Comment on en est arrivés là…

5e mandat gotha politique
La lutte pour la IIe République continuera sans relâche. PPAgency

Par Dr Arab Kennouche – Tout le gotha politique en Algérie semblait être résolu à se laisser tenter par un 5e mandat, souvent par fatalisme ou par calcul erroné des conséquences économiques et politiques à moyen terme pour le pays. Cette attitude procédait fondamentalement d’une appréciation injuste du problème de la légitimité démocratique des élites au pouvoir, elle-même déterminée par un viol successif de la Constitution de 1996. La violation flagrante des dispositions relatives au pouvoir exécutif, notamment au nombre légal de mandats présidentiels limité à deux, était un facteur politique incident sur les élections qui devaient se tenir en avril : il s’agissait, en effet, d’évaluer le critère de légitimité d’un pouvoir arrivant à terme, mais prêt à se draper d’une nouvelle peau acceptable pour le peuple bafoué. Alors qu’il est patent que le régime politique n’avait plus aucune base légale, ayant enfreint la règle fondamentale de la limitation des mandats à deux inscrite dans la Constitution de 1996, l’administration présidentielle, appuyée par le chef d’état-major, était désormais en quête de légitimité démocratique dans un passage au 5e mandat qui semblait désormais acquis au sein de la machinerie électorale, mais dont le véritable enjeu paraissait être l’assentiment populaire.

Comment Abdelaziz Bouteflika pouvait-il obtenir l’assentiment du peuple pour un 5e mandat alors que celui-ci était des plus problématiques, vu la santé de l’ex-président, et le contexte globalement illégal d’une telle entreprise politique qui dure depuis 20 bonnes années ? Deux voies semblaient être empruntées par l’alliance présidentielle, une légale, sous forme de «reconversion constitutionnelle» ; l’autre, plus politique, sous le slogan de «continuité». Néanmoins, à la différence du quatrième mandat, la question de l’assentiment populaire était désormais vitale, incontournable, sans quoi le 5e mandat allait se transformer très vite en confrontation avec la vox populi. Le déficit de légitimité était une épée de Damoclès qui pendait sur tout le 5e mandat d’un quelconque candidat. C’est pourquoi il importait de ne pas jouer avec le feu en incluant le peuple souverain dans le processus de prorogation du mandat, ou tout simplement de continuité. Qu’allait faire Bouteflika à cet égard ?

Les dispositifs de légalisation constitutionnelle

Pour déroger une fois de plus à la loi constitutionnelle, l’administration présidentielle a cherché à se voiler de légalité en s’appuyant sur deux moyens : la création d’un poste de vice-président, qui ferait figure de «concession démocratique» sur le modèle plagié américain mais sans contrainte juridique, une espèce de contre-pouvoir en attendant de régler la succession. Deuxièmement, l’ex-président tablait encore sur la convocation d’une «conférence nationale» réunissant les partis censés représenter tout le peuple afin de se garantir une dernière forme de légitimité. La rhétorique adoptée était celle d’une pause dans la continuité, car le président étant malade, il lui fallait du temps pour penser à la relève et transmettre son héritage de façon à ne pas mettre en danger l’Algérie.

En d’autres termes, le président reconnaissait son état de santé défaillant, mais ne pouvait faire autrement que demander plus de temps pour songer à la succession. Faute de consensus sur un potentiel successeur, argument avancé fallacieusement, l’administration présidentielle demandait une révision constitutionnelle en vue de proroger son mandat actuel par le biais d’un dispositif supplémentaire, la vice-présidence, mais qui devenait elle-même illégale en vertu de l’article 212.8 prohibant au président de la République toute révision concernant la réélection du chef de l’Etat à plus de deux mandats, s’il faut entendre par vice-présidence le changement dans la continuité. Le mandat de Bouteflika étant déjà illégal, il allait encore être utilisé pour avaliser un deuxième acte illégal, celui de la création de dispositions supplémentaires pour le pouvoir exécutif, enfreignant l’article 212.8 : autrement dit, une violation dans une première violation.

De plus, la souveraineté nationale ayant été largement violentée, on se demande comme un tel retour anticonstitutionnel pouvait soudainement la réhabiliter. La reconversion constitutionnelle souhaitée par l’ex-président en quête de légalité tombait donc à l’eau sous le seul effet de l’étau de l’article 212.8. Aucune révision constitutionnelle ne pouvait donc surseoir à l’intangibilité du principe de deux mandats de 5 ans, comme le désirait une entreprise de continuité par voie légale. Que l’on envisage par conséquent une simple révision constitutionnelle, un référendum populaire, où la création d’un pouvoir constitué, les délais étant longs, ils n’étaient plus opérationnels au regard du calendrier électoral. Une telle reconversion constitutionnelle n’avait véritablement de sens, pour quelqu’un qui a exercé un pouvoir sans partage, que dans le cas d’un nouveau credo démocratique, disposition d’esprit absente de la donne.

