Indépendance de la justice bafouée : le pouvoir sur la défensive
Par Saïd N. – Les changements opérés, il y a quelques jours, par le chef de l’Etat intérimaire dans le secteur de la justice, suivi du limogeage, dans des conditions contestées, de trois magistrats par le ministre de la Justice ont remis sur le tapis le principe d’indépendance de ce corps utilisé jusque-là par le pouvoir en place comme le fer de lance de son opération dite «mains propres».
D’abord, concernant le mouvement annoncé par le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, et touchant notamment le corps des procureurs généraux, des présidents de cours d’appel et quelques cadres du Conseil d’Etat, le ministère de la Justice a été contraint de réagir pour nier en bloc «toute irrégularité légale» dans les décisions. Or, des juristes persistent à dire que certaines de ces décisions au moins sont en contradiction avec la législation en vigueur, et notamment le statut du Haut Conseil de la magistrature, dans son article 6. Les mêmes observateurs rappellent que le mouvement annuel dans le corps des magistrats relève des prérogatives du Haut Conseil de la magistrature.
L’argument avancé par une source du ministère de la Justice est que le mouvement opéré par Bensalah se limite aux procureurs généraux, aux présidents des cours d’appels et aux membres du Conseil d’Etat. Or, selon les mêmes voix qui contestent ces décisions, cette entorse aux lois de la République réside dans le fait que certains cas touchés par ce mouvement sont membres du Haut Conseil de la magistrature alors que cela relève exclusivement des prérogatives dudit Conseil.
La contestation vise également les décisions prises par le ministre de la Justice. Dans une déclaration rendue publique vendredi, le Syndicat national des magistrats (SNM) s’en est pris vigoureusement au communiqué du ministère de la Justice qui annonçait, mercredi, le limogeage de deux magistrats et d’un procureur de la République, et dénonce le non-respect de la réglementation dont sont entachées ces décisions. Ce Syndicat considère que le fameux chapitre II de l’article 65 du statut de la magistrature, qui permet au ministre de la Justice d’arrêter temporairement tout magistrat, «ne l’autorise pas à en faire étalage, sachant qu’il s’agit d’une garantie prévue par le législateur en conformité avec le principe de présomption d’innocence universellement reconnu». Les auteurs de la déclaration estiment que cette protection est censée «préserver aussi bien la bonne réputation de l’autorité judiciaire que le rapport de confiance avec le citoyen».
Sur sa lancée, le Syndicat des magistrats affirme que l’article 26 du statut de la magistrature autorise le ministre de tutelle à nommer ou muter des membres du parquet ou des magistrats exerçant au sein de l’administration centrale au ministère de la Justice mais pas de mettre fin à leurs fonctions.
S. N.
Comment (13)