Quand le défunt Mohamed Lemkami refusait qu’on accuse le peuple algérien d’immaturité
Il y a deux ans disparaissait le moudjahid Mohamed Lemkami, proche collaborateur d’Abdelhafid Boussouf. Si Abbès s’est éteint le 27 septembre 2017 à l’âge de 85 ans.
Réagissant à un appel lancé par les membres de l’Association nationale des moudjahidine du MALG en mars 2011 pour apporter leur contribution aux réformes projetées par les instances politiques du pays, l’auteur des Hommes de l’ombre répondait que «le temps est arrivé pour nous de laisser la place à nos cadets». Il avertissait déjà que le pays «est en panne de visibilité», estimant que «toute réforme sérieuse doit commencer par le haut». Relue avec le recul que dicte la situation désastreuse actuelle du pays, on ne peut que regretter la disparition de cet homme éclairé dont nous republions, ci-après, la vision – résumée en six points – de l’Algérie «malade» et «gangrénée».
K. B.
1- Le pays est en panne de visibilité, l’administration est gagnée par l’incompétence et la corruption se développe à une vitesse exponentielle. C’est là le lot pour tous les pays qui tournent le dos à la jeunesse et aux élites. L’Etat algérien est malade, c’est une évidence.
Toute réforme sérieuse doit commencer par le haut car, comme le dit si bien le proverbe, «le goulot de la bouteille se trouve toujours en haut». Si personne, en particulier, n’est visé par l’énoncé de cette maxime, il est clair, cependant, que le constat est limpide ; pas d’avenir radieux pour l’Algérie tant que la jeunesse sera méprisée et les élites marginalisées. La considération pour la jeunesse et la réhabilitation de l’intelligence constituent, par conséquent, un passage incontournable pour toutes les réformes envisagées.
2- Dans le même ordre d’idées, les élus locaux, à l’échelon de la commune comme de la wilaya, doivent, désormais, provenir de l’élite nationale, parmi les diplômés universitaires, disponibles à profusion. Le critère de compétence doit être remis à l’honneur, et combattues, sans relâche, les pratiques mercantiles qui consistent en l’achat par des personnes fortunées de postes électifs sur les listes de scrutins locaux, législatifs et même présidentiel. La compétence et la moralité, en aucune manière la fortune matérielle, doivent constituer les seuls critères exclusifs pour le choix des candidats aux postes électifs.
3- Intimement associé à cette exigence, il faut affirmer, haut et fort, le principe selon lequel que l’avenir de l’Algérie ne pourrait se construire au détriment de la femme algérienne. La Révolution algérienne qui a libéré la femme dans notre pays du joug de l’asservissement lui a permis de contribuer, avec la sueur et le sang, à la libération de la patrie.
Un pays, tout comme l’oiseau, ne peut voler que par ses deux ailes. La mère des réformes n’est-elle pas de permettre au peuple algérien de se réapproprier sa dignité ? Une démarche qui passe, indiscutablement, par la restitution à la femme algérienne de sa dignité et de son statut légitime.
4- Dans les pays insérés dans un processus d’unification européenne, la régionalisation constitue un choix de développement stratégique qui a donné des résultats probants sans comporter un risque essentiel pour l’intégrité territoriale des pays concernés.
Pourquoi imaginer, stupidement, que le peuple algérien est immature pour des formes modernes de pratique démocratique ? Avec pareil raisonnement, nous serions encore sous domination coloniale ! Le temps n’est-il pas venu où, sereinement, sans réminiscence tribale, sur la base d’évaluation rationnelle, certaines wilayas pourraient être regroupées sous forme de régions ou de provinces avec des dirigeants élus au suffrage universel ?
5- L’islam, ce legs culturel enraciné dans les entrailles de la société par des pratiques ancestrales, elles-mêmes pétries par l’histoire millénaire de l’Algérie, n’a guère besoin d’être figé dans un article 2 constitutionnel. Sans vouloir paraître provocateur, je m’interroge, honnêtement, si cet article n’a pas, plutôt, servi de prétexte à des prédicateurs indélicats qui ont voulu importer des modèles théologiques sans rapport avec les réalités propres de l’Algérie arabe, amazighe et musulmane. Il est entendu que notre identité religieuse ne tient pas à son énoncé dans un texte de loi, ce texte fût-il la Constitution.
6- Ceux de ma génération ont, certainement, accompli leur devoir en assumant des responsabilités historiques durant la Guerre de libération nationale et accompli des missions exaltantes au cours de la première phase de l’édification nationale. Faisons confiance, à présent, à nos jeunes comme nous qui avions bénéficié de la confiance de chefs à peine plus âgés que nous. Le temps est arrivé pour nous de laisser la place à nos cadets, c’est le meilleur service que nous puissions rendre à notre pays.
Mohamed Lemkami
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