Coronavirus : quand l’état des affaires importe plus que la santé des citoyens
Par Mesloub Khider – Depuis plusieurs semaines, tous les projecteurs sont braqués sur la Chine et l’Europe en proie à la pandémie de coronavirus. Chaque jour, les chiffres de personnes contaminées doublent, de même pour les décès. Avec plus de 160 000 cas enregistrés dans le monde entier, un nouveau palier de gravité sanitaire a été un atteint. L’Italie affiche un taux de mortalité exceptionnellement élevé. Paradoxalement, les médias focalisent leur attention sur les pays européens, mais semblent complaisamment occulter le cas des Etats-Unis, pourtant victimes du coronavirus. Or, avec les dernières informations, dévoilées par certains médias américains qu’on ne peut accuser d’être subversifs, on découvre que ce pays constitue un foyer de contagiosité virale très développé, avec des estimations de propagation évaluées à plusieurs millions de personnes.
En effet, dans son édition du vendredi 14 mars 2020, le New York Times a publié des estimations internes du CDC, esquissant de multiples scénarios de propagation du virus. Le New York Times prévoit qu’«entre 160 millions et 214 millions de personnes aux Etats-Unis pourraient être infectées au cours de l’épidémie», et que «jusqu’à 200 000 à 1,7 million de personnes pourraient mourir». Le Times poursuit : «2,4 à 21 millions de personnes aux Etats-Unis pourraient avoir besoin d’une hospitalisation, ce qui pourrait écraser le système médical de la nation, qui ne dispose que d’environ 925 000 lits d’hôpital avec du personnel».
Pourtant, en dépit du désastre sanitaire annoncé, aucune mesure drastique de protection de la population américaine n’a été entreprise. Hormis des réponses chaotiques improvisées, aucune politique sanitaire pérenne n’a été instituée, illustration de l’indifférence gouvernementale devant la propagation accélérée du coronavirus. Pour preuve, lors d’une conférence de presse donnée le vendredi 13 mars 2020 à la Maison-Blanche, conférence tenue paradoxalement en compagnie de dirigeants de quelques entreprises médicales et pharmaceutiques, le président américain Donald Trump n’a annoncé aucune mesure sanitaire draconienne pour juguler la propagation de la maladie ou étendre le traitement des malades, aujourd’hui livrés à eux-mêmes.
En revanche, il a déclaré que la majorité de la gestion sanitaire relative à la crise du coronavirus serait confiée aux entreprises privées. Aussi, selon la volonté lucrative discrétionnaire du milliardaire président Trump, tous les diagnostics de coronavirus seraient effectués par des sociétés privées. Plus grave, ces diagnostics ne seraient pas réalisés dans les hôpitaux, mais effectués dans les parkings des grands supermarchés, tels Walmart. De même, Trump a annoncé que le site web de coordination des tests serait conçu et géré par une société privée capitalistique, en l’espèce Google. Mais ce dernier a aussitôt démenti l’information, précisant n’avoir mis en œuvre aucun site de gestion relatif au coronavirus. Du moins pour le moment.
En outre, Trump n’a pas hésité, de manière éhontée, à préciser que la pandémie Covid-19 constitue une opportunité économique pour les entreprises pharmaceutiques et les laboratoires américains en quête de fructueux profits. De fait, c’est cette soif de profit qui a asséché les services sociaux, privés de subventions publiques, accaparées par le capital privé. Cette désaffection de l’Etat a provoqué la dégradation et la destruction des services sanitaires, rendus totalement inopérants pour remplir leurs missions sociale et hospitalière, encore moins pour parer à toute catastrophe pandémique médicale.
Une chose est sûre : par leur gestion de la crise du coronavirus, marquée par un indécent esprit de désinvolture et de dilettantisme, accomplie avec un amateurisme digne des républiques bananières, les dirigeants des principaux pays capitalistes occidentaux ont démontré leur faillite. Plus grave : pour ces classes dirigeantes et possédantes, la crise de la pandémie Covid-19 ne constitue pas une problématique sanitaire, mais un incident économique qu’il convient de juguler avec le moins d’impact sur les profits. Pour preuve : alors que des mesures de confinement totales ont été instituées, avec interdiction de déplacement et de rassemblement, les classes capitalistes possédantes contraignent leurs esclaves-salariés à se déplacer (de surcroît dans les transports publics, ces foyers de contagiosité aigüe, maintenus ouverts pour pouvoir acheminer les travailleurs) et à se rassembler dans ces bagnes industriels, tertiaires et administratifs, lieux vecteurs de contaminations).
