La raison d’être de l’ANP est de défendre les frontières nationales
Par Ali Akika – J’ai été désagréablement surpris de lire que les «experts désignés» ont suggéré d’inscrire dans la Loi fondamentale un changement de doctrine militaire de l’ANP. Cette proposition tourne le dos à une politique qui puisait sa philosophie de la non-ingérence et de la solidarité avec les peuples. Cette philosophie confortait le prestige du pays (1) gagné de haute lutte par une Guerre de libération qui a fixé le regard du monde sur elle pendant sept ans.
J’ai eu l’occasion de donner mon point de vue dans des articles contre l’insistance des apprentis sorciers d’une certaine presse française qui flattaient la puissance régionale de l’Algérie pour l’attirer dans le groupe des pays africains du Sahel chapeauté par la France. Cette flatterie a fait mouche chez certains de chez nous qui «invitaient» l’ANP à franchir ses frontières pour donner une leçon aux intégristes qui infestaient le Mali. Je me souviens d’avoir écrit un article dans Algeriepatriotique pour dénoncer le point de vue de ceux qui voulaient faire jouer aux cow-boys les soldats de l’ANP. Heureusement, l’ANP n’est pas tombée dans le piège. Elle se serait embourbée comme la France et le Tchad, son bon élève.
Aujourd’hui, la situation s’est compliquée avec le chaos en Libye où ce ne sont plus des bandes armées hétéroclites qui activent mais une fourmilière de puissances – et par n’importe lesquelles –qui veulent participer au partage du gâteau. Mettre le doigt dans cet engrenage est plus qu’une erreur politique et militaire ; c’est une faute(2). Tous les pays qui ont mis les pieds dans ce genre de bourbier ont laissé leurs morts sur le terrain et noirci leur prestige sur le plan international. Je ne parle pas seulement des habitués de ce genre d’aventures mais aussi de pays comme l’ex-URSS qui intervint en Afghanistan pour soutenir un gouvernement en bute à des groupes divers, dont l’un est connu aujourd’hui sous le nom de Taliban. Ceci pour dire qu’un Etat a pour souci d’agir dans le cadre du droit international et la raison d’être de ses forces armées est la défense du territoire national.
Hors de ce territoire, ces forces agissent dans des missions de l’ONU jugées nécessaires pour des raisons humanitaires. Elles peuvent également sortir hors de leurs frontières quand un pays est l’objet d’une agression et son armée a même le droit de le poursuivre jusqu’à sa tanière sans demander aucune autorisation à quiconque. C’est inscrit dans le droit de la guerre. Ce genre d’action est du reste validé par le droit international.
Je sais que le droit international est une fiction pour des pays spécialistes de brigandage international. La liste de ce brigandage est épuisante à énumérer, mais tout le monde l’a en tête. Jusqu’à présent, l’Algérie est intervenue en conformité avec le droit international dans des missions humanitaires de l’ONU, aux côtés de l’Egypte agressée par Israël, un Etat avec lequel l’Algérie est officiellement en guerre. Elle est aussi intervenue sur un territoire (le Sahara Occidental), occupé par une puissance étrangère, le Maroc, qui avait auparavant massacré des soldats algériens dans une de leur base. Les terribles représailles de l’ANP se sont déroulées à Amgala pour faire comprendre à cet agresseur qu’il ne fera plus le coup de 1963 quelques mois après l’indépendance sans payer le prix fort.
Heureusement que l’Algérie ne suit pas les lâchetés de la Ligue arabe qui expulse un pays fondateur (la Syrie) de ladite Ligue, celle-là même qui cautionne les interventions lâches et criminelles de l’Arabie et autre myriade des îles du Golfe contre le Yémen. Après ce survol rapide sur la doctrine militaire du pays, voyons les enjeux d’aujourd’hui qui militent encore plus contre toute réforme de la doctrine en question. Les partisans de cette réforme veulent nous faire croire que la situation a changé et que des retouches y sont nécessaires. Seule une analyse ample et sérieuse permet de cerner les enjeux et prendre des décisions adéquates. L’opinion est en droit d’attendre les raisons d’éventuelles innovations de la doctrine.
Les enjeux géopolitiques et stratégiques de l’Algérie dans la région. Tout Etat surveille son environnement géopolitique comme le lait sur le feu. Et en fonction de cet environnement, il élabore ses positions stratégiques, aussi bien dans ses relations économiques, diplomatiques que militaires. Ce dernier facteur est en dernière analyse le garant de sa sécurité. Ainsi, par sa position géopolitique (ce concept comprend aussi son prestige au niveau international découlant de liens politiques entretenus avec des pays ou les peuples de ces pays), l’Algérie a une double porte. L’une qui s’ouvre sur l’immense continent africain tant convoité par moult puissances. L’autre porte donne sur l’Europe où se concentrent des marchés économiques considérables et des puissances militaires non négligeables.
