Reportage de France 5 : pourquoi cinq jeunes qui s’assument ont été lynchés
Par Dr Abderrahmane Cherfouh – «Ce n’est pas l’arbitraire de la vie qui inquiète et pousse les gens à la rage, c’est l’arbitraire légalisé et derrière lui les cliques des rentiers de l’arbitraire.» (Max Weber) Le documentaire de Kessous diffusé sur France 5 a suscité la polémique et provoqué une onde de choc au sein du pouvoir algérien qui n’a pas hésité à rappeler notre ambassadeur à Paris. Excusez du peu ! Décidément, rien n’arrête ce pouvoir qui pousse le ridicule jusqu’en faire une affaire d’Etat pour un simple reportage qui n’intéresse personne, mis à part les Algériens.
Mais, c’est clair, le pouvoir a peur. Il a peur du retour du Hirak plus motivé que jamais et il commence à affûter ses armes et se préparer en conséquence pour en finir une bonne fois pour toutes avec le mouvement de contestation populaire. Acculé, poussé dans ses derniers retranchements, il a été sauvé par l’apparition de la pandémie qui a été une bénédiction pour lui et il va en profiter pour tout museler en emprisonnant tous les opposants, considérant le droit à la critique comme un crime de lèse-majesté.
Tout comme le pouvoir, le RND et le FLN ont peur eux aussi. C’est vers cet axe que convergent tous ses adeptes et ses acolytes qui se relayent pour se perpétuer. Cet axe a compris que c’est sa vie qui est en danger. Il agit par instinct de conservation. Désormais, tout ce qui le motive et l’anime, c’est sa propre survie. Pourquoi ne peut-il pas répondre à l’appel du Hirak et dénoncer la corruption, les inégalités sociales, l’injustice, l’obscurantisme ? Parce qu’il en est le concepteur et le parrain. Il ne peut vivre et durer sans la corruption qu’il a érigée en institution. La corruption, c’est la matière dont il se nourrit et nourrit ses relais. C’est son oxygène qui le maintient en vie. C’est ainsi que le pouvoir fonctionne et fixe les limites à ne pas dépasser, lui qui a toujours fait sienne cette terrible sentence : «Qui n’est pas avec moi est contre moi.»
Le pouvoir n’accepte que les laudateurs, les dociles et les nouveaux cohabitionnistes. Tous ceux qui refusent de se soumettre à sa dictature doivent disparaître. Mais le Hirak ne l’entend pas de cette oreille. Son objectif n’est pas faire des compromis et cohabiter, sa seule revendication légitime, c’est changer ce régime.
Pour ce faire, le pouvoir va actionner ses relais pour discréditer le Hirak. Des intellectuels en Algérie émane une série de rumeurs et des contre-vérités destinées à ternir le Hirak et à lui porter préjudice. «Le Hirak est né après une réunion à Paris», déclare l’un d’entre eux. De telles affirmations ne sont guère fondées, bien entendu. Cette affirmation ne repose sur aucune analyse sérieuse et s’appuie sur le mensonge et le jeu des fausses rumeurs pour distiller des informations inexactes ; une des armes favorites de ce régime. Le Hirak aurait échoué, le Hirak serait en perte de vitesse, le Hirak n’aurait plus d’avenir, clament d’autres.
C’est cette peur qui a fait réagir le pouvoir et ses alliés à la suite de la diffusion du reportage de France 5. Ils vont exploiter ce reportage pour légitimer tous les excès et toutes les rancœurs à l’endroit du Hirak. De quoi donner du grain à moudre au système lui-même qui cherche à redorer son blason terni par le mouvement révolutionnaire du 22 Février 2019, aux partisans de la main étrangère et à tous les agités du bocal du régime qui vont monter au créneau pour tirer à boulets rouges sur tous ceux qui ne leur ressemblent pas. Leur tentative mesquine de diversion prête à sourire. Ils choisissent bien leurs mots. Des mots qui choquent et qui frappent l’imagination. Des mots qui peuvent heurter les personnes sensibles et les affecter.
Mais la couleuvre est tellement grosse qu’elle est difficile à avaler. Devenu expert dans la ruse et par la manipulation de l’information, le pouvoir n’a pas hésité à utiliser des procédés très raffinés et diaboliques pour avilir l’autre. Parmi ces procédés, il en est un qu’on pourrait appeler la «technique de salissage», tellement bien conçu qu’il pourrait devenir un modèle et une référence dans le domaine de l’hypocrisie et de la calomnie.
Les cinq jeunes qui sont intervenus sur cette chaîne n’ont fait qu’exprimer leurs sentiments – comme beaucoup d’autres couches de la population d’opinions différentes auraient pu le faire – ont été presque lynchés et voués aux gémonies, même si leurs propos n’engageaient que leur personne et non le Hirak en général. Des jeunes Algériens traités comme une quantité négligeable, humiliés publiquement, discriminés ; en un mot, traités comme des moins que rien.
On aurait pu souhaiter que le pouvoir puisse remonter le cours de son histoire et dénoncer Bouteflika qui n’a pas hésité à aller se soigner en France pendant presque trois mois, portant atteinte à l’image de l’Algérie et de ses martyrs qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie puisse avoir ses propres hôpitaux et ses propres médecins. On aurait aimé que ces pourfendeurs du Hirak puissent appeler à respecter la Constitution et son article 102 qui prévoit la destitution du Président en cas de maladie grave et durable. Pendant sept ans, cet article n’a pas été appliqué et le Président qui était pourtant impotent, aphasique et sur une chaise roulante, continuait à présider l’Algérie, causant un préjudice immense à notre pays qui était devenu la risée du monde entier. On aurait aimé voir ces gens-là protester le jour où Bouteflika s’est plaint de Benflis au vice-Premier ministre portugais, à la veille de son quatrième mandat, pour une affaire purement algérienne.
Cruel paradoxe ! Ces enfants devenus adultes sont le fruit de ce régime. Ils n’ont connu que le règne calamiteux de Bouteflika, un Président imposé. Ils ont grandi dans un monde politique pourri, dans un monde où tout se négocie, où tout s’achète. Dans un monde où la trahison, le retournement de veste, l’hypocrisie règnent en maîtres absolus. Dans un monde où la corruption a été érigée en institution, où tout se monnaye, y compris la destinée de tout un peuple, sans aucune honte et sans aucun scrupule. Ces jeunes ont grandi dans le monde des oligarques, des milliards détournés, des élections truquées, des matchs de football vendus, dans un monde sans justice où dominent le culte du chef, le fait du prince, le parti-pris, l’absence de toute transparence et de toute objectivité. Un monde où c’est le Président qui incarne l’Etat et les institutions, un monde où le Président, ses amis et son entourage sont au-dessus de la loi. Des lois faites par lui et pour lui mais qu’il sera le premier à transgresser, à violer, à bafouer lorsque ses intérêts s’en trouvent menacés.
Qui a émis les règles du confinement ? Le gouvernement ! Qui n’a pas respecté les règles édictées par ce même gouvernement ? Le ministre du Commerce. Qui a autorisé le RND et le FLN à se réunir en ne respectant pas la loi ? C’est encore ce gouvernement !
A. C.
Comment (56)