Aussi, aujourd’hui, face à la gravité de la situation sanitaire, pour les classes dirigeantes, leur principale préoccupation est d’éviter l’impact de la crise du Covid-19 sur la santé de leurs affaires, et non sur la santé de la population. Ils sont davantage affolés par la baisse du cours de leurs actions boursières et le taux de leurs plus-values que par l’augmentation exponentielle du nombre de personnes infectées par le coronavirus ou par l’explosion du taux de mortalité provoqué par le virus. A cet égard, lors de sa dernière conférence du vendredi 13 mars, Trump a envoyé un message explicite à Wall Street : qu’importe le nombre de décès par le Covid-19, la situation sanitaire dramatique et pathologique de la population réduite à vivre dans la détresse psychologique du fait de l’absence de prise en charge médicale, seul compte pour «mon gouvernement la protection de vos richesses et de vos profits».
A cet effet, la bourgeoisie est épargnée par le souci de soins : elle a toujours accès aux meilleures infrastructures hospitalières pour se soigner, grâce à ses moyens financiers et aux établissements sanitaires privés. Incontestablement, cette conférence a rassuré Wall Street. Pour preuve : à peine Trump a-t-il achevé son discours que l’indice Dow Jones des valeurs industrielles a gagné plus de 1400 points, constituant la plus forte hausse boursière quotidienne de l’histoire.
Assurément, la légèreté avec laquelle les différents Etats gèrent la crise du Covid-19 révèle le cynisme de ce système capitaliste décadent. Récemment, la chancelière Angela Merkel a déclaré, sur un ton serein, sans manifester la moindre inquiétude, que 60 à 70% de la population allemande seraient probablement infectés, avec comme conséquence potentielle la mort de centaines de milliers ou de millions de personnes. En Angleterre, la semaine dernière, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a, quant à lui, déclaré, avec la même froideur et insouciance scélérates : «Je dois être honnête avec le public britannique : beaucoup plus de familles vont perdre des êtres chers avant leur heure.» Plus dramatiquement, en dépit de cette menace sanitaire, les deux pays n’ont aucunement pris des mesures de protection pour endiguer la crise.
Au contraire, le conseiller scientifique principal de Johnson, Patrick Vallance, a insisté sur la nécessité du gouvernement britannique de ne pas tenter d’empêcher le coronavirus d’infecter le public : «Il n’est pas possible d’empêcher que tout le monde en soit atteint, et ce n’est pas non plus souhaitable», a-t-il cyniquement avancé. Cette déclaration rejoint l’opinion générale des classes possédantes favorables à l’élimination d’une partie vulnérable surnuméraire de la population au moyen du coronavirus. Un des porte-parole journalistiques des classes possédantes, le chroniqueur du British Telegraph, Jeremy Walker, rapportant les discussions agitant les cercles dirigeants, a déclaré récemment : «Le Covid-19 pourrait même s’avérer légèrement bénéfique à long terme, en éliminant de façon disproportionnée les personnes âgées dépendantes.» Très efficace moyen pour régler la question des retraites et des hôpitaux délabrés : par l’élimination des retraités et des malades.
En vérité, aujourd’hui, le principal cauchemar des classes dirigeantes mondiales n’est pas lié aux répercussions sanitaires catastrophiques du Covid-19, mais au surgissement inévitable des révoltes sociales, provoquées par la situation de misère sociale et de pénuries alimentaires. D’emblée, en Italie, on assiste à des grèves des travailleurs pour protester contre l’obligation irresponsable de devoir travailler en pleine pandémie.
Au final, le Covid-19, au lieu de neutraliser et d’enrayer les mouvements sociaux déjà largement répandus ces derniers mois dans de nombreux pays, notamment en Algérie, va accélérer la dynamique de la lutte des classes. C’est une question de survie pour le prolétariat mondial, dont les conditions de vie vont dramatiquement se dégrader du fait de la mise au chômage de millions de travailleurs consécutivement aux fermetures de centaines de milliers de sociétés du tertiaire, décrétées par de nombreux gouvernements européens, notamment l’Italie, la Belgique, la France et l’Espagne.
M. K.
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