Ethnies, langues et nation en Algérie : l’analyse d’un professeur à la Sorbonne
Par Karim B. – «On ne peut comprendre la situation actuelle de l’Algérie sans un minimum d’informations sur les caractéristiques ethniques et linguistiques du pays qui sont beaucoup plus complexes que ce que l’on pense en général en Europe», relève Sadi Lakhdari, professeur émérite à l’université de Paris-Sorbonne.
Pour ce docteur d’Etat agrégé d’espagnol, «les origines ethniques des Algériens actuels sont indécidables dans la presque totalité des cas», soulignant que «l’origine des habitants actuels de l’Algérie a été largement discutée depuis très longtemps». «Les débats et théories les plus diverses se sont succédé depuis l’Antiquité et n’ont trouvé de réponse scientifique que depuis peu grâce aux recherches génétiques sur des ossements, aux analyses portant sur des populations actuelles et aux hypothèses linguistiques», explique-t-il. Selon le professeur Sadi Lakhdari, qui se réfère à ces recherches, «la majorité de la population algérienne est indiscutablement d’origine berbère malgré les vagues d’envahisseurs et de colonisateurs qui se sont succédé : puniques, romaines, grecques, vandales, byzantines, arabes, turques, quelques Normands, sans compter les esclaves provenant d’une quarantaine d’origines différentes et la colonisation française récente qui n’a laissé qu’une dizaine de milliers d’individus après 1962».
Le chercheur met en exergue la «confusion» qui est «faite entre l’origine ethnique et la langue» et explique que «s’il est très difficile, voire impossible de trouver un substrat ethnique unique en Algérie, on ne peut, non plus, trouver d’unité linguistique». «L’Algérie, écrit Sadi Lakhdari, se caractérise en effet par un pluralisme linguistique tout à fait original car très ancien qui a perduré depuis l’Antiquité». «Les langues berbères, qui appartiennent au groupe chamito-sémitique, ont subsisté depuis l’Antiquité malgré les diverses occupations et les tentatives pour les éradiquer», fait observer Sadi Lakhdari qui rappelle que la question de la transcription de tamazight «n’est pas entièrement résolue, étant en grande partie entachée par des considérations idéologiques ou religieuses», soulignant, cependant, que «ce n’est là qu’un des aspects des problèmes posés par tamazight» qui n’a été reconnue par le pouvoir «qu’après des années de luttes parfois sanglantes».
«Tamazight qui a beaucoup gagné sur le terrain légal et sur le domaine formel fait maintenant face à d’autres exigences qualitatives», confie le chercheur, avant de conclure que «la reconnaissance du caractère pluriethnique, plurilingue et multiculturel de l’Algérie est un immense pas en avant qui a permis une pacification importante des esprits», mais que la contradiction qui caractérise l’identité algérienne «à la fois fièrement revendiquée et honnie» est «lourde de dangers». C’est pourquoi, insiste Sadi Lakhdari, il faut «transcender les divisions ethniques et linguistiques en satisfaisant les demandes de démocratie, de justice sociale et de développement économique réel qui permettraient de donner un espoir à une jeunesse majoritaire en partie désespérée, fer de lance de la contestation dans la rue».
K. B.
Comment (87)