Il était presque certain que Bouteflika n’allait pas tolérer d’être flanqué d’un organe de direction collégiale assurant un rôle de passeur entre ses mandats et celui de ses successeurs. Proroger signifiait se dédire et envisager une sortie définitive, donc un acte de concession politique qu’il n’était pas prêt d’accepter même si le retour à un certain jeu constitutionnel lui permettait de gagner en «légalité». N’étant pas enclin à de telles concessions, Il restait à l’ancien président la voie politique pour «augmenter en légitimité».

La voie politique de légitimation

C’était, semble-t-il, la voie d’un renouveau du contrat de confiance que le président cherchait à établir en ratissant large, proposant en jeu de miroirs une nouvelle illusion démocratique par le biais d’un vice-président aussi irréel qu’illusoire, et la convocation d’une conférence nationale donnant encore l’illusion que le peuple y trouverait son compte par une alliance présidentielle censée représenter la souveraineté nationale. Le 5e mandat n’avait, en effet, aucune chance de réussir cette fois-ci plus que l’autre, si le peuple n’émettait pas de vifs signaux au moins tacites de reconduction : il fallait donc le convaincre dans son intégralité, qu’il se tromperait une fois de plus en laissant passer l’occasion d’un cinquième mandat.

Tout l’enjeu de la prochaine présidentielle était là : quel niveau de confiance l’administration présidentielle pouvait-elle obtenir de la part du peuple après 20 ans de pouvoir sans que cela ne tournât au vinaigre ? Car plusieurs points négatifs étaient tout de même à prendre en compte dans la balance des «réalisations» : le facteur corruption, la perception négative d’une oligarchie patronale, le grand déficit démocratique des institutions, l’inertie des élites politiques qui ne se renouvelle jamais, l’absence de régulation juridique des relations sociales, mais aussi une sorte de cloisonnement de la société civile éloignée des processus de décision politique.

Tout cela contribuait négativement à l’émergence d’un nouveau pacte politique qui devait fonder la légitimité du 5e mandat sur toute une période à risques. On a vu qu’en France et ailleurs en Europe, la question de la légitimité politique devient la nouvelle pierre angulaire des liens entre nation et pouvoir politique. Dire que Bouteflika allait parvenir à se faire élire n’était pas l’essentiel si dans le même temps, il ne créait pas un nouveau pacte avec le peuple. Il n’avait pas pris le sens de cette direction et n’avait pas saisi l’enjeu fatidique d’une telle entreprise en se cantonnant à la recette éculée d’un populisme suranné des années 70 qui n’allait plus suffire à calmer la colère des plus démunis en cas de besoin.

Par conséquent, on pouvait se demander si l’évacuation du facteur peuple pour un certain temps, le temps de l’élection, n’allait pas être un facteur d’explosion sociale, si la donne sécuritaire et économique venait à se dégrader. Il y avait bien quelques victoires, dans les infrastructures, à l’exportation et le FCE affichait bien sa toute jeunesse comme le fer de lance d’un nouveau combat, mais en allant au fond des choses, l’économie nationale restait tributaire de l’extérieur. Mais ce palais de verre n’allait pas tenir encore longtemps. Le capitalisme industriel, de type PMI-PME est encore très embryonnaire en Algérie. C’est encore une économie pétrolière qui détermine l’orientation de l’Etat.

Faire du «ghedirisme»

On a voulu voir dans les déclarations d’Ali Ghediri une immixtion grossière de l’ANP dans les affaires politiques dites civiles. Même si rien n’interdit dans la Constitution de 1996 l’intervention d’un militaire en retraite quand les enjeux politiques touchent à la défense de la souveraineté nationale, on avait également occulté le message sibyllin républicain et résolument moderniste que le militaire faisait passer en demandant à l’ANP non pas d’intervenir, mais de prendre en compte le facteur moderniste et démocratique dans les enjeux de 2019. A ce titre, le très gênant général Ghediri, aujourd’hui emprisonné par Gaïd-Salah, représentait un espoir certain dans la transformation de l’ordre bouteflikien en véritable république où l’Etat de droit viserait à une reconversion radicale de la société algérienne vers une régulation par le droit de ses rapports avec l’Etat, mais également entre tous les acteurs sociaux eux-mêmes. On avait occulté sciemment cet esprit radical visant à un passage rendu presque obligatoire d’une pratique constitutionnelle qui colle à l’esprit de la Constitution démocratique de 1996, dont le viol allait certainement être une cause future de retard technologique, économique et social.

