Le système ou la légitimité du gros bâton
Par Rabah A. – Ces derniers mois, un terme revient très souvent dans le jargon des responsables algériens. Celui-ci est tellement galvaudé qu’on est contraint de consulter le dictionnaire pour en connaître le sens véritable. Il s’agit du mot «légitimité» que Le Petit Robert définit comme suit : «La légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice ou en équité». Cette définition est une véritable gifle assénée au dictateur en chef et à sa bande de courtisans militaires et civils car aucune des trois conditions citées n’est remplie par la clique qui s’est emparée par la force du pouvoir et qui ne veut plus le rétrocéder au nom d’une soi-disant légitimité du peuple qui est l’émanation de tous les pouvoirs et qui lui dispose effectivement de la légitimité requise pour exercer ce pouvoir.
Dans la bouche de Gaïd, ce mot sonne comme un coup de fusil, sinon comme le coup d’une lame aiguisée dans le dos de tous les patriotes. Ainsi, comment lui, le caporal de la colonie de vacances de Ghardimaou rentré en Algérie par la grâce de l’indépendance chèrement acquise par les vrais hommes, peut-il lier sa petite et vile personne aux combattants de la prestigieuse ALN ? A l’indépendance, je m’en souviens, tous les murs portaient la même inscription, «un seul héros le peuple» et nos espoirs et nos rêves n’avaient pas de limites. Mais ce peuple-là, en dépit de son potentiel inouï et de son désir incroyable de vivre et de bâtir une belle nation, perdit bientôt toutes ses illusions et se mit à envisager à son corps défendant le départ vers un ailleurs plus clément, même si c’était chez les autres.
La légitimité avait déjà perdu tout son sens et les prisons du système, les portes béantes, étaient là pour briser tous les élans salvateurs et l’envie d’aller de l’avant et de casser ses chaînes de ce peuple magnifique qui n’avait revendiqué que son droit légitime d’avoir une école performante, compétitive, des hôpitaux performants, des universités capables de fournir le pays en diplômés de valeur, des entreprises efficaces et une justice indépendante et équitable. La légitimité disparut progressivement du langage ambiant et ne servit plus de couverture au pouvoir réel qui ne se gênait plus pour montrer sa force et réprimer les masses. C’était l’ère de la légitimité du gros bâton.
Maintenant, après 20 ans de règne illégitime de Bouteflika qui, dès son premier mandat, a montré son mépris des urnes et du peuple en exigeant même après la défection de ses adversaires, au rang desquels figuraient Ait Ahmed et Khatib, un score qui correspondait à son rang, voilà que l’un des artisans de la victoire et du maintien au pouvoir du psychopathe revanchard Bouteflika se remet à parler de légitimité à chacune de ses apparitions. Alors, une question d’abord : de quelle espèce de légitimité peut se targuer aujourd’hui Gaïd-Salah si on excepte celle de la force brutale et de la bêtise ? S’agit-il de la légitimité de ses qualités humaines et de sa vertu qui en font un homme idéal pour guider ce peuple vers un avenir meilleur ? La réponse est, bien sûr, non, au vu de l’amoralité connue et reconnue de l’individu.
S’agit-il de la légitimité de ses diplômes obtenus dans les plus prestigieuses universités et écoles de guerre de la planète ? Encore une fois, non, l’intéressé jouant à celui qui parle avec désinvolture et suffisance des sous-marins et des systèmes de tirs alors qu’il est incapable de s’asseoir derrière un simple ordinateur pour y effectuer la moindre recherche ou y enregistrer la plus simple des consignes.
Serait-ce alors la légitimité d’un long combat qu’il aurait mené pour une armée moins marquée et qui offrirait les mêmes chances d’épanouissement et de réussite à tous ses éléments d’où qu’ils viennent ? La réponse, encore une fois, est négative parce que le simple bon sens ne permet pas de mettre à la retraite des officiers prometteurs et qui ont la quarantaine alors qu’on a soi-même 80 balais et qu’on est inculte.
Les fréquentes violations de la Constitution par Bouteflika se sont toutes faites avec le soutien de celui qui se proclame aujourd’hui champion de la légitimité. Et c’est au nom de cette légitimité toute fabriquée qu’il veut pousser aujourd’hui à l’affrontement les enfants d’un seul et même pays, car comment peut-on interpréter cet appel à déployer l’ANP – surtout bien sûr dans les régions réfractaires au régime – autrement que comme une déclaration de guerre ? Ce dictateur va-t-il forcer les gens à voter et s’ils n’acceptent pas, va-t-il les mettre en prison et les déchoir de leur nationalité algérienne ? Cherche-t-il à ouvrir un nouveau front quand la raison lui impose de protéger et de défendre nos frontières exposées tout autant qu’elles sont à la convoitise et aux appétits extérieurs ? Y a-t-il quelqu’un pour lui faire entendre raison pour qu’il ne se lance pas dans cette voie sans issue ? Doit-il, pour sauver sa tête, sacrifier tout un pays sur lequel ses manœuvres insensées et criminelles vont laisser de profondes blessures et fractures ? Se rend-il compte seulement que ce peuple a décidé de prendre son sort en main et que rien ne sera plus jamais comme avant et que même s’il arrivait par on ne sait quel subterfuge à organiser ses élections, celui qu’il aura choisi comme Président ne sera jamais reconnu ni par son peuple ni par les grandes nations ?
Que lui reste-t-il à faire maintenant ? Partir avec ses enfants là où vont les dictateurs déchus et laisser ce peuple et ses élites sincères s’organiser et prendre en charge leur destin dans la sérénité retrouvée loin des bruits de bottes, du grincement des chaînes et de la peur érigée en système.
R. A.
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