Quand Zitout «ordonne» à l’Algérie d’intervenir militairement en Libye
Par Mokhtar Ouyoucef – Lors de son Live de 52 minutes du lundi 6 janvier 2020, consacré en grande partie (à partir de la 20e minute jusqu’à la fin) à la crise libyenne, Mohamed Larbi Zitout, qui aime à se présenter comme ex-diplomate, au regard de sa courte expérience à l’ambassade de Libye, appelle, de manière hautement subtile, l’Algérie à intervenir militairement en Libye à côté de la Turquie qui a déjà envoyé ses militaires sur place. Faisant l’impasse sur les innombrables dangers de la situation en Libye, Zitout exhorte le pouvoir algérien à envoyer nos militaires en Libye. Pour lui, l’Algérie devra, coûte que coûte, s’allier avec la Turquie, soutien d’Al-Sarraj contre Haftar et ses soutiens, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, France, la Russie, la Jordanie et Israël.
La vérité est que Zitout ne comprend pas, ou feint de ne pas comprendre que les intérêts turcs en Libye ne convergent pas avec ceux de l’Algérie, et que la présence même de la Turquie en Libye, à l’instar de la présence de toutes les autres composantes étrangères, est problématique pour l’Algérie.
Cet appel de Zitout est juste hallucinant. Il se permet, depuis Londres, d’imposer une conduite à l’armée algérienne. C’est du jamais vu. Il n’évalue même pas les conséquences d’une telle action. Zitout humilie l’ensemble des militaires algériens et l’ensemble des acteurs politiques. Il humilie, encore plus ceux qui se sont alliés avec lui et avec Rachad.
Le problème n’est pas Zitout lui-même, en tant que personne, et ce qu’il pense. Le danger est qu’il est suivi naïvement par de milliers d’Algériens qui pensent que sa parole est exempte de toute erreur. Nombreux sont les Algériens qui le croient détenteur de la science infuse et qui le croient un as de la diplomatie et de la géopolitique.
Mais qu’en est-il de Zitout ? Est-il conscient des conséquences et répercussions d’une guerre entre plusieurs puissances en Libye ? A-t-il conscience que l’implication de l’Algérie dans une guerre à sa frontière équivaut à une guerre directe en Algérie ? Est-il conscient de la situation explosive qui pourrait, à tout moment, nuire à l’intégrité territoriale de l’Algérie, qu’a engendrée l’intervention étrangère et à laquelle il avait appelé de toutes ses forces en 2011 ?
Ce que ne dit pas Zitout est que durant les événements dits du printemps arabe, commencés en 2011, la diplomatie algérienne a préconisé une solution politique discutée entre tous les acteurs libyens et en dehors de toute ingérence internationale ; position identique à celle sur la Syrie.
La diplomatie algérienne n’a ménagé aucun effort pour éviter toute intervention étrangère en Libye en soutenant un dialogue entre Kadhafi et les autres acteurs. La diplomatie algérienne, regroupant le ministère des affaires étrangères avec d’autres services y compris du renseignement, a vu juste en avertissant, alors, qu’une intervention étrangère en Libye déclencherait une guerre civile et mettrait toute la région en ébullition.
En effet, la diplomatie algérienne savait qu’une intervention militaire en Libye finirait par une guerre civile avec, en prime, la prolifération de groupes terroristes avec quantité d’armements lourds dont personne, ni la Libye ni l’Algérie, ne pourrait en maîtriser ni le devenir ni l’utilisation. Elle savait aussi qu’un conflit en Libye finirait par nous atteindre.
A l’époque, au lieu d’essayer de comprendre les enjeux réels, Zitout s’était mis à critiquer la position algérienne et à appeler ouvertement et clairement à une intervention militaire en Libye, comme l’avait fait Bernard-Henri Lévy. Oser donc aujourd’hui donner des leçons à la diplomatie algérienne est juste une aberration intellectuelle.
Zitout répétait alors toutes les thèses sorties de services de renseignement occidentaux et relayées par des opposants libyens, des canaux moyen-orientaux et des canaux turcs. Il a été utilisé consciemment, comme tant d’autres, dans la propagande pour la destruction de la Libye. Il a été utilisé consciemment à des fins de manipulation de l’audience algérienne. C’est à ces fins de manipulation que son discours est rempli d’insinuations et d’omissions volontaires.
Un premier exemple est que, durant sa longue intervention, Zitout a réussi l’exploit de ne citer même pas une fois le Qatar. Ceci n’est nullement un oubli malencontreux mais bel et bien une omission volontaire et calculée.
Cette omission volontaire suffit, à elle seule, de dévoiler la «partialité» de Zitout. Par cette omission, il souhaite ombrer les liens qu’entretient le Qatar avec lui et Rachad, notamment au travers L’ONG Al-Karama, sise en Suisse, dont fait partie Mourad D’hina. Elle vise aussi à éviter de raviver des soupçons pesant sur la chaîne Al-Magharibia qui, comme tout le monde le sait, secret de Polichinelle, reçoit des financements qataris.
Un second exemple de manipulation est un mensonge pur et simple, et ce pour justifier l’injustifiable : l’envoi par la Turquie de mercenaires internationaux en Libye.
Plusieurs médias internationaux ont fait part de cet acheminement de mercenaires par la Turquie. Zitout en a fait allusion lors de son live du lundi 30 décembre 2019 (de la minute 10 à la minute 23) mais en avançant une autre version des faits : «Bachar Al-Assad envoie, sur instigation expresse de Poutine, des centaines de militaires syriens en Libye aux côtés de Haftar. En réponse, l’opposition syrienne envoie des combattants pour défendre Tripoli et le gouvernement d’Al-Sarraj contre les militaires syriens», a-t-il argué.
Une recherche sur Internet ne permet nullement de trouver un début d’information sur cet envoi de militaires syriens par Bachar Al-Assad, militaires qui sont en alerte maximale depuis 2011. Et Zitout n’a jamais reparlé de cette version dans ses interventions suivantes, y compris lors de live du 6 janvier 2020.
Par ces allégations, Zitout souhaite innocenter la Turquie dans cette démarche dangereuse en faisant porter le chapeau à l’opposition syrienne qui, justifie-t-il par ailleurs, répondrait à une action de Bachar Al-Assad. Consciemment, Zitout souhaite aussi amoindrir et atténuer la dangerosité pour l’Algérie de l’envoi de mercenaires étrangers en Libye par la Turquie, en la relativisant.
En réalité, l’envoi de mercenaires étrangers en Libye par Erdogan répond à un autre agenda. En effet, Erdogan est pressé de se débarrasser de tous les mercenaires installés sur ses frontières avec la Syrie. Il est convaincu que s’il n’agit pas rapidement, ces mercenaires deviendraient, à terme, un danger pour la Turquie, notamment après la résolution du conflit syrien. Cet envoi fait partie de la stratégie d’Erdogan de pacification de ses frontières. Ce dernier souhaite revenir à sa doctrine «zéro conflit aux frontières» qu’il avait initiée avant 2010.
Ainsi, même si les militaires turcs rentrent chez eux, ces mercenaires vont rester en Libye. Erdogan préfère les savoir morts ou agissant en Libye que de les voir retourner en Turquie. Pensée partagée, par ailleurs, par l’ensemble des pays dont sont originaires ces mercenaires qui, au fait, ne sont que de vulgaires terroristes. Et c’est dans cet état de fait que réside le grand danger de la démarche turque. D’ailleurs, pour certains analystes, c’est là le véritable objectif d’Erdogan, à savoir l’éloignement de tous les mercenaires présents en Turquie depuis 2011.
Pour l’Algérie, cet envoi est juste intolérable car la présence de terroristes en Libye est une menace directe pour l’Algérie. Hélas, Zitout et compagnie, pourtant conscients de ces dangers, n’ont émis aucune condamnation à l’encontre de la Turquie qui stabilise sa frontière en déstabilisant la nôtre. Pire, ils l’applaudissent.
Cependant, nombreux sont les Algériens qui ont condamné la démarche turque. La plus forte de ces condamnations est, incontestablement, celle de Lakhdar Bourgrâa lors de sa première intervention médiatique après sa sortie de prison, une condamnation qui a fortement indisposé Zitout.
En réalité, Zitout est loin de comprendre les enjeux internationaux et encore moins ceux qui touchent à l’Algérie. Et son acharnement contre la position algérienne est abjecte. Zitout s’est focalisé sur la critique du pouvoir algérien et sur le dénigrement des renseignements algériens. De ce fait, pour ses analyses et conclusions, il écarte systématiquement, à la pavlovienne, tout ce qui vient d’Algérie et de ses renseignements.
Il répète à longueur de ses interventions que son combat contre le pouvoir en place dure depuis 25 ans. Sait-il au moins qu’il est passé d’une déception – justifiée ou pas, là n’est pas le sujet –à la colère et de la colère à la haine ?
La haine engendre la destruction. Si lui ne sait pas, les renseignements occidentaux, eux, savent.
M. O.
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