L’échec de Kamel Daoud devant sa tentative de mystification du Hirak
Par Youcef Benzatat – L’objectif du Hirak algérien n’est pas différent de celui des mouvements populaires des pays dominés par des régimes corrompus et soumis au diktat du néocolonialisme sous ses différentes formes et, principalement, par le biais de ses multinationales et leurs appuis politiques, notamment en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique. C’est aussi le même combat que mènent les mouvements populaires en Europe contre des régimes soumis au diktat d’une mondialisation orientée au profit d’un capitalisme sauvage contre la justice sociale, notamment en France avec les Gilets jaunes.
Pour lutter contre la percée et la convergence de ces mouvements révolutionnaires, l’oligarchie mondiale dispose, outre des armées dissuasives, de tout un arsenal de médias puissants et d’institutions attrape-nigauds chargés d’accomplir cette abjecte besogne. Le magazine Le Point, connu pour être l’un de ces médias relais de cette conspiration mondiale contre les peuples, a trouvé en Kamel Daoud le levier idéal par lequel frapper d’ostracisme le Hirak algérien. En effet, Kamel Daoud a été choisi par ces relais comme l’Algérien idéal pour mener à bien cette mission périlleuse dont l’objectif serait de faire débat et d’influencer négativement les militants du Hirak. Sa naïveté juvénile, caractérisée par l’intellectualisation approximative et non maîtrisée, voire dévoyée de problèmes qui affectent profondément le progrès et l’émancipation de la société algérienne, doublée de sa cupidité et conjuguée à sa notoriété, était, pour eux, un gage de bonne réussite de la mission qui lui a été confiée, celle de livrer une lecture du Hirak algérien erronée, mystificatrice et pervertissant sa lutte antinéocolonialiste.
La naïveté juvénile, la cupidité et le dévoiement de l’intellectualisation de problèmes profonds qui affectent le progrès et l’émancipation que connaît l’Algérie ne sont pas propres à Kamel Daoud, d’ailleurs, et à l’Algérie en particulier. Beaucoup de journalistes, écrivains, intellectuels, algériens ou appartenant à d’autres pays, en sont victimes. A se demander comment beaucoup d’entre eux parviennent à capter le dévolu des institutions littéraires attrape-nigauds. Ce sont, en fait, la récompense d’un travail acharné pour modeler la figure idéale du candidat recherché.
Dans le cas de Kamel Daoud, il fallait faire «sa guerre à la guerre d’Algérie» en réhabilitant Albert Camus comme Algérien à part entière, contrairement au pied-noir adepte de l’Algérie française comme il se définit lui-même. Naïveté ou calcul ciblant l’attrape-nigaud ? Consciemment ou non, il réhabilite la colonisation tout en tournant en ridicules les maquisards qui ont sacrifié leur vie pour leur idéal de justice, de liberté et de dignité dans «sa guerre à la guerre d’Algérie», allant jusqu’à induire implicitement la délégitimation de la décolonisation. Fait frappant, il passe sous silence toute la cruauté de la barbarie coloniale.
Dans le sillage de Frantz Fanon, Rachid Boudjedra qualifie pathologiquement cette naïveté juvénile chez Kamel Daoud de «complexe du colonisé» et pour l’intellectualisation approximative et non maîtrisée des problèmes profonds qui affectent le progrès et l’émancipation que connaît l’Algérie. Il les attribue à la caricature et aux clichés véhiculés par le discours du colonisateur sur l’histoire et la culture du colonisé.
Le magazine Le Point a trouvé donc chez Kamel Daoud une prédisposition idéale pour anéantir le sens du combat que mène le Hirak algérien et sa convergence avec les mouvements populaires ailleurs dans le monde. Il titre, sous sa plume, «Où en est le rêve algérien ?» suivi du sous-titre sous une forme performative : «Comment le soulèvement populaire du 22 février 2019 a-t-il pu échouer ?» La forme performative du sous-titre ne laisse aucun espace au doute sur l’échec du Hirak, même si, plus loin, il temporise en mettant l’échec entre parenthèses par sa suspension au provisoire. Mais le recours à la forme performative dans l’énonciation initiale a déjà provoqué le choc psychologique vers l’acceptation de l’échec. Toute la lecture du texte sera conditionnée par l’échec du Hirak et même en se reprenant après coup dans un tweet, le coup est déjà tiré, la balle ne peut plus revenir à sa position initiale.
Cet échec, selon lui, repose essentiellement sur la problématique dans laquelle il excelle le mieux et qui fait le bonheur de ses mécènes rétributeurs, celle de la négation et, au mieux, de la minoration de la lutte contre l’injustice sociale internationale, autrefois sous la forme coloniale et aujourd’hui néocoloniale.
Alors que le Hirak n’a cessé de dénoncer la loi sur les hydrocarbures imposée par le pouvoir au détriment de la souveraineté économique nationale et la complicité des appuis politiques des multinationales bénéficiaires, Kamel Daoud va pervertir cette dénonciation en une dérive culpabilisatrice, dirigée «obsessionnellement» vers l’ancienne puissance coloniale comme source de tous les maux qui affectent la société algérienne. Le Hirak, selon lui, aurait donc dévié de son objectif de démocratiser la vie politique pour se tourner «obsessionnellement» vers la France pour régler le passif colonial. C’est à cette dérive donc qu’il attribue cet échec.
