La fabrique de l’arrogance a fait pschitt
Par Ali Akika – Les médias israéliens ont claironné à longueur de la journée du 1er juillet 2020 : «Vous allez voir ce que vous allez voir !» Mais ce jour-là, un silence de cimetière régna sur la résidence du Premier ministre israélien où des journalistes faisaient le pied de grue. Ils trépignaient d’impatience à l’idée d’entendre Netanyahu déclarer l’enterrement de la Palestine. Attente vaine, la journée se termina par un pschitt. Alors, la machine de propagande, pour effacer le bide médiatique, se mit en branle et déversa ses «vérités» qui ridiculisaient leurs auteurs. Un commentateur ex-général entonna la musique d’une rhétorique pour justifier le silence gênant dû au couac d’un Premier qui passe pour un AS de la communication.
La fabrique de la propagande a ses limites et ne peut toujours masquer les ratés d’une politique. Nous verrons plus loin la métaphysique qui sert de socle aux discours israéliens de la désinformation. Pour les commentateurs de la décision «historique» attendue ce 1er juillet, les paroles de Netanyahu allaient transformer la réalité. Ils entendaient par là que leur perception de ladite réalité allait être celle des Palestiniens. Bizarre conception des choses et drôle de façon de raisonner qui font croire qu’une décision, produit de la force, légitime un voleur qui détrousse un propriétaire de sa terre. Bizarre raisonnement en effet car il fait l’impasse sur la réaction des habitants de la Palestine qui avaient retenu la leçon de la tragique nakba (catastrophe) de 1948 qui s’est traduite par leur expulsion du pays.
Mais, aujourd’hui, les Palestiniens ne bougeront plus de leurs terres et cette simple attitude devenait une redoutable arme tant redoutée par leurs colonisateurs. Leur refus déjoue les plans de l’occupant qui rêve d’une Palestine vidée de ses habitants. L’aveuglement de l’occupant marié à son arrogance ont été bercés par «la chanson d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre». S’accrocher à des croyances et à des fantasmes en dépit du temps qui passe relève et révèle les crises d’adolescence d’hommes pourtant mûrs depuis belle lurette.
Pourquoi donc Netanyahu a fait pschitt ce 1er juillet 2020 ? On connaît les habitudes et les actes de ce Premier ministre, patron hors catégorie de la fabrique du fait accompli. Cette politique qu’Israël, avant même sa constitution en entité étatique, a toujours pratiquée. Politique insensée au regard de toute éthique et morale, sans parler du droit international. Nous sommes là, disent les occupants, par la force et vos protestations au nom du droit et autres simagrées ne nous feront pas changer d’attitude.
En apparence, leur arrogance qui semble leur avoir donné raison a des racines pas toujours avouables. Ses auteurs refoulent, entre autres, que leur pratique de hors-la-loi a été possible parce que des puissances quelque peu honteuses fermaient les yeux sur leur brigandage. Venons-en aux éléments à l’origine du pschitt de Netanyahu. Commençons par le visible qui éclaire les contradictions aiguës qui agitent la société de cet Etat.
Rappelons qu’il a fallu trois élections en un an pour accoucher avec une césarienne d’un gouvernement, bancal par-dessus le marché. Un gouvernement avec deux Premiers ministres qui se surveillent et se regardent en chiens de faïence. Cette méfiance au sein de ce gouvernement est une pierre dans la chaussure de Netanyahu qui l’a empêché de faire sa déclaration d’annexion de la vallée du Jourdain. Benny Gantz, Premier ministre bis ne voulait pas laisser ce trophée politique au seul bénéfice de son rival Netanyahu.
La deuxième pierre dans ses chaussures fut l’opposition de l’armée. Opposition lourde de sens car l’armée est tout à la fois la colonne vertébrale, les yeux, les oreilles et même les pieds de cet Etat. Une faute grave de la part de quelqu’un qui passait pour un redoutable tacticien de la politique. Cette faute fait partie de la fuite en avant de Netanyahu harcelé par la justice pour cause de magouilles et de corruption. Annexer, voler la vallée du Jourdain étaient une carte maîtresse qui lui permettrait de dissoudre le Parlement et se faire réélire avec une confortable majorité et échapper ainsi à la prison. Enfin, annexer des territoires, alors que le coronavirus reprenait de plus belle ses randonnées mortelles, aurait pu être, en cas de conflit dans la région, un danger pour un Etat obsédé par sa sécurité. Et cerise sur le gâteau, les 800 000 chômeurs provoqués par le coronavirus aurait été la goutte qui ferait déborder le verre. Voilà pour la cuisine interne qui ne doit pas nous faire oublier que dans ce théâtre tous les acteurs sont d’accord pour spolier les Palestiniens. Leurs divergences se situent dans le domaine de la tactique et des méthodes.
Mais il y a une autre cuisine qui a déréglé le projet de Netanyahu. Donald Trump veut aussi gagner les élections dans cinq mois. Ami d’Israël, il a dû calmer les ardeurs de son protégé Netanyahu qui tenait coûte que coûte à son annexion. Trump était donc coincé entre ses amitiés israéliennes et ses gros intérêts avec les féodaux du Golfe qui avaient peur d’exposer aux peuples du monde arabe le visage hideux de la trahison. Tout le tableau que je viens de décrire est suffisamment chargé d’obstacles pour imposer une halte à un homme et à un Etat dont l’identité et l’action se résument en une fuite en avant permanente.
Mais le facteur décisif, qui a tiré la balance du côté d’un report de l’annexion, a un lien avec l’essence du sionisme. Celui-ci est traversé par deux écoles. Les premiers, les purs et durs, habités par la mystique religieuse de «l’an prochain à Jérusalem», ne veulent pas entendre parler d’un futur Etat palestinien. Ils veulent s’approprier toute la Palestine au nom d’une supposée promesse biblique. Mais dans leur for intérieur, ils savent que la réalité de notre monde ne repose pas sur la mystique mais sur les implacables réalités, un jour ou l’autre, des rapports de force. Ils ont commencé à goûter à cette réalité avec l’émergence d’un Hezbollah qui leur interdit dorénavant de se balader au Liban. Ajoutons à ça les cauchemars de l’Iran qui peuplent leurs nuits.
Pour eux donc, un Etat de Palestine, c’est la goutte qui fera déborder le vase du rêve sioniste. Fini alors le vol des terres, donc fini el Alia (immigration des juifs du monde). Ainsi, ces biberