Trois cibles pour un sabotage ou comment Abdelaziz Bouteflika a trahi
Par Dr Arab Kennouche – L’Algérie vit une période de troubles et de remous comme jamais auparavant. C’est tout l’héritage politique et institutionnel des années Bouteflika qui apparaît aujourd’hui au grand jour comme le projet d’une destruction programmée de l’Algérie indépendante née du soulèvement du 1er Novembre 1954. Il faut cependant, pour arriver à de telles conclusions, ne pas hésiter à réexaminer à la loupe les actions politiques d’un homme qui est passé maître dans l’enchevêtrement des décisions nationalistes et antinationalistes, de sorte que les premières apparaissent comme les plus visibles, mais les moins efficientes, et les secondes comme les plus indolores mais les plus redoutables.
C’est au moment où l’armée essaye de démêler l’écheveau de ce labyrinthe bouteflikien qu’on se rend compte, au final, que le règne de Bouteflika n’avait pour seul agenda que de détruire les fondements de l’Etat algérien, à savoir ses trois piliers : l’ANP, le FLN et le DRS. En effet, l’ex-président de la République n’a eu de cesse de s’attaquer parfois vigoureusement, parfois par personnes interposées, à ces piliers de la nation qui constituent encore aujourd’hui pour des raisons endogènes et exogènes les points vitaux de l’Etat algérien, jusqu’à son éviction de la fonction suprême. En tissant une toile immense visant à étouffer les représentants politiques et sécuritaires les plus indispensables à la continuité du projet de Novembre, Bouteflika a mis sous hypnose de façon dangereuse un nombre important de personnels jadis considérés comme des piliers de l’indépendance nationale, contre l’islamisme, le mondialisme ou le néo-colonialisme infusés désormais profondément dans le corps de la nation.
L’ANP : première cible
La hargne de Bouteflika contre ce qu’il appelait «les généraux voulant le bouffer» est sans pareil dans les annales des relations entre militaires et civils. Très tôt, dès 1999, Abdelaziz Bouteflika tente de s’attaquer de front à une institution de l’Etat, l’ANP, alors que très peu d’éléments militaient en la faveur d’un tel projet. La loi sur la concorde civile n’aurait pas pu s’appliquer sans un appui efficace de toute l’institution militaire, dont l’état-major général. Bouteflika a volontairement souillé la réputation des militaires en entamant une campagne digne des plus grandes opérations d’intoxication psychologique à la Goebbels, en faisant porter le chapeau de la tragédie nationale à l’armée, qu’il traduisit devant l’opinion islamiste par une promesse de se débarrasser des figures de proue de la lutte contre le salafisme radical : Larbi Belkheir, Mohamed Lamari, Smaïn Lamari, jusqu’à la volonté déjouée du frère de renvoyer l’actuel chef de l’armée.
Pourquoi une telle opération d’éradication de militaires qui ont sauvé l’Algérie de la guerre civile dans un contexte encore peu propice à un tel bouleversement de la donne ? N’y-avait-il pas plus urgent que de cibler une institution pourtant maîtresse du jeu et ayant démontré une résilience sans faille à extirper les ennemis de la patrie ? Depuis les débuts de sa présidence, Bouteflika forma le projet politique de redessiner l’armée algérienne, de la configurer selon un agenda occidental. Mais, pour ce faire, il fallait aussi démanteler ses structures de sécurité et de renseignement, dont le fameux DRS sous le couvert d’une nécessaire restructuration.
Le DRS : deuxième cible
Il est évident que toute la structure sécuritaire du pays constituait pour Bouteflika un adversaire de taille pour un homme appelé à régenter tout le pays à la manière du Makhzen marocain. Encore une fois, on se demande pourquoi le président déchu, avec un tel empressement, alors que l’urgence d’une reconstruction économique du pays était plus encline à asseoir sa légitimité politique, décida de restructurer tout le DRS dans un contexte loin d’être favorable à cette entreprise. Une seule réponse possible : la volonté farouche de neutraliser un redoutable service de renseignement qui, malgré des dysfonctionnements tout à fait normaux en période de troubles graves, fit figure de proue au niveau mondial dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Cet élément troublant prouve, dans le sillage du démantèlement de l’état-major, la continuation d’un agenda visant à reconfigurer l’armée algérienne sur un modèle proche du Makhzen marocain, où l’état-major et les services de sécurité sont des appendices du roi.
Ceci requerrait également le démantèlement d’un parti politique qui faisait figure de ciment de la société algérienne, dont l’idéologie de l’affranchissement à tout pouvoir extérieur constitue encore aujourd’hui un obstacle majeur à la mise en place du projet bouteflikien d’allégeance à l’Occident.
Le FLN : troisième cible
Le parti qui symbolise l’existence d’une Algérie libre et indépendante n’a connu que des déboires depuis la venue d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. Les convulsions partisanes ont été portées à l’extrême durant vingt ans, fissures et finalement fractures qui ont permis à l’ex-président de la République d’installer de véritables pantins corrompus aux commandes du parti de façon à s’assurer des victoires aux différents présidentielles. On se souvient des Saïdani et autres Ould-Abbès qui récitaient à merveille la partition du chef, le président de la République lui-même. La fragmentation du parti qui aurait dû entamer sa propre mutation depuis fort longtemps devait servir à affaiblir encore plus l’Etat, par un jeu subtil de substitution de l’idéologie de l’indépendance, à celui de l’allégeance. Cette démarche toute makhzénienne vient encore confirmer le projet soutenu en haut-lieu d’un ciblage programmé des fondements de l’Etat algérien tels que revendiqués dans la déclaration de Novembre 1954.
C’est en voulant reconstituer le puzzle d’une présidence interminable qu’on se rend compte du travail de sape commencé en 1999 par Abdelaziz Bouteflika sur les fondements de la nation algérienne, et dont les métastases ont disséminé sur tout le reste de l’édifice institutionnel, dont le pouvoir judiciaire aujourd’hui sous les feux de la rampe. En se retirant du pouvoir, Bouteflika a laissé un véritable champ de mines, comme du temps de la colonisation. Au moins sur trois niveaux essentiels, de par leur ancrage profond dans la viabilité de l’Etat, il importe de relever l’Algérie dans un travail de déminage urgent : l’ANP au niveau de l’état-major se doit de renouer avec ses fonctions premières de défense nationale, impliquant une remise à pied des services de sécurité, dépolitisés et soucieux d’accompagner une véritable mutation démocratique au sens d’un nationalisme authentique des partis politiques algériens.
A. K.
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