En fait, le rejet massif de la loi sur les hydrocarbures, illustré par de nombreuses manifestations dans les grandes villes algériennes, s’inscrit naturellement dans la continuité de la voie de l’émancipation que le peuple algérien a tracée depuis le 1er Novembre 1954. Le colonialisme vaincu, il lui faudra à présent affronter le néocolonialisme qui instrumentalise les pouvoirs faibles des ex-colonisés pour perpétuer le pillage des richesses et maintenir les peuples dominés dans un sous-développement généralisé et permanent.
Les pouvoirs faibles, ce sont les décideurs illégitimes qui exercent le pouvoir par la violence, en confisquant la souveraineté législatrice à leur peuple. Ils deviennent ainsi vulnérables à l’instrumentalisation par les néocolonialistes qui les soumettent au chantage de brader les richesses de leur pays contre un soutien complice pour les aider à se maintenir au pouvoir. Ce n’est pas par hasard que la loi sur les hydrocarbures a été adoptée dans la précipitation aux moments forts du Hirak. Quels que soient les arguments avancés par les experts du régime en termes d’urgence : la préoccupation devant les besoins de consommation d’énergie de plus en plus importants, la nécessité de la prospection pour de nouveaux gisements pour faire face au tarissement des gisements existants, la préservation des parts de marché déjà acquises et menacées par la concurrence. Tous ces arguments ne peuvent justifier la nécessité de recourir aux plus grands groupes pétroliers internationaux au détriment du développement des potentialités nationales, industrielles et humaines. Encore moins de justifier l’exploitation du gaz de schiste, reconnu comme un danger public sur de très vastes zones d’habitation où il sera exploité. Si la lutte du peuple pour recouvrer sa souveraineté législatrice est une nécessité pour son émancipation politique de la dictature, elle est indissociable de sa lutte pour la souveraineté nationale, dans le sens qu’elle lui sert de levier pour lutter contre les visées néocolonialistes. Notamment par le rejet de cette loi sur les hydrocarbures qui ne peut bénéficier qu’à leurs convoitises des ressources énergétiques nationales et subsidiairement alimenter les réseaux de corruption des pouvoirs faibles au détriment du développement national.
La génération du 22 Février est en train de tracer à son tour une marche historique pour son émancipation de la domination néocolonialiste.
Pour faire cohérent et soutenir son élocution performative de «l’échec» du Hirak, Kamel Daoud n’hésite pas à reprendre à son compte une gigantesque manipulation du pouvoir, celle de montrer que le peuple à travers sa mobilisation dans le Hirak a définitivement abdiqué devant le régime en pleurant la mort du dictateur Ahmed Gaïd-Salah lors de ses funérailles.
En fait, les funérailles de celui qui incarnait le système ont été organisées et présentées par les médias publics et privés, à sa solde, sur la base d’un grossier mensonge. Près d’un millier de bus avaient transporté de l’intérieur du pays des dizaines de milliers de personnes vulnérables pour venir constituer devant les caméras une impression de foule accompagnant le cortège mortuaire, en contrepartie d’une modeste somme d’argent. Le pire est que les propagandistes ne s’étaient même pas préoccupés d’organiser leur retour dans leurs villes et villages. Pour la plupart de ces personnes déplacées à Alger, qui n’avaient jamais mis les pieds à Alger, elles se sont retrouvées abandonnées à elles-mêmes, errant dans les différentes banlieues d’Alger, hagardes et sans aucun repère pour s’orienter devant une population médusée. Pour donner également une impression de foule massée aux portes du cimetière d’El-Alia où la dépouille devait être enterrée, des milliers de jeunes soldats ont été mobilisés et transportés à cet endroit. Et pour rendre le mensonge encore plus grossier, les techniciens des laboratoires de la fabrication de l’image en ont rajouté une couche, en retouchant après coup les images filmées pour grossir encore l’image de la foule et donner une impression au spectateur d’une immense foule accompagnant le cortège funéraire jusqu’à la mise à terre du défunt. L’objectif était de rehausser le sentiment d’adhésion du peuple aux actions menées par cet homme et au pouvoir qu’il représentait devant l’opinion nationale et internationale, sachant que les images de cet enterrement avaient fait le tour du monde.
La levée de boucliers des intellectuels, des journalistes, des écrivains, des militants du Hirak ou des simples citoyens s’exprimant sur les réseaux sociaux, autrefois aveuglés par la consécration internationale de Kamel Daoud par ces attrape-nigauds, pour dénoncer cette dérive outrancière contre l’intelligence du peuple algérien dans sa lutte contre tous les obstacles qui se dressent sur son chemin pour prendre en main son destin, vient de lui infliger ainsi qu’à ses mécènes une défaite et un échec dont ils ne pourront plus se relever, et de revenir encore une autre fois se frotter à ce peuple dont la résistance à l’injustice et aux convoitises de sa souveraineté remonte à plus de deux mille ans d’antécédents.
Y. B.
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