Hirak et néocolonialisme : l’anathème et l’invective comme unique débat
Par Youcef Benzatat – A la suite de la polémique suscitée par la publication du dernier livre d’Ahmed Bensaada, Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? à charge contre certaines figures du Hirak, qui sont désignés comme des collaborateurs avec les puissances néocolonialistes pour encadrer et orienter le Hirak à leur profit, un débat serein et responsable entre ces figures du Hirak et l’auteur du livre est-il possible, comme l’appellent de leurs vœux certains journalistes soucieux de faire sincèrement leur métier ?
Nous avons déjà connu dans un passé récent une polémique similaire à la suite de la publication du livre de Rachid Boudjedra, Les Contrebandiers de l’histoire, qui dénonçait sévèrement l’alignement de certains écrivains algériens avec les thèses néocolonialistes sur l’histoire de la colonisation française de l’Algérie, sans avoir pu déboucher sur un véritable débat intellectuel responsable à la hauteur de la gravité du sujet.
Tout au plus, ces deux polémiques avaient enflé jusqu’aux dérives langagières les plus abjectes de la part des mis en cause, qui se sont soldés par des insultes et des menaces de recours à la justice pour diffamation, qui n’ont jamais eu le courage de les assumer dans un passage à l’acte !
Chaque fois qu’il s’agit de publications courageuses et sincères sur l’algérianité, le patriotisme et tout autre sujet relatif à la consolidation de l’édification nationale, son histoire et sa mémoire, une levée de boucliers de la part d’intellectuels, d’écrivains et de journalistes algériens se dresse pour vilipender son auteur dans une fuite en avant suspecte qui trahit leur mauvaise foi.
Ce fut le cas également pour le dernier article du professeur Abdellali Merdaci «Kamel Daoud, écrivain français : les combats irrésolus d’un espace littéraire algérien dominé», publié en ce début du mois de juin 2020 sur quelques blogs, dont celui d’Ammar Ingrachen, directeur de Frantz Fanon éditions, qui a eu, lui aussi, son lot de remontrance pour cette posture patriotique et bienveillante au profit de la littérature algérienne. Il sera également repris par la revue Afrique-Asie dont la ligne éditoriale est restée fidèle et immuable aux idéaux de décolonisation des années 1960.
Ce fut aussi le cas de ma dénonciation de l’instrumentalisation de la disparition d’Idir par des parties hostiles à la souveraineté nationale, surtout algériennes et notamment des officiels et des intellectuels français. Toutes sortes d’invectives y passaient, du valet des généraux, au raciste anti-Kabyle, ou alors me qualifiant de tango (islamiste), sans opposer le moindre argument, ni se soucier de faire débat sur de tels sujets aussi graves et importants pour la reconstruction en cours de l’édifice de la nouvelle République algérienne qui se profile en perspective de la lutte que mène le peuple algérien à travers le Hirak depuis le 22 février 2019.
On ne badine pas avec la souveraineté nationale et ce ne sont pas les invectives et les menaces de toutes parts, proférées par des contrebandiers de l’histoire et de faux opposants politiques au service des puissances néocolonialistes, de séparatistes identitaires tentés par les penchants dangereux du nationalisme ethnique ou des intégristes religieux à la solde d’un Orient obscurantiste qui viendront intimider l’engagement de citoyens algériens soucieux de contribuer à l’édification nationale sur la base d’une souveraineté chèrement acquise et scellée pour les générations à venir par le serment de Novembre 1954.
Le néocolonialisme n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité qui nous submerge de toutes parts. Il a allongé ses tentacules jusqu’au cœur du Hirak pour nous soustraire de l’histoire et nous dépouiller de notre souveraineté. Comme le sort qui a frappé la Libye, la Syrie, le Yémen, l’Irak, le livre enquête d’Ahmed Bensaada n’est que la partie visible de ses méfaits.
Des organismes sont chargés du recrutement, de la formation et du financement de blogueurs et potentiels militants subversifs pour inonder le champ de contestation politique en Algérie afin de l’orienter. Des réseaux de militants cybers activistes formés à cet effet par ses centres de formation, notamment Otpor, sont à l’œuvre en Algérie depuis plus d’une décennie déjà.
Une estimation fixe le nombre de blogueurs algériens impliqués dans ce programme à environ 200 personnes. Elles ont été formées pour être utilisées au moment opportun. Cela a commencé avec ce qui a été convenu d’appeler le «Printemps arabe».
