouvements sociaux, fréquemment en révolte contre la dégradation des conditions sociales, engendrée par les mesures antisociales décrétées par tous les pouvoirs de gauche comme de droite (mais aussi par l’augmentation exponentielle de l’insécurité dans toutes les villes rongées par le trafic des stupéfiants et la délinquance).
La gestion de la crise par la violence est devenue l’unique moyen de gouvernement de la bourgeoisie décadente. Sa ligne politique de négociation se résume en l’alignement de troupes de forces policières postées sur les lieux névralgiques afin d’étouffer dans le sang toute contestation sociale. La police est devenue l’unique feuille de route des dirigeants politiques, leur seul programme «politique». Cette police qu’ils dressent vainement comme forteresse pour se protéger de l’assaut du prolétariat révolté, pour perpétuer leur système capitaliste en décomposition. La police est le dernier rempart de l’Etat capitaliste en crise, incapable d’assurer «sa mission providentielle» de sécurité sociale et économique provisoirement accordée à la population laborieuse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, le Léviathan dévoile sa vraie nature répressive, totalitaire, réactionnaire.
Pourtant, notamment au travers du discours des syndicats officiels, aucune voix ne s’élève pour dénoncer les responsables de la dégradation des conditions de travail de ces policiers transformés en véritables milices privées chargées de la protection exclusive des classes possédantes. Bien au contraire. Une chape de plomb s’est abattue sur les récriminations des policiers réduits au silence. Ne sont-ils pas contraints au droit de réserve ? Cette loi du silence résumée par cette sentencieuse devise étatique : «Travaillez à réprimer et taisez-vous». Ne discutez pas les ordres. Ne provoquez pas de désordre. Car l’ordre établi capitaliste repose sur votre obéissante besogne répressive aveugle, aveuglante et, surtout, paralysante mais, aussi, meurtrière.
Qu’à cela ne tienne ! La dernière saillie d’une poignée de manifestants Gilets jaunes, exprimée par un slogan en forme de boutade, doit être saisie comme un rappel à l’ordre par ces forces de l’ordre broyées par une machine étatique despotique, œuvrant au service des classes dirigeantes et possédantes. La police doit comprendre de quel côté de la barricade se situe ses alliés. A plus forte raison, cette boutade sonne comme un tocsin à destination de ces policiers réduits à réprimer leurs frères de classe pour sauver un système capitaliste sénile, pourvoyeur de violences sociales infligées à toute la population laborieuse et de guerres imposées aux peuples de nombreux pays.
Oui, «Suicidez-vous… pour l’Etat» est le mot d’ordre implicite ou subliminal de l’Etat bourgeois français asséné aux policiers contraints de jouer les pères fouettards de ce pouvoir aux abois.
Pour preuve : au lendemain du slogan proféré par une poignée de manifestants, le ministre de l’Intérieur, responsable du pourrissement de la situation, et tous les syndicats aux ordres se sont précipités pour monter au créneau afin de porter plainte contre les auteurs anonymes du slogan «Suicidez-vous». Mais les suicides de policiers datent de bien avant ce slogan.
En vérité, cette hâtive réaction hypocrite vise à exonérer la responsabilité de l’Etat bourgeois français, coupable de l’explosion du nombre de suicides et de la dégradation de la santé des policiers. En tout état de cause, ce n’est pas ce slogan qui a provoqué le 28e suicide de policier de l’année 2019, survenu la veille de la manifestation mais la poursuite de la politique de la terre brûlée engagée par le gouvernement Macron depuis bientôt six mois. Au demeurant, avec l’aggravation de la crise économique, les révoltes sociales vont se multiplier et se radicaliser. Or, la bourgeoisie dégénérée est dans l’incapacité d’accorder la moindre concession aux revendications sociales des travailleurs en lutte, pour ne pas déplaire aux patrons et financiers, mais aussi pour éviter d’intensifier le déficit budgétaire.
Quoi qu’il en soit, depuis cinq mois maintenant, la seule réponse apportée par le gouvernement Macron aux revendications légitimes du prolétariat paupérisé en révolte contre la dégradation de ses conditions de vie et de travail est la répression tous azimuts. En fait de dialogue social, le pouvoir bourgeois envoie la police pour assurer la négociation à sa manière brutale. En fait de satisfaction des revendications, l’Etat bourgeois charge la police de la sale besogne de la distribution sans modération des coups de matraque et des gaz lacrymogènes, sans oublier les flashball. Ainsi, le pouvoir de Macron se réfugie-t-il derrière le bouclier policier pour tenter vainement d’éteindre les incendies sociaux provoqués par sa politique antisociale.
Au reste, depuis cinq mois, tous les débats animés sur toutes les chaînes des médias de propagande bourgeoise – propriétés des riches – se focalisent sur la question principale de la sécurisation des lieux publics mais jamais ils n’abordent le problème de la précarisation et de la paupérisation de la majorité des classes laborieuses. Ainsi, l’Etat bourgeois est parvenu à criminaliser la révolte sociale du «peuple en jaune». Pourtant, dans ce combat d’usure entre forces de l’ordre épuisées et le peuple jaune déterminé, l’issue de la bataille est évidente : le peuple finira par l’emporter. Probablement pas au cours de ce combat initié par les Gilets jaunes mais assurément au cours des inéluctables combats à venir.
Au final, pour éviter l’accentuation de l’hécatombe suicidaire policière, il ne reste à la majorité des fonctionnaires policiers enrôlés dans cette guerre sociale contre le peuple que la désobéissance, la démission ou, encore mieux, leur ralliement au combat du peuple en lutte contre l’Etat bourgeois et son système pathogène capitaliste. L’histoire foisonne de ces moments de fraternisation entre la police et le peuple, entre l’armée et le peuple, pour abattre l’ennemi de classe commun.
Aujourd’hui, le peuple laborieux en lutte lance ce cri d’alerte aux policiers : Ne vous suicidez pas pour cet Etat capitaliste déliquescent ! Rejoignez-nous sur la barricade sociale ! Comme le scandaient certains Gilets jaunes à de multiples occasions lors des manifestations : «Vous êtes des pauvres en bleu, nous sommes des pauvres en jaune», nous avons besoin de votre force pour neutraliser les criminels sociaux capitalistes installés aux commandes de l’Etat des riches, ces responsables de la dégradation généralisée des conditions sociales des classes laborieuses, des violences, de la répression, des suicides des policiers comme des autres travailleurs.
M. K.
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