L’Algérie, immense pays ayant une profondeur stratégique dont rêvent toutes les armées, est entouré de pays avec qui elle n’a pas de contentieux. Même avec le Maroc, les divergences portent sur le statut d’un territoire qui n’appartient, pas plus au Maroc qu’à l’Algérie puisque le dossier est entre les mains de l’ONU sous le chapitre territoire à décoloniser. A première vue, l’Algérie n’est pas directement menacée mais peut subir des effets de troubles de son environnement. Ces troubles sont constitués par des groupes armés à l’intérieur de pays frontaliers.
Depuis quelques années, la présence directe ou indirecte de puissances étrangères profitant du chaos libyen est bruyante. La France et l’Angleterre, à l’origine de ce chaos, semblent ne pas profiter totalement des fruits de leur agression. D’autres acteurs, Egypte, pays du Golfe, Turquie, Russie, sont à l’évidence mieux pourvus que ces deux pays dans cette lutte pour participer au festin d’un éventuel dépeçage de la Libye. Pour des raisons évidentes (de voisinage et historique), l’Algérie ne peut rester ni silencieuse ni participer à ce dépeçage qui, faut-il le signaler, est l’œuvre de pays lointains d’Europe et d’Asie, excepté l’Egypte.
En fonction de cet environnement géopolitique, et en tenant compte des puissances qui tirent les ficelles en étant embusqués derrière des pays du Golfe, y a-t-il des raisons politiques et militaires pour changer la doctrine de l’ANP ? Le simple fait de faire intervenir l’armée algérienne dans un champ de bataille embouteillé par tant d’intervenants pose d’emblée question. Quel ennemi l’ANP va-t-elle combattre, dans quelle tranchée et aux côtés de qui va-t-elle remplir «sa part de travail» ?
L’Algérie, qui a déclaré à maintes reprises qu’elle milite pour une solution politique en Libye qui préserve l’unité du pays, les Algériens verraient mal leur pays participer à des batailles aux côtés de pays dont les objectifs sont aux antipodes de sa position de principe. Elle doit donc rester fidèle à sa traditionnelle posture diplomatique et rester sourde aux appels des sirènes qui ont déjà voulu l’impliquer dans l’opération pilotée par la France au Sahel. Elle n’a pas vocation à être un pompier pour éteindre un incendie allumé par d’autres. L’Occident a tendance à utiliser la tactique inventée par les Américains au Vietnam nommée «vietnamisation de la guerre». Une formule cynique et méprisante qui consiste à faire lutter les Vietnamiens entre eux pour que les Américains tirent les marrons à leur profit tout en économisant la vie de leurs soldats.
D’aucuns chez nous veulent profiter de l’aggravation de la situation en Libye avec les multiples interventions de puissances étrangères pour introduire de nouveaux éléments dans la doctrine du pays. Aussi faut-il éviter les erreurs qui risquent de coûter la vie de nos enfants, de nos frères et pères pour des intérêts autres que ceux du pays. La prudence et une ample vue stratégique de la situation incitent à ne pas rejoindre le panier à crabes de ces pays.
Une analyse d’une pareille situation recommande plutôt d’utiliser les atouts de la position géopolitique et stratégique non négligeable du pays : armée suffisamment solide adossée à un peuple qui vomit toute intervention étrangère et qui plus est, un pays avec une profondeur stratégique qui sera le cimetière des mercenaires envoyés par leurs seigneurs. Ces atouts exploités par une habile et tenace diplomatie obligeraient les acteurs qui s’invitent dans la région à réfléchir avant de venir chatouiller l’ombrageux peuple algérien dès lors que l’on touche à sa terre qui a connu tant de bottes d’envahisseurs.
Je terminerai cet article en rappelant des évidences de l’art de la guerre : la supériorité de la défense en tant que facteur stratégique qui s’appuie sur le peuple qui transforme le pays en forteresse. La stratégie de l’attaque est plutôt chérie par des conquérants qui finissent tôt ou tard à rebrousser chemin, penaud. L’histoire depuis l’antiquité à nos jours a validé la défense sur l’Art de la guerre.
Un très grand stratège nommé Napoléon l’a appris dans les immensités de la Russie et ses descendants l’ont vécu dans les montagnes et la jungle à Diên Biên Phû. Ainsi, la guerre est-elle une chose sérieuse pour ne pas être pensée à la légère. Et une armée a besoin d’être organisée par des visionnaires qui cernent l’essence et les vertus de la stratégie. Et une grande stratégie est un atout majeur dont a besoin une grande Constitution.
A. A.
(1) Ce prestige, je l’ai ressenti en Argentine où j’ai vu le drapeau algérien brandi à côté de celui de Cuba par le peuple qui exprimait son admiration et sa solidarité avec ses deux pays. Une seconde fois dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban où des fidayine me disaient : «Nous réaliserons notre rêve comme votre peuple a réalisé le sien.»
(2) Mon sentiment est que l’Algérie peut utiliser ses atouts visibles et invisibles pour empêcher les prédateurs d’arriver à leur but. La «discrétion» des trois puissances (Etats-Unis, France et Angleterre «noyées» dans leurs problèmes) offre des opportunités d’autant que les autres «conquérants» se détestent royalement entre eux. Quant à la Russie, en raison de sa puissance et l’habilité de son Président qui ne fonce pas à l’aveuglette, ne peut ne pas tenir compte du point de vue de l’Algérie.
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