L’historien Jean-Pierre Filiu : «Le scrutin du 12 décembre n’a aucun sens !»
Par Karim B. – L’historien français Jean-Pierre Filiu a affirmé que «les Algériens n’attendent rien du scrutin du 12 décembre». Intervenant sur la chaîne française TV5, le politologue a ajouté qu’«ils (les Algériens) n’essayent même pas de s’interroger qui sera le futur Président si mal élu jeudi prochain. Ils clament dans la rue, de la manière la plus forte, la plus ferme, leur refus d’une élection qui va – ils le disent – à l’encontre de leur devoir national».
«Les Algériens, a ajouté ce professeur au sein de l’Ecole des affaires internationales, veulent en finir avec ces mascarades électorales.» «Le cinquième mandat de Bouteflika les a jetés dans la rue en février dernier. Ils y sont retournés toujours aussi nombreux, toujours aussi déterminés, toujours aussi pacifiques. C’est le quarante-deuxième vendredi sans aucun incident à déplorer, avec toujours la même discipline collective, aussi bien à Alger que dans des dizaines de villes du pays», a fait remarquer Jean-Pierre Filiu, en assurant que «le message est très clair et très fort : cette élection n’a aucun sens».
Réagissant à la dernière sortie du ministre de l’Intérieur, l’historien a rappelé que cela participe du décalage qu’il y a entre le régime et le peuple. «Ceux qu’on appelle en Algérie pudiquement les décideurs, c’est-à-dire les quelques généraux qui tiennent le pays en main dans l’ombre, ont été obligés par le Hirak de tomber le masque», a souligné l’historien, qui a relevé que «c’est la première fois que le chef d’état-major s’exprime un vendredi parce que, généralement, il voulait que sa parole ne coïncide pas avec les slogans des manifestants». «Il (Gaïd-Salah, ndlr) a annoncé pour jeudi prochain une fête électorale, il a même décidé par avance que la participation serait massive, [mais] la réponse des Algériens est très simple : on ne peut pas gérer un pays comme une caserne, on respecte l’armée, mais que les généraux fassent leur métier et qu’ils nous laissent vivre enfin libres !» a soutenu Jean-Pierre Filiu.
Répondant à une question sur l’avenir du Hirak, l’auteur d’Algérie, la nouvelle indépendance, a fait savoir que «la seule certitude, c’est qu’il n’y aura pas énormément d’Algériens qui voteront jeudi prochain, mais vendredi ils manifesteront de nouveau». «Leur détermination est entière, a-t-il dit, parce que, jusqu’à aujourd’hui, Gaïd-Salah, qui n’est officiellement que vice-ministre mais qui est le vrai maître du pays, n’a accepté aucune forme de dialogue sincère.» Pour le politologue, «il faut espérer que cette élection en trompe-l’œil va enfin l’amener à accepter ce dialogue, ces négociations, ces pourparlers vers une transition démocratique».
Ce qui fait l’exception du Mouvement populaire algérien, selon Jean-Pierre Filiu, «ce sont ce pacifisme, cette fierté, cette joie et le fait que les Algériens se redécouvrent dans leur diversité, qu’ils ont enfin une identité heureuse où ils acceptent d’être ceci et cela et encore autre chose, sans être obligés de choisir». «Et puis, pour un historien, a-t-il insisté, c’est absolument fascinant : cette jeunesse que l’on dit dépolitisée, que l’on dit être branchée sur ses écrans, elle dévore les livres d’histoire, elle veut comprendre son histoire qu’elle veut se réapproprier la mémoire après tant d’amnésie. On voit comment les Algériens réhabilitent les figures de la lutte de libération nationale, comme ils se réclament d’Amirouche, d’Abane Ramdane, de Larbi Ben M’hidi, etc., comment, aujourd’hui, le détenu d’opinion le plus populaire, celui qui est vraiment le symbole est un ancien résistant de 86 ans, Lakhdar Bouregâa dont la photo est présente dans tous les défilés».
«Il est évident que la tentation de la violence [face à la répression] est toujours là, mais les militants ont parfaitement compris que c’était le piège le plus dangereux dans lequel ils pourraient tomber et que ce serait faire le jeu de ce régime qu’ils veulent démanteler si, justement, ils cédaient à ses provocations», a conclu Jean-Pierre Filiu.
K. B.
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