La définition de la démocratie est un enjeu politique
Par L’hadi – L’étymologie grecque de la démocratie renvoie à l’idée de gouvernement par le peuple (dêmos). S’il fallait s’en tenir rigoureusement à cette définition, peu de systèmes politiques mériteraient une telle qualification. Il est tout à fait exceptionnel que le peuple gouverne (ou se gouverne).
Cette observation rappelle que la démocratie est une catégorie d’analyse apparue dans un univers intellectuel particulier. En outre, le souci de considérer nombre de régimes contemporains comme démocratiques a contraint de donner une interprétation extensive du critère initial qu’était le gouvernement par le peuple. Ainsi, est-on conduit à mettre en avant la notion de démocratie représentative.
Si le peuple exerce son pouvoir, c’est seulement par l’intermédiaire des représentants qu’il s’est choisis. Mais des systèmes politiques qui ignoraient les élections libres (Union soviétique, Chine communiste…) se sont qualifiés de démocraties, et même de «démocraties populaires», en invoquant le fait que le parti unique constituait l’avant-garde du prolétariat et qu’ainsi se trouvait assurée une plus authentique emprise du peuple sur son gouvernement.
Aujourd’hui, la presque-totalité des Etats du monde se rangent sous la bannière de la démocratie, en raison des avantages politiques ou symboliques qu’ils peuvent y trouver. Or, cette quasi-unanimité cache évidemment des pratiques politiques considérablement contrastées.
En d’autres termes, il paraît impossible de faire entrer dans le champ d’études de la démocratie tous les régimes qui se sont réclamés d’elle ; réciproquement, on ne peut manquer de s’interroger sur les raisons qui expliquent un tel succès ou, du moins, un tel attrait.
La définition de la démocratie est donc un enjeu politique. Une conception hautement exigeante facilite la tâche de toutes les Cassandre qui pourront ainsi déplorer les atteintes inévitables à l’idéal. Inversement, le minimalisme permet de couvrir les pires hypocrisies, en justifiant des revendications d’appartenance tout à fait indues.
Ces phénomènes compliquent considérablement l’identification de la démocratie comme objet d’analyse scientifique. On repère, en effet, deux manières assez différentes d’y faire référence dans le langage politique. Dans une première perspective, elle est représentée comme un idéal de gouvernement qu’on invoque pour mieux critiquer des pratiques qui s’en écartent ; elle permet de juger, de légitimer ou de stigmatiser.
En d’autres termes, elle est moins un «type réel», au sens de Weber, qu’une idée-force, une mythologie mobilisatrice. Dans une seconde perspective, essentiellement empirique et descriptive, elle se réduit à une forme concrète de gouvernement, identifiée à partir de critères clairs, d’ordre institutionnel et politique. Elle devient une catégorie d’analyse qui permet de rapprocher des régimes ayant quelque chose d’essentiel en commun à un double point de vue : le mode d’élaboration des décisions et le mode de légitimation du pouvoir.
Ainsi pourra-t-on distinguer les gouvernements démocratiques au sein d’un système général de classe des systèmes politiques.
L. H.
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