Prime liée au Covid-19 : un médecin remet le ministre de la Santé à sa place
Par Houari A. – C’est à une réponse cinglante qu’a eu droit le ministre de la Santé de la part d’un médecin exerçant dans le secteur public et qui se bat avec ses confrères aux avant-postes contre l’épidémie du coronavirus. «Nous n’avons besoin ni de reconnaissance ni d’applaudissements pour faire notre travail ; en revanche, nous avons besoin de moyens matériels, d’une organisation efficace, de leaders qui ne seraient motivés que par le bien apporté aux malades, et ce dans un système de santé qui se doit d’être performant», écrit ce praticien dans un long réquisitoire posté sur la page d’un groupe de militants qui se donne pour nom Jeunes Algériens pour le changement (JAC).
«Il y a deux ans, les résidents ont mené une grève pour dénoncer les failles du système de santé. Coups de matraque et arrestations ont été la réponse apportée par l’Etat. Devant un peuple passif, impitoyable, qui disait que nous méritions ce qui nous arrivait. Maintenant qu’être médecin semble être redevenu à la mode, par pitié, prenez-nous enfin au sérieux et cessez ces manœuvres politiciennes bouche-trou qui ne soulignent qu’un amateurisme manifeste. On ne range pas sa chambre en mettant toutes ses affaires sous son lit. Attaquez-vous aux vrais problèmes. Et au passage, sachez que nul ne saurait acheter notre dignité !» s’est insurgé ce médecin qui affirme avoir appris avec «surprise» la décision du président Tebboune d’accorder une prime au personnel soignant.
«Etonnant ! Que s’est-il passé pour que nous passions d’enfants gâtés à héros de la nation ?» ironise le médecin. Et de poursuivre, toujours sur un ton sarcastique : «Il faut dire qu’on a été plus habitués aux coups de matraque sur la tête qu’à la reconnaissance et aux éloges. Tant mieux pour nous. Entre les dépenses en bavettes, camisoles, lunettes de protection, sur-chaussures, transport, bouffe, forfaits téléphoniques pour contacter nos malades, et autres, il est évident que l’on sait à quoi servira cette somme.» Le médecin militant se pose, alors, deux questions : pourquoi ne pas utiliser l’argent des primes pour nous fournir du matériel pour soigner dignement nos malades, tout en nous protégeant efficacement ? De quelle manière cet argent nous filera entre les doigts ? «Parce qu’il est évident qu’avant d’arriver dans notre compte en banque, cet argent va subir la terrible et impitoyable épreuve du filtre administratif», répond-il en estimant qu’«une annonce à la télévision devant des millions de personnes, et relayée sur les réseaux sociaux est beaucoup plus spectaculaire qu’un budget destiné à des hôpitaux. On attire l’attention sur ce que l’Etat apporte, en évitant soigneusement de parler des manquements qui existent depuis des lustres», explique ce médecin, qui voit dans cette prime une opération médiatique sans plus.
La réponse à la seconde question, selon lui, n’a pas tardé à se faire entendre. «Il aura fallu attendre quelques jours seulement pour que notre cher ministre de la Santé, à demi-caché derrière une bavette mal-placée qui ne recouvrait ni sa bouche ni ses bêtises, nous bredouille quelques nuances. Tout à coup, il ne suffirait plus d’être médecin, mais médecin exposé», commente-t-il, en relevant l’impertinence de la décision du gouvernement, tout en reprochant au ministre d’avoir voulu «attirer l’attention sur les médecins en arrêt de travail de complaisance – qui ne doivent être qu’une poignée – que sur la quasi-totalité des médecins qui ont répondu présents face à cette crise et qui risquent leur santé depuis bien longtemps».
«Alors, dans cette mini-tempête de quartier, il serait intéressant de faire savoir à notre cher ministre que si cette prime est un droit, à aucun moment elle n’a été une condition nécessaire pour que nous fassions notre travail. Nous avons répondu présents depuis le début et continuerons à le faire autant que perdurera cette crise», conclut le médecin.
H. A.
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