Libye, Syrie, Palestine : pourquoi l’Algérie doit jouer ses cartes politiques
Par Ali Akika – Depuis que les guerres rythment les rapports entre pays, on a vu s’appliquer une loi basique de l’art de la guerre, l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Avec les bouleversements politiques et géostratégiques engendrés par le capitalisme, de grandes puissances économiques et militaires naquirent et colonisèrent la planète. Et par une ruse de l’histoire, ces mêmes puissances minées par des contradictions propres à ce nouveau système économique sont entrées après des siècles de domination dans l’ère du déclin.
Ainsi, ce monde moderne faisait la guerre en appliquant la maxime de l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Celle-ci fut appliquée la mort dans l’âme par l’Occident en s’alliant avec l’URSS communiste pour abattre le monstre du fascisme. Mais de nos jours, aux contradictions qui lui «appartiennent», l’Occident, après la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation des pays du tiers-monde, fait face à des acteurs/adversaires qui le défient aussi bien sur le terrain militaire qu’économique. L’émergence de ces acteurs/adversaires fit «éclater» à petite dose le binôme Etats-Unis/Europe. Chaque élément de ce binôme court dorénavant pour ses propres intérêts et renoue avec le monde émergent.
La France de De Gaulle reconnut la Chine communiste et sortit de l’OTAN. Les Américains défiés en Corée et au Vietnam ne purent arrêter «le danger» d’une Chine qui devint puissance nucléaire et entra au Conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi émergea un monde où «l’ennemi de mon ennemi n’est plus forcément mon ami». Cette façon de se retrouver dans la même tranchée que des supposés ennemis, on l’a inauguré en Syrie. Ainsi, on retrouve depuis mars 2011 dans le même camp informel la Turquie qui colonisa les pays du Golfe au temps de sa splendeur ottomane. On retrouve aussi Israël qui arme, soigne des groupes armés syriens tout en bombardant les troupes gouvernementales syriennes.
Quant au binôme Etats-Unis-Europe, leur engagement aux côtés des groupes intégristes n’est pas si paradoxal que ça. Leurs intérêts sont plus protégés et fructueux dans des pays féodaux/intégristes qu’avec des régimes nationalistes/dictatoriaux. Ainsi, le binôme Occident, en contrepartie de la garantie de sécurité qu’il assure à ces pays féodaux, peut pomper le précieux pétrole de la région et garantir l’existence d’Israël. Depuis la chute de l’empire ottoman, la politique de l’Occident que je viens d’esquisser en quelques lignes a été appliquée. Les fissures dans cette politique apparurent avec le nationalisme arabe comme force contradictoire et menaçante face à l’islamisme de pays de la région. L’Egypte nassérienne, l’Irak et la Syrie baâthiste et, enfin, le tonnerre iranien avec la chute du Shah et l’arrivée de Khomeiny au pouvoir vont introduire des paramètres stratégiques et pas des moindres, comme la Russie devenue un pilier sur lequel repose le concept de «guerre et paix» dans cette région.
Avec la Libye, ce sont grosso-modo les mêmes acteurs qui s’agitent en rectifiant leurs conduites avec de «petites retouches» qui exigent encore plus de doigté et d’intelligence stratégiques. La Libye, hélas pour elle, n’est pas tout à fait la Syrie. En Syrie, pays millénaire, sa longue et riche histoire l’a aidée à mieux gérer la mosaïque ethnique et religieuse de la société. En 2011, un véritable Etat existait et put faire face à une guerre généreusement soutenue par une flopée d’Etats. La Libye, hélas, fut dévastée par des puissances de l’OTAN et son semblant d’Etat fut remplacé par deux entités politiques. Le pays fut physiquement divisé et ces entités politiques furent les otages de puissances étrangères attirées par le vide d’un pays orphelin qui dormait sur l’or. Dans une pareille situation où un chat ne peut reconnaître ses petits, les fameux ennemis deviennent des amis et vice-versa.
Ainsi, la France reconnaît le gouvernement de Tripoli mais arme en sous mains le «maréchal» Haftar, encaserné dans son fief de Tobrouk. La Turquie, membre de l’OTAN, menace un navire de guerre de la France membre de la même organisation militaire. Un autre facteur introduit une petite note différente du conflit en Syrie. Israël, quelque peu loin physiquement de la Libye, ne semble pas faire directement partie de cette cohorte de puissances qui se disputent en Libye. En vérité, il est lié au conflit par le biais de la guerre du gaz offshore. Il soutient la Grèce et semble disposer à l’aider militairement contre la Turquie qui veut squatter, à elle seule, le gaz près des côtes grecques.
