Hydrocarbures : le Hirak affirme sa lutte antinéocolonialiste
Par Youcef Benzatat – Le rejet massif de la loi sur les hydrocarbures, illustré par de nombreuses manifestations dans les grandes villes algériennes ce dimanche, s’inscrit naturellement dans la continuité de la voie de l’émancipation que le peuple algérien a tracée depuis le 1er Novembre 1954.
Le colonialisme vaincu, il lui faudra à présent affronter le néocolonialisme qui instrumentalise les pouvoirs faibles des ex-colonisés pour perpétuer le pillage des richesses et maintenir les peuples dominés dans un sous-développement généralisé.
Les pouvoirs faibles, ce sont les décideurs illégitimes qui exercent l’autorité par la violence, en confisquant la souveraineté législatrice à leur peuple. Ils deviennent ainsi vulnérables à l’instrumentalisation par les néocolonialistes qui les soumettent au chantage de brader les richesses de leur pays contre un soutien complice pour les aider à se maintenir au pouvoir.
Ce n’est pas par hasard que la loi sur les hydrocarbures a été adoptée dans la précipitation, ce dimanche. La conjugaison de deux facteurs critiques a été déterminante. C’est au moment où les forces néocolonialistes se sont mises à faire mine de désapprouver la répression qui s’est abattue sur les manifestants algériens ces dernières semaines, allant jusqu’à menacer de constituer un Conseil national de transition algérien, par «l’audition de représentants du Hirak», entendre les militants de longue date qui pointent aux officines malveillantes contre la souveraineté nationale et infiltrés dans la Révolution du 22 Février, que les décideurs se sont tus pour laisser les exécutants expédier le bradage des hydrocarbures aux entreprises des puissances néocolonialistes. Ahmed Gaïd-Salah parti en convalescence, terré derrière les rideaux, muet au Conseil des ministres, donnant l’ordre aux forces de sécurité de lever la main sur la bastonnade et les enlèvements habituelles. Ce dimanche, on n’a observé aucune arrestation ni violence significative de la part des forces de sécurité contre les manifestants.
Autrement, le débat national sur les hydrocarbures et sur l’énergie généralement et les décisions à prendre, ne peuvent être légitimes que si le peuple aura conquis sa souveraineté législatrice. Quels que soient les arguments avancés par les experts du régime en termes d’urgence. La préoccupation devant les besoins de consommation d’énergie de plus en plus importants, la nécessité de la prospection de nouveaux gisements pour faire face au tarissement de ceux existants, la préservation des parts de marché déjà acquis et menacées par la concurrence. Tous ces arguments ne peuvent justifier la nécessité de recourir aux plus grands groupes pétroliers internationaux au détriment du développement des potentialités nationales, industrielles et humaines. Encore moins de justifier l’exploitation du gaz de schiste, reconnu comme un danger public sur de très vastes zones d’habitation où il sera exploité.
Si la lutte du peuple pour recouvrer sa souveraineté législatrice est une nécessité pour son émancipation politique de la dictature, elle est indissociable de sa lutte pour la souveraineté nationale, dans le sens où elle lui sert de levier pour lutter contre les visées néocolonialistes. Notamment par le rejet de cette loi sur les hydrocarbures qui ne peut bénéficier qu’à leurs convoitises des ressources énergétiques nationales et, subsidiairement, alimenter les réseaux de corruption des pouvoirs faibles au détriment du développement national.
Par le rejet de cette loi contraire à l’intérêt national, la Révolution du 22 Février s’inscrit définitivement et irréversiblement dans la marche du peuple algérien vers sa libération, tracée le 1er Novembre 1954 par la génération glorieuse qui a mis fin à la nuit coloniale. Désormais, la génération du 22 Février est en train de tracer à son tour une marche historique pour son émancipation de l’emprise néocolonialiste.
Ce qui est certain, c’est que la traîtrise n’aura aucun effet à long terme sur la détermination du peuple à vouloir accomplir son destin selon sa volonté, et ce, quelle que soit la violence à laquelle il doit faire face. Car la traîtrise est consubstantielle et structurelle à toute lutte politique pour l’émancipation. Le qualificatif de «harki», qu’il ne faut surtout pas confondre avec «hiraki», le manifestant des vendredis et mardis et aujourd’hui le dimanche, qui lutte pour l’émancipation de son peuple de la dictature militaire, est une notion qui a particulièrement désigné la posture du traître à son peuple dans sa lutte pour son émancipation de la servitude et de l’avilissement du système colonial.
Le harki était ce supplétif de l’armée coloniale pendant la Guerre de libération nationale, coopté pour se mettre en mouvement (haraka) dans l’objectif de contribuer à l’affaiblissement et à la neutralisation de la marche du peuple, dont il est issu, vers sa libération.
Entre le harki et le hiraki, bien que tous les deux se revendiquent de la même notion de mouvement, il y a cependant une divergence dans leur correspondance sémantique, par les directions opposées de leur mouvement.
Comme autrefois, pendant la Guerre de libération nationale, le harki se revendiquait d’un combat «juste» et «légitime» en soutenant l’armée coloniale «civilisatrice, généreuse et bienveillante», aujourd’hui, les alliés de la dictature tiennent le même discours en soutenant un régime corrompu et liberticide, en défendant sa stratégie de perpétuation de sa mainmise sur le pouvoir, par leur adhésion aux élections présidentielles de décembre, malgré son rejet massif par la population, qu’ils justifient par la nécessité de faire confiance à l’état-major, «garant de la souveraineté nationale, généreux avec le peuple et bienveillant sur son Hirak».
Comme autrefois, les soldats de l’ALN se voyaient se faire traiter de «terroristes» et les harkis de loyalistes. Aujourd’hui, le hirakiste est considéré par cette nouvelle figure du harki comme un traître à la patrie et le véritable harki, celui qui soutient un régime ayant bradé la souveraineté nationale aux néocolonialistes à travers l’adoption de cette loi sur les hydrocarbures, est considéré comme un «authentique patriote».
Mais ce n’est là qu’une conjoncture éphémère de toute puissance sur l’inversion des postures. La Révolution anti-néocolonialiste est en marche et le peuple algérien a brisé tous les murs de la peur et de la division pour pouvoir en venir à bout.
K. B.
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