Des solutions pour le Mouvement populaire
Kaddour Naïmi – Suite à la contribution précédente (1), un lecteur a écrit : «Ce que nous voulons, c’est des solutions concrètes aux doléances du peuple algérien et que vous expliquiez clairement comment vous allez vous y prendre pour sortir l’Algérie et les Algériens du marasme dans lequel ils se trouvent. Expliquez-nous avec précision !» Cette réaction montre que la contribution précédente nécessitait une précision. La voici.
Est-ce qu’un «expert» en économie sait mieux qu’un ouvrier, ce dont ce dernier a besoin pour vivre de manière matériellement digne ? Est-ce qu’un «expert» en politique sait mieux qu’un citoyen ordinaire ce dont ce dernier a besoin pour vivre de manière libre, égalitaire et solidaire ? Est-ce qu’un «expert» en sciences sociales sait mieux que les citoyens d’un immeuble, d’un quartier, d’une usine, d’une université comment travailler, étudier et vivre ensemble de manière harmonieuse, autrement dit, réciproquement bénéfique ? Un peuple n’est-il pas composé de multiples unités sociales de base territoriale ? Si ces dernières deviennent capables de trouver les solutions pour elles, celles-ci ne peuvent-elles pas constituer un résumé correspondant au peuple dans son ensemble ?
Faillites des «experts»
Comme exposé dans la contribution précédente, les «experts» en tout genre font tout pour faire croire qu’ils sont les seuls capables de trouver les solutions, reste au peuple à les exécuter, ce peuple étant considéré ignorant et incapable de savoir ce dont il a besoin pour vivre dignement. Pourtant, l’Algérie et la planète entière se portent-elles bien suite à l’application des «recettes» de tous les «experts» du monde, des plus prestigieux aux plus obscurs ? Pollution, course à l’armement, crises financières cycliques, guerres d’agression impérialistes, convoitises néo-colonialistes sur les matières premières, colonialisme féroce contre le peuple palestinien, corruption par les multinationales, blanchiment d’argent dans les banques, prostitution, trafic de drogue, émigrés noyés en mer ou assassinés par des policiers des frontières, arsenaux nucléaires capables de pulvériser plusieurs fois la planète Terre, etc.. Autrement dit, des systèmes sociaux dominés par l’appât du gain quel que soit le prix (ou le crime), la guerre permanente entre les minorités de possédants (de voleurs) et de démunis (de volés), au sein et entre les nations. Voilà le résultat des «experts» en économie, en politique, en sociologie, en culture, en religion, etc.
Dans ce résultat catastrophique pour les peuples, les «experts», eux, sont grassement payés par les Etats, les institutions internationales, les universités «prestigieuses» et autres agences et organismes étatiques ou paraétatiques ou privés, notamment les banques, les multinationales, les «instituts» d’études (think tanks).
Malgré ces méfaits et – disons-le – ces crimes, ces «experts» parviennent à faire croire aux peuples, par l’intermédiaire de médias de conditionnement idéologique (journaux, chaînes de télévision, cinéma, etc.), qu’ils sont et seront toujours les seules personnes capables de fournir des solutions aux problèmes des peuples. Comment, dès lors, faire appel à des «experts» sans prendre la précaution de vérifier quels sont leurs réussites et leurs échecs ?
Capacités citoyennes
Il reste aux peuples à finir par prendre conscience du rôle exact de ces «experts» en tout genre. Alors, les peuples comprendront que les solutions réelles, efficaces, dans l’intérêt des peuples, ne peuvent venir que d’eux-mêmes. Etre instruit ne signifie pas automatiquement être intelligent et être intelligent ne signifie pas automatiquement servir les intérêts du peuple.
Comment les peuples devraient agir, alors ? En se dotant de leurs institutions propres, créées par eux et pour eux, puis à celles-ci trouver et élire leurs représentants avec – la précision est vitale – mandat impératif.
Le problème général ainsi exposé, revenons au commentaire du lecteur en ce qui concerne le Hirak. Les citoyens et citoyennes doivent se réunir en comités de résidence (immeuble, quartier, ensemble de quartiers, localité entière) en comités d’activités professionnelles (usines, fermes, etc.), en comités d’activités éducatives (école, lycée, centre de formation professionnelle, université, etc.), en toute forme de comités selon les activités sociales.
Au sein de ces comités, échanger les idées, en discuter la pertinence de manière démocratique, en veillant à servir les intérêts réels du peuple. Les participants aux comités constateront alors, en apprenant à discuter et à réfléchir de manière sereine et objective, sur la base d’arguments concrets, qu’ils sont capables de trouver eux-mêmes les solutions, éventuellement avec le concours de personnes compétentes qui participent aux comités, en veillant à ce qu’elles ne manipulent ni conditionnent les décisions à prendre.
Comment éviter ces risques ? En sachant quels sont les besoins pour vivre matériellement de manière digne : logement, santé, travail, éducation, loisirs, droits d’association et d’expression, etc. Les «experts» le savent-ils mieux que les citoyens ?
La fédération horizontale de tous les comités (ou assemblées) de la périphérie au centre (et non pas de la «base» au «sommet», pour éviter l’autoritarisme hiérarchique élitiste) permettra de dégager un programme commun ou, si l’on veut, une feuille de route. Des discussions (démocratiques et bien réfléchies) jaillira la lumière (les solutions).
Cette structuration nécessitera une durée plus ou moins longue en fonction des capacités du Mouvement populaire en termes d’union (au-delà des divisions idéologiques), de résistance aux infiltrations manipulatrices (par l’emploi du mandat impératif), d’arrestations de représentants (en sachant les remplacer par d’autres). Ce travail est long et difficile ? Est-il sensé de croire qu’un changement social qui donne le pouvoir au peuple se limite à des marches hebdomadaires joyeuses (quelle que soit leur durée), éventuellement avec quelques arrestations et quelques blessés ? Pour avoir cette illusion, il faut soit ignorer l’histoire sociale des peuples, soit manipuler le peuple pour garder le contrôle sur lui en vue d’intérêts de caste élitaire. Il s’agit donc de s’asseoir ensemble, de réfléchir de manière sereine et objective et de décider en pratiquant la démocratie réelle, en fédérant les décisions jusqu’au niveau national et de confier leur concrétisation à des représentants comptables devant le peuple grâce au mandat impératif. Certes, c’est difficile, peut-être très difficile même ! Mais c’est indispensable. Là est le vrai défi que doit gagner le Mouvement populaire.
K. N.
(1) «Elites et peuple : compléter l’inachevé», in https://www.algeriepatriotique.com/2019/12/18/une-contribution-de-kaddour-naimi-elites-et-peuple-completer-linacheve/
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