Il faut affronter le système avec sa propre stratégie pour accélérer sa chute
Par Youcef Benzatat – Le plan de sortie de crise qu’évoquait fébrilement Bensalah devant Poutine, incrédule et hilare, à la rencontre de Sotchi, n’est autre que la stratégie du système pour prétendre neutraliser la mobilisation populaire. Il consiste à mener une répression soft et ciblée qui vise à neutraliser les sources les plus influentes sur la mobilisation populaire. L’arrestation des personnes les plus actives et les plus charismatiques qui sont engagées aux côtés du peuple dans sa mobilisation, les journalistes et les animateurs des réseaux sociaux qui accompagnent et encouragent au quotidien la mobilisation populaire avec ferveur et détermination. La censure des médias qui sont ouvertement opposés à la feuille de route de l’état-major et soutiennent l’idée de mettre fin au système pour laisser place à une véritable transition démocratique. La neutralisation de toute dissidence au sein des institutions civiles et militaires. En même temps, faire disparaître l’image de la mobilisation populaire des écrans des médias publics et privés autorisés, pour laisser place à une propagande sans discontinuer vantant le bienfait des élections présidentielles du 12 décembre et le mérite de l’état-major et son chef de «veiller scrupuleusement sur les intérêts sacrés de la patrie». Faire le vide autour de la mobilisation populaire et le trop-plein sur le patriotisme de l’état-major et le système de pouvoir qu’il incarne.
C’est une stratégie de dupes et ni Poutine ni le peuple ne sont disposés à gober un tel mensonge. Poutine, pour avoir été offusqué de la braderie des hydrocarbures au camp occidental, en déterrant la loi néocolonialiste sur les hydrocarbures de 2005, pour acheter son silence, et certainement d’avoir compris que le numéro tragicomique de Bensalah n’était qu’une tentative de corruption à son adresse, pour de futures accords et marchés bilatéraux en contrepartie d’un soutien à son tour de ce plan machiavélique. Le peuple algérien, pour avoir été berné depuis l’indépendance par de telles propagandes, d’autant que cette fois-ci encore elles lui sont distillées dans un climat de terreur répressive auquel il est déjà familiarisé.
Comme pour toute révolution, à commencer par celle de Novembre 1954, sa trajectoire est essentiellement déterminée par la réaction de la contre-révolution quelle voudrait renverser et, dans notre cas, cette réaction se résume à ce plan machiavélique du système, incarné par l’état-major de l’armée et son chef, déterminé à la faire échouer.
De ce fait, l’orientation de la trajectoire de la révolution en cours doit reposer sur les contrepoints de ce plan contre-révolutionnaire. En premier, combler le déficit d’image de la mobilisation populaire en transformant l’espace conquis pendant les mobilisations des vendredis et mardis, qu’il faudra étaler sur d’autres jours de la semaine en un véritable écran géant sur lequel viendrons s’afficher systématiquement les derniers évènements significatifs de la Révolution. En déployant massivement des messages et des slogans sur des pancartes et en diffusant des interventions de journalistes et de militants qu’il faudra amplifier. Remplacer les médias censurés et les journalistes incarcérés par une action médiatique collective en temps réel, concertée et structurée. Ensuite, tenant compte du fait que le système étant l’ensemble des procédures de cooptation des responsables à tous les niveaux des institutions civiles, militaires et sécuritaires, qui reposent sur un seul critère dominant, son autoconservation et dont le principal objectif est la prédation, obéissant à un consensus collégial issu de l’état-major de l’armée et dominé par un groupe restreint de généraux intraitables, cet écran géant devrait le médiatiser au plus près possible. Dénoncer sans relâche les généraux identifiés comme membres de ce collège de l’état-major, les responsables civils, militaires et sécuritaires cooptés pour servir le système, les médias et les journalistes complices de la propagande de ce plan et tous les exécutants de la feuille de route qui doit mener aux élections présidentielles du 12 décembre.
Jusqu’au 22 février de cette année, le système jouissait d’une bonne santé à tout égard. Il n’a connu dans son existence, depuis l’indépendance, aucun réel contre- pouvoir suffisamment structuré et déterminé à lui contester son hégémonie sur la société. A partir de cette date historique, un contre-pouvoir a émergé de l’unité du peuple qui s’est affirmé solidaire et déterminé à mettre fin à son asservissement par le système et ses symboles civils et militaires. En l’affrontant par sa propre stratégie, il ne pourra pas résister longtemps et il finira par imploser pour laisser place à une nouvelle Algérie d’émerger. Car les grèves annoncées, la dissidence des magistrats entamée, le boycott des élections présidentielles envisagé, les manifestations hebdomadaires spontanées sauront être efficaces et largement partagées par l’ensemble de la population qui n’aura aucune difficulté à y adhérer.
Y. B.
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