Quant à la Palestine, elle fait les frais de tous les conflits qui se déroulent dans des pays arabes. Ses terres ont été prises par la force et son peuple ignoré, bafoué dans sa dignité de tous les jours, souffre depuis 70 ans en dépit des droits que lui reconnaît la légalité internationale. Quel est le lien entre la Palestine, la Libye, la Syrie, l’Irak, etc. Ce lien semble être une sorte de fatalité de l’histoire qui condamne la géographie du monde arabe à être le réservoir de la cupidité d’un Occident condamné, lui, à une fuite en avant et dont la seule boussole est son instinct de domination. Il faut dire aussi que ce monde arabe après s’être libéré des colonisations ottomane et européenne hiberna sous la double pression de l’installation d’un Etat parachuté en son sein. Hibernation aggravée par l’anesthésie de valeurs conservatrices les plus éculées cultivées dans ces pays.
A chaque fois qu’un de ces pays tente de sortir la tête de l’eau, un piège lui est tendu dans lequel il tombe avec la bénédiction ou la trahison de ses «frères». Le processus du dépeçage des pays du Moyen-Orient commencé avec l’invasion de l’Irak, poursuivi avec la Syrie et la Libye, est une tentative cynique de réinstaller leur domination de la part de la Turquie et de l’Occident par le biais des pions des pays du Golfe. La stratégie de ces pays est visible à l’œil nu. Ils entretiennent des relations avec Israël ouvertement. Celui-ci leur vend sa technologie et, surtout, sa protection contre leur cauchemar commun qui s’appelle Iran. Ce rêve commun aux pays du Golfe et à Israël est en train de battre de l’aile.
La précipitation et la fébrilité d’Israël à vouloir annexer, voler 30% des terres palestiniennes de la vallée du Jourdain sous le mandat de Trump, est la preuve que le fait accompli, la marque de fabrique d’Israël, n’est pas assuré à l’avenir. Le jeu des intérêts dans cette partie du monde de deux grandes puissances, la Russie et l’Iran, et l’éventuel échec de Trump à sa réélection vont probablement introduire de nouvelles donnes. Celles-ci, outre les conséquences qui vont impacter la région du Moyen-Orient, vont parasiter les alliances déjà fragiles de la meute de loups qui s’acharnent sur la Libye. Ce pays nord-africain et membre de l’Union du Maghreb, Union en léthargie à l’heure actuelle, ne laisse pas indifférents des pays comme l’Algérie et la Tunisie, pas plus que l’Italie située en face et qui supporte seule la charge des déplacements des populations africaines émigrantes.
Cette région du nord de l’Afrique ne va pas souffrir de l’hystérie et de la culpabilité occidentale qui ferment les yeux sur les actes d’Israël. Mais elle risque de payer cher ses divisions et surtout le manque d’oxygène des populations qui n’a aucune confiance dans ses gouvernants. Ceci dit, la situation semble sous «contrôle» car les deux pays capables de changer les données, la Russie et les Etats-Unis adoptent pour l’heure une posture d’«observateurs». On saura plus tard les raisons de cette singulière posture. Pour l’heure, l’agitation se déroule du côté de la France, de l’Egypte et évidemment de la Turquie. Ces deux derniers pays, présents militairement sur le terrain et jouant gros en cas de conflit armé, vont essayer de ne pas jouer au kamikaze.
Etant chez elle à la frontière libyenne, l’Egypte se trouve dans une posture stratégique avantageuse contrairement à la Turquie, située de l’autre côté de la Méditerranée. En cas de conflit, sa logistique en hommes et en armement sera à la portée de la marine de guerre égyptienne. En dépit de ce relatif avantage, l’Egypte n’a pas intérêt à déclencher une guerre au moment où son armée est engagée dans le Sinaï contre Daech mais, surtout, face à l’Ethiopie dans leur guerre de l’eau. A moins d’être ivre de son coup en Libye, Erdogan n’a pas intérêt à gonfler ses muscles en jouant les Rambo. La Russie a les moyens de le doucher à Idlib, ville syrienne à sa frontière. La France, qui est aussi remontée contre lui, peut lui créer de petits problèmes car le Rambo turc l’a fait sortir de l’équation libyenne alors qu’elle a tant investi dans ce pays depuis Sarkozy et Cie.
S’agissant de l’Algérie, le pays a intérêt à utiliser ses cartes politiques et sa proximité du champ de bataille. Atouts d’autant plus «écoutables» que les maîtres du jeu (Russie et Etats-Unis) jouent pour le moment les «discrétions». Quant aux «têtes brûlées», Erdogan et El-Sissi, ils ont tout intérêt à chercher un modus vivendi préférable à une coûteuse confrontation miliaire.
«Nos spécialistes» maison qui demandent que l’ANP joue aux cow-boys à l’extérieur pour acquérir du prestige sur la scène internationale, leurs désirs deviendront réalité quand ils accepteront d’envoyer leurs mômes pour apaiser en caressant l’enflure de leur nombril.
A. A.
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