Une contribution de Ramdane Hakem – Aux racines du nom de l’Algérie
Par Ramdane Hakem – Alors qu’une inquiétude grandissante quant au devenir du pays se fait sentir, et que d’aucuns s’interrogent sur le sens même de leur appartenance à l’Algérie, je me suis amusé à creuser l’origine de ce vocable. Certes, les racines de l’Algérie remontent très loin dans l’histoire du Nord de l’Afrique : «Les Berbères nous paraissent présents, dès la plus haute Antiquité, dans le pays où nous les trouvons aujourd’hui ; ils étaient alors connus sous les noms de Numides, Maures, Gétules et, plus globalement, Libyens. Ces populations étaient là avant les premiers intervenants historiques que furent les Phéniciens, fondateurs d’Utique, Lixus et Carthage.» [1].
La constitution en nation spécifique des habitants du Maghreb central est toutefois très récente et intimement liée aux bouleversements introduits par la colonisation française, à partir de 1830. On peut dire que l’Algérie n’existe vraiment comme nation spécifique qu’à partir de 1962, année de son indépendance.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale (1914-1918), le terme d’Algérie, identifiant aujourd’hui la nation et l’Etat algérien, n’avait pas de sens pour les «indigènes». Ou, s’il en avait un, ce sens était éloigné de celui que nous lui prêtons communément. Il désignait les pieds-noirs, les Européens d’Algérie, comme l’écrit Mohamed Harbi : «Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’expression peuple algérien désignait les Européens. (…) C’est plus particulièrement entre les deux guerres que le terme Algériens sera employé pour nommer ceux que le discours colonial définissait alors par leur confession (les musulmans), leur langue (les Berbères, les Arabes) ou leur région (les Kabyles, les Mozabites, les Chaouia, etc.)» [2].
Le discours colonial n’était pas le seul à désigner par ces termes les autochtones d’Algérie ; eux-mêmes ne s’identifiaient pas autrement. Jusque dans les années 1930-40, l’idée nationale telle que nous la concevons aujourd’hui n’avait pas encore mûri dans les consciences : «Il faut bien réaliser l’état d’inconscience dans lequel nous étions. Je crois que la majorité des gens qui habitaient l’Algérie – je ne dis pas les Algériens – étaient dans un état d’inconscience. Il y avait une minorité d’hommes politiques qui avaient conscience de ce qu’ils étaient, de ce qu’ils voulaient, mais la majorité des habitants, à mon avis, non. Et pour moi – si je dois retrouver un sentiment de mon enfance –, c’était l’évidence que je n’avais pas d’autre pays. Ce pays était tellement mien que je ne pouvais même pas m’imaginer dire que c’était le mien. Je n’en avais pas d’autre. Mon pays, c’était la place de la Lyre, c’était Alger.» [3].
C’est, paradoxalement, l’administration coloniale qui a introduit l’usage des termes d’Algérie et d’Algériens à compter du 14 octobre 1839. A cette date, le ministre de la Guerre – la France ayant délibérément violé le traité de paix signé avec l’Emir Abdelkader – avait décidé d’appeler «Algérie» les nouvelles «conquêtes» d’Afrique du Nord : «Le pays occupé par les Français dans le Nord de l’Afrique sera, à l’avenir, désigné sous le nom d’Algérie. En conséquence, les dénominations d’ancienne Régence d’Alger et de possessions françaises dans le Nord de l’Afrique cesseront d’être employées dans les actes et les correspondances officielles.» [4].
Les Français n’ont toutefois pas inventé le mot d’Algérie. L’Emir Abdelkader a parlé de «Watan El-Jazaïr» dans une (une seule !) de ses lettres aux juristes de Fès, en 1836 [5]. De même, et surtout, il y avait la Régence et la ville d’Alger, terme générique dont seront issus les mots d’Algérie et d’Algériens.
La Régence d’Alger, c’était ainsi que les Turcs – qui régnèrent sur la région de 1515 à 1830 –appelaient les territoires, au centre de l’actuelle Algérie, passés sous leur domination. L’Est du pays était sous l’autorité du bey de Constantine, tandis que l’Ouest était sous la domination du bey du Titteri. Ces différents beyliks étaient, selon les époques, plus ou moins rattachés au dey d’Alger, lui-même plus ou moins dépendant de la Sublime Porte.
