Hervé Bourges raconte son amitié avec Ben Bella et ses déboires avec la SM
Par Mohamed K. – La chaîne française France 5 a rendu hommage à Hervé Bourges, en rediffusant un documentaire réalisé en 2012. L’ancien patron du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) y révèle des faits inconnus du plus grand nombre pendant la Guerre d’Algérie et après l’indépendance du pays. Au lendemain du cessez-le-feu, Hervé Bourges, qui s’était occupé du dossier algérien, avait été invité par Ahmed Ben Bella de le rejoindre à la villa Joly pour l’aider à «construire l’Algérie nouvelle». «Je ne comptais pas du tout, après l’Indépendance, venir ici [en Algérie]. Et je reçois un coup de téléphone d’Ahmed Ben Bella me disant [qu’]on a gardé un très bon souvenir de vous, est-ce que vous ne voulez pas venir nous aider à construire l’Algérie nouvelle ? C’était une folie de répondre oui compte tenu des circonstances. J’étais jeune, j’ai cédé à cette folie. Je suis rentré au cabinet d’Ahmed Ben Bella, j’avais la carte numéro 3, en qualité de conseiller technique», a-t-il confié.
Mais Hervé Bourges sera rattrapé par le «redressement révolutionnaire» pour sa proximité avec le Président déchu. «Quand il y a eu le coup d’Etat du colonel Boumediene le 19 juin 1965, je me suis dit : ‘’Qu’est-ce que je fais là encore ?’’ Je me suis trouvé dans une situation délicate, j’ai compris tout de suite que certains s’intéressaient à moi puisqu’au tour de ma maison, je voyais des voitures qui rodaient, je me suis dit ce ne peut être que les voitures de la Sécurité militaire», a-t-il affirmé. «Et un petit matin, vers 5, 6 heures [du matin], on a frappé à ma porte. Marie (son épouse, ndlr) m’a dit : ‘’Ça y est, ils sont là, laisse-moi aller leur ouvrir !’’ Ils ont fouillé, puis ils ont sorti tout à coup un revolver de mon placard en disant : ‘’Mais qu’est-ce que c’est que ce revolver ?’’ Je leur ai répondu que je n’en savais rien puisque c’était eux qui venaient de l’y mettre. Ils m’ont mis dans le coffre de la voiture, j’ai senti qu’on montait, qu’on allait à différents endroits. Je savais que c’était sur les hauteurs où il y avait des centres de détention», a-t-il ajouté. «Ils m’ont interrogé sans arrêt, de 8 heures [du matin] jusqu’à 2 heures [du matin], j’étais malmené, je dois le dire. Au petit matin, on m’a dit qu’il n’y avait pas de problème, qu’on n’avait rien à me reprocher et que, de ce fait, j’étais libre», a-t-il raconté.
L’ami de l’Algérie qui quittera le pays à la fin de l’année 1966, décédé le 24 février dernier, a affirmé avoir appris plus tard que le cardinal Duval, Edmond Michelet, Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika étaient intervenus en sa faveur.
Interrogé par un étudiant à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille sur son engagement humaniste dans les années 1950, il a répondu : «J’ai pris des risques, je n’étais peut-être pas très conscient. C’était l’Algérie qui m’intéressait à l’époque. J’avais peut-être tort parce que je m’étais beaucoup impliqué avec le risque de passer pour un traître du côté français ou une barbouze du côté algérien, mais ça s’est très bien passé, sauf que j’ai été plastiqué après par l’OAS et condamné à mort par le général Aussaresses.»
Durant la guerre, Hervé Bourges dit avoir vécu parmi la population pendant des mois. «J’étais témoin d’un certain nombre de choses, témoin d’arrestations qui ont eu lieu. J’ai vu dans quel état étaient ces prisonniers, comment ils étaient interrogés par les gendarmes et les militaires et j’ai vu, en Algérie, une chose assez étonnante : des camarades qui étaient des communistes et d’autres qui étaient des objecteurs de conscience, je les ai retrouvés sur le terrain obéissant au doigt et à l’œil aux ordres qui leur étaient donnés à l’époque par l’armée française et j’en ai vu certains qui se sont mis même à torturer les gens du FLN qui avaient été arrêtés et qui le faisaient sans que ça leur pose de problèmes», a-t-il regretté. «J’étais choqué. Je leur ai posé la question, ils m’ont dit : ‘’On est là pour obéir.’’ J’étais très frappé de voir dans la vie comment les gens, en fonction des circonstances, pouvaient devenir lâches. J’ai compris ce qu’était la nature humaine», avait-il conclu, dépité.
M. K.
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