Otpor est une école de subversion basée en Serbie. Elle est financée et soutenue par la CIA et le milliardaire Soros, qui a la charge d’essaimer des ONG disséminées dans les pays cibles ou à leurs proximités, lorsque les autorités de ces pays sont méfiantes. C’est le cas de l’ONG Freedom House, basée en Tunisie, pour cibler l’Algérie, qui a été maintenue en activité longtemps après la révolution du Jasmin. Beaucoup de militants du MJIC, du RAJ, de Barakat et de beaucoup d’autres groupuscules actifs en Algérie en sont familiers.
A noter qu’une grande partie des membres influents de Barakat viennent du MJIC et du RAJ. A rappeler que le MJIC fut déjà sollicité à s’associer à une charte rédigée par le mouvement Rachad aux tout débuts de sa création, pendant les moments forts du Printemps arabe. A savoir que le mouvement Rachad est dirigé par Mourad Dhina, ancien membre du FIS dissous et président de la ligue de droits de l’homme Karama, basée à Genève et dont le siège se situe au Qatar, dont il est le pourvoyeur des fonds de fonctionnement.
Au moment fort du Printemps arabe, vers janvier 2012, le mouvement ACDA voit le jour. Il fut lui aussi sollicité à cosigner la charte initiée par Rachad. Parmi ses membres fondateurs figure Mouloud Boumghar, un juriste ayant collaboré avec la fondation Soros dans une étude sur la démocratie en Afrique vers le milieu de la décennie 2000-2010. Sachant que ACDA s’est solidarisé avec Barakat et a participé activement au mouvement en France en première ligne.
A noter également que des militants devenus membres de Barakat de Paris n’ont pas hésité à appeler l’ONU à l’aide pour intervenir en Algérie dans le conflit du M’zab, lors d’une manifestation devant l’ambassade d’Algérie à Paris le 25 janvier 2014. On retrouve également leur signature dans une pétition favorable à l’intervention étrangère en Syrie.
Le Franco-algérien Karim Amelal, maître de conférences à Sciences politiques en France, a ouvert depuis près de huit ans son site Chouf-Chouf, devenu aujourd’hui une tribune ouverte à tous les ténors subversifs du Hirak. En particulier Abdou Bendjoudi, un leader de Barakat, lui aussi venant du MJIC et signataire de la charte initiée par Rachad avec ce groupuscule. Issu de famille très modeste, il se retrouve soudainement en mesure de voyager entre Alger, Stockholm, New-York et Paris en ayant une double résidence à Alger et à Paris. Ses prestations sur le site de Karim Amelal sont sponsorisées pour atteindre le maximum d’internautes. Il est souvent invité sur les plateaux de la télévision publique française France24. Karim Amelal, étant le fils d’un ancien haut fonctionnaire du pouvoir algérien, dispose d’un imposant étui de cartes de visites de divers horizons, dont celle de Gil Jacob, vice-président du CRIF, le lobby sioniste le plus puissant en France. Les deux hommes furent chargés par le Président français de rédiger un rapport sur la haine sur Internet.
La majorité des recommandations du rapport sera reprise dans une proposition de loi qui verra le jour en 2019. Par haine, il en est ressorti tout ce qui est du goût du CRIF, au détriment de la liberté d’expression et de la dénonciation des crimes israéliens contre la population palestinienne. Karim Amelal n’a fait que cautionner cette loi liberticide. Sur son site, il censure systématiquement les internautes qui dénoncent le choix de ses publications comme étant l’émanation d’un Berbériste séparatiste au service du lobby sioniste. Lors de la visite du Président français en Algérie, Emanuel Macron, on voit sur une photo prise à l’ambassade de France ce dernier entouré de Karim Amelal, le propriétaire de TSA et le journaliste emprisonné Khaled Drareni.
Beaucoup d’autres collaborateurs avec les visées néocolonialistes sont certainement à l’œuvre pour encadrer et orienter le Hirak vers une impasse, pouvant mener le pays vers la violence et le chaos, en ouvrant la voie à l’ingérence étrangère. Enquêter sur leur existence et les dénoncer est un acte citoyen responsable qui ne veut pas dire, comme tentent de le discréditer ces collaborateurs néo-colonisés, être un anti-Hirak ou bien un pro-pouvoir. Dans leur acte citoyen, ils expriment plutôt le véritable Hirak, celui qui est orienté aussi bien contre la dictature et, surtout, contre les visées néocolonialistes.
Dans ces conditions, un débat entre patriotes, soucieux de la souveraineté nationale et des collaborateurs néo-colonisés au service des puissances néocolonialistes, n’aura aucune chance de se produire dans des conditions démocratiques et civilisées, mais tendra naturellement à l’affrontement par l’invective, la menace, l’anathème et la fuite en avant qui caractérise les mauvaises consciences.
Y. B.
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