Les déclarations du général Ghediri avaient été sur-interprétées fallacieusement par le prisme de la séparation des ordres civil et militaire, en oubliant de mentionner le caractère éminemment républicain de tels propos et la volonté politique de pans entiers de l’armée – bridés par le chef d’état-major actuel – de parvenir à un nouveau pacte social, d’esprit démocratique tourné vers la réalisation d’objectifs de développement sains, sans remettre en cause les principes du libéralisme économique. On pouvait y lire également le désir de fonder une société de la connaissance et du savoir scientifique contre ce magma propagandiste que continue de subir un peuple largement mis en minorité et non détenteur de ses droits mais plus que jamais décidé à en finir avec l’ordre établi.

A. K.

 

Comment (7)

    Zaatar
    20 août 2019 - 5 h 42 min

    Monsieur Kennouche,
    On vous remercie pour votre contribution, cependant, il n’est nul besoin d’aller chercher des explications et des démonstrations savantes pour résoudre le problème du pays. Ce dernier est foncièrement lié à la nature de l’homme, son égoïsme et sa malhonnêteté/honnêteté. Le peuple suivra son évolution naturelle en fonction des paramètres et des contraintes de son environnement sur un fond lié à la nature de l’homme. Vous n’allez pas me dire que si des possibilités réelles vous sont offertes pour vous enrichir et voir votre famille et les vôtres s’épanouir vous allez y renoncer. Moi je pense bien le contraire, vous cherchez sans cesse à concilier cet objectif inscrit quelque part dans votre cerveau avec ce que vous offre comme possibilités votre environnement. Et c’est pareil pour tout le monde ou du moins pour la grande majorité. C’est dans cet état d’esprit qu’il faut poser le problème, et c’est ce qui est constaté sur le terrain depuis des lustres.

    Le Bédouin
    19 août 2019 - 18 h 32 min

    On est arrivée la ou on est presque au fond a cause de vingt ans de trahison,vingt ans de destruction,vingt ans d’injustice,vingt ans de corruption,vingt ans de hogra,vingt ans de gouvernance des traitres et d’ingrats,

    -DZ
    19 août 2019 - 17 h 12 min

    Quand je regarde la photo, je vois qui.
    Taleb Ibrahimi qui a toujours été une partie du système est devenu le peuple

    Kahina-DZ
    19 août 2019 - 16 h 33 min

    Ce n’est pas avec l’intégriste Taleb Ibrahimi qui a mangé dans tous les râteliers qu’on va sauver l’Algérie.
    Taleb Ibrahimi clame ses racines au moyen orient. C’est un baatho-Intégriste qui se reconnait dans l’histoire et l’identité de ses maitres.
    On veut quelqu’un qui est fier de son Algérianité.
    C’est malheureux, mais on sent le chaos et la manipulation totale. Le Hirak n’est plus le même. Plus ca tarde, plus la manipulation est grande.

    Les Algériens doivent être vigilants, ils ne faut pas jouer au POKER avec l’avenir de l’Algérie.

    Elephant Man
    19 août 2019 - 12 h 49 min

    Je rebondis juste sur Ghediri : il est pour l’ouverture des frontières et l’UMA coquille vide créée initialement par Hassassin II, donc il n’est en rien nationaliste, et lorsque l’on est pour l’ouverture des frontières on sait parfaitement pour qui vous bossez.
    Ni UMA Ni Quoi que ce soit.
    ALGÉRIE ALGÉRIENNE ???????????????? epicitou.

    Brahms
    19 août 2019 - 8 h 23 min

    Il y a trop de bazar c’est ingérable car trop de frustration en Algérie. Impossible de répondre à toutes les attentes des citoyens. On coure à la catastrophe économique, à un blocage, à une stagnation. Ces citoyens pensent qu’il suffit de partir en Europe et hop la vie sera belle et merveilleuse mais ils rêvent beaucoup. Le loyer à Paris tourne à 1500 €, par mois.

    Les déni politiques successifs algériens !
    19 août 2019 - 6 h 48 min

    Depuis 1946 les algériens fuient leur naturel mais inlassablement, tel un boomerang, il leur revient à la figure.
    Il y eut d’abord, les querelles des nationalistes avec les arabo-islamistes ;
    puis, vint le coup d’état de l’armée des frontières contre les maquisards de l’intérieur et enfin, le coup de grâce de Bouteflika qui a vidé la société civile algérienne de sa substance en refusant tout renouvellement de la classe politique. Il a étudié à Oujda, il avait ses attaches aux émirats et son rêve c’était de transformer les algériens en sujets de sa majesté et l’Algérie en succursale royale dont les royalties seraient systématiquement transférées à la maison mère en guise de reconnaissance !
    Alors, »Yetnahaw Gâa » est l’unique planche de salut de la nouvelle Algérie libre, nationaliste et démocratique !

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