Maghreb, civilisation, langues, culture : si Mohamed Arkoun avait été écouté !
Par Kamel M. – Dans une interview enregistrée quelque temps avant son décès, le penseur algérien Mohamed Arkoun, enterré au Maroc, faisait un constat amer sur la situation du Maghreb. «Soixante ans de politique souveraine des Etats postcoloniaux dans cet espace politique ont choisi la fermeture intellectuelle, le rejet de la connaissance scientifique, le rejet des cultures européennes, ô combien enrichissantes et innovantes», regrettait-il. «Je ne veux pas dire par là de négliger la culture arabe. La culture arabe, elle-même, avec l’islam, a subi les vicissitudes de l’histoire depuis le XIIIe siècle. La langue arabe a coupé totalement avec le dictionnaire philosophique qui s’est enrichi du VIIe jusqu’au XIIIe siècles avec de grands philosophes qui pensaient et faisaient de la philosophie arabe, avec les juifs, les chrétiens et les musulmans, tous ensembles parlaient l’arabe», affirmait-il.
Evoquant la très sensible question des langues qui a refait surface en Algérie depuis les discours racistes de Gaïd-Salah, Mohamed Arkoun soulignait que celles-ci «sont la dignité et la richesse de l’Homme». «Il n’y a pas d’Homme sans langue qui l’enrichit», expliquait-il, en ajoutant : «Je m’enrichis du latin, du grec, de l’arabe et du berbère qui est la langue vernaculaire de la population de ce vaste espace depuis Benghazi jusqu’au Maroc.» «Effacer les langues et les civilisations, quelles qu’elles soient, est un crime contre la dignité de l’Homme», assénait encore le philosophe décédé à Paris en 2010. «Il faut savoir séparer le politique en tant qu’idéologique et le destin des cultures et des langues humaines», ajoutait-il.
Selon lui, «si l’espace maghrébin avait eu des dirigeants qui aient pu avoir dans la tête cette culture que je viens d’évoquer, l’espace maghrébin, aujourd’hui, serait intégré dans l’espace européen sans aucune espèce de différenciation». «Cette histoire ouverte sur l’ensemble de l’espace méditerranéen a été stérilisée, ignorée et chassée de la mémoire historique des Maghrébins. Saint-Augustin n’existe pas, maître de l’Europe, maître du catholicisme qui vivait à Hippone», regrettait-il.
Mohamed Arkoun critiquait sévèrement «l’option idéologique aveugle qui a appauvri intellectuellement, culturellement, scientifiquement, spirituellement, moralement l’ensemble de l’espace maghrébin qui ne serait absolument pas ce qu’il est aujourd’hui devant des impasses historiques, politiques, économiques et éducatives».
Si ce grand intellectuel algérien avait été écouté…
K. M.
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