Homo politico algerianus ou le rôle pathétique d’idiots utiles
Par Mouanis Bekari – Il y a quelque chose de pathétique dans le rôle d’idiots utiles que les postulants à la présidence de la République ont choisi d’endosser dans l’élection projetée. Bien sûr, la fascination vénéneuse du pouvoir est universelle. Bien sûr, elle est intemporelle et les plus grands esprits nous ont mis en garde à son propos. En particulier quant à sa propriété sans égale à révéler les prédispositions de ceux qu’elle subjugue. Les mieux disposés y déploient leur valeur et les médiocres y révèlent leur petitesse. Les vertus des uns et les vices des autres se trouvant amplifiés par une caisse de résonance à nulle autre pareille : l’action politique.
On imagine qu’en plus de la satisfaction légitime d’avoir fait œuvre utile pour la communauté, y entre une part d’orgueil qu’il serait malvenu de blâmer, étant donné les détriments que les candidats subissent dans leur quête de reconnaissance. Ce n’est donc pas tant leur ambition qui importune, quand elle n’indigne pas, que l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes et plus encore celle qu’ils se font de nous. Ainsi, à écouter MM. Benflis et Tebboune, qu’entend-on ? La litanie habituelle de recettes usagées, faites d’exonérations démagogiques, de subventions alimentaires et de promesses chimériques. A cela s’ajoute les engagements à défaire l’environnement qui les a produits, dont ils tirent des bénéfices inespérés, étant donné leur incompétence et leurs passifs, et dont ils servent les intérêts avec un zèle jamais pris en défaut. Ce qui leur vaut d’en espérer la plus haute fonction qu’il puisse confier sans affaiblir son pouvoir : la présidence de la République. Une fonction bien abîmée, passablement dépréciée depuis vingt ans et même récemment humiliée en public et à l’étranger, mais qui reste suffisamment avantageuse à leurs yeux pour justifier l’opprobre qu’ils sont disposés à encourir.
Comme il faut bien admettre que les trois autres prétendants ne sont là que pour porter le bât, à moins que l’inconsistance de M. Mihoubi et celle des deux autres faire-valoir ne soit récompensée, MM. Benflis et Tebboune s’imaginent les plus aptes à recevoir l’investiture présidentielle. Mais à quels titres ? Hormis l’imprimatur d’un Conseil constitutionnel vautré dans le discrédit, et leurs prédispositions à endurer les humiliations que leurs apparitions publiques leur vaudront, quelles aptitudes font-ils valoir pour réclamer nos suffrages ? Aucune ! Car ni le fait d’avoir été congédié outrageusement pour M. Tebboune, ni celui d’avoir été publiquement déconsidéré pour M. Benflis ne sont des prouesses lorsque ces avanies sont infligées par ceux à qui l’on a fait allégeance. Ce ne sont là que les vicissitudes banales de la servilité. Les exciper comme autant de marque d’indépendance à l’égard de leurs maîtres déchus dit deux choses : d’abord que MM. Benflis et Tebboune confondent orgueil et vanité. Ensuite qu’ils croient normal d’éprouver pour les Algériens le mépris auquel les a habitués une carrière de courtisans à laquelle ils se sont consciencieusement soumis en offrant tous les gages qu’elle réclamait.
En réalité, leurs parcours les rendent organiquement impropres à appréhender les aspirations des Algériens, en dépit des leçons administrées depuis neuf mois avec une éloquence, une patience et une pédagogie qui seraient venu à bout des plus obtus mais non des moins disposés. Telles sont les raisons qui les poussent à postuler une charge à laquelle ils sont tous les deux inaptes, et plus encore au regard de la maturité dont fait montre le peuple algérien et des enjeux en cours.
La récente déconvenue subie par M. Benflis, conspué abondamment lors d’une sortie privée, est venue à propos pour lui apprendre, on n’ose dire lui rappeler, que l’on ne peut impunément faire mine de dénoncer les effets dont on approuve les causes. Ses vitupérations initiales sur les forces «extraconstitutionnelles» se sont révélé des propos dont l’opportunisme n’a guère résisté aux faits, son tropisme l’inclinant irrésistiblement vers le pouvoir et ses tenants. A la décharge de M. Tebboune, on retiendra qu’il n’a jamais laissé croire qu’il était autre chose qu’un apparatchik aux ordres, conscient que les tribulations de cet état peuvent valoir des déboires dont il convient de s’accommoder. Ce qu’il fait avec une apathie qui souligne sa parfaite acquisition des codes du «système».
Reste les déclinaisons de la question de fond : pourquoi des personnes blanchies sous le harnais du servage restent-elles sourdes aux appels à l’émancipation ? Pourquoi préfèrent-elles garder le cou pelé plutôt que de s’affranchir du licol qui les asservit ? Quel embarras les empêche d’entendre ce que des millions discernent clairement, à savoir que le peuple algérien est décidé à recouvrer un droit qu’il a gagné au prix d’infinies souffrances ? Quelle que soit le biais par lequel on tente de répondre, il mène invariablement à la même répartie : l’indifférence à l’égard du sort de l’Algérie et un mépris sans borne pour le peuple.
Une réponse que les Algériens ne doivent pas laisser impunie.
M. B.
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