Certains ont cru avoir trouvé dans ce règne ottoman les origines de l’Etat algérien [6]. Il reste que les Turcs, pas plus que les Français, n’ont inventé le terme d’Alger. Alors, d’où vient ce mot dont l’extension a donné Algérie et Algériens ?
La thèse d’une origine arabe est souvent citée par les historiens, déjà à l’époque coloniale, puis après l’indépendance du pays.
Selon une première hypothèse, ce nom aurait été donné au VIIe siècle à toute la région du Maghreb par les Arabes conquérants, le terme se serait par la suite, en quelque sorte, restreint à la partie centrale de l’Afrique du Nord : «Les Arabes, qui vinrent de l’est, baptisèrent Djezira El-Maghreb, l’Île de l’Occident, tous les pays à l’ouest de l’Egypte et, plus proprement, Maghreb El-Aqça, l’extrême occident du Maghreb.» [7].
Une autre version considère que le vocable El-Djezaïr, signifiant «îles» en arabe, a été donné à la ville qui porte le nom par Bologhin, émir de la dynastie ziride, en raison des nombreux îlots présents dans la baie : «A l’époque romaine, cette cité s’appelait Icosium. Dans la seconde moitié du IXe siècle, le prince ziride Bologhin lui a redonné vie. Il l’a baptisée El-Djezaïr, les Îles, à cause de quatre îlots rocheux situés à quelques encablures au large. Sur l’un de ces îlots, l’Espagnol Pedro Navarro a fait bâtir le fameux Penon, forteresse dont les canons pointent dangereusement sur les murs de la cité.» [8].
Cette citation de P. Montagnon nous introduit à une connaissance, nous semble-t-il, plus proche de la vérité. Effectivement, Alger a été construite par Bologhin Ibn Ziri, émir de la dynastie ziride, sur les ruines de l’ancienne Icosium, un parmi les nombreux comptoirs puniques [9] édifiés par Carthage sur la côte nord-africaine. Les Zirides régnèrent au Maghreb central entre 973 et 1060. Mais le terme d’Alger ne renvoie pas à un vocable arabe signifiant «les îles».
Ziri Ibn Manad était le chef d’une tribu sanhadja de la Petite Kabylie qui sauva, en 944, le calife fatimide El-Mo’iz assiégé à Mahdia, au sud de l’actuelle Tunisie, par l’insurrection d’Abou Yazid, dit «l’homme à l’âne». L’ambitieux calife chiite El-Mo’iz rêvait de régner sur l’ensemble du monde musulman à partir de la Mecque. Il conquit l’Egypte vers 970 et choisit de s’y installer. Bologhin Ibn Ziri, fils de Menad et chef de guerre reconnu, fut alors désigné comme émir du Maghreb. C’est lui qui fonda la ville d’Alger dont un quartier porte toujours son nom : Bologhin.
Ziri est le patronyme de la dynastie berbère de Kabylie qui édifia la ville d’Alger. «Izri» signifie la vue en tamazight. L’on en a tiré ziri (ou thiziri) pour le clair de lune auquel les Kabyles conféraient un pouvoir occulte. Il est possible que la tribu des Ziri tira son nom d’un culte qu’elle vouerait à thiziri, la lumière d’étoile. Elle fonda Alger en tant que capitale de toute l’Afrique du Nord. Telle est l’origine amazighe du nom de l’Algérie.
R. H.
[1] G. Camps, Les Berbères, Edisud, France, 1996, pages 11 et 12.
[2] Mohamed Harbi, séminaire, Sociologie de l’Algérie contemporaine, in Archives aquitaines de recherche sociale, département de sociologie, université Victor-Segalen, Bordeaux 2, numéro spécial 1996-1997, p. 48.
[3] D. Timsit, Algérie, récit anachronique, éd. Bouchène, 1998.
[4] P. Montagnon, p. 157.
[5] Pierre Montagnon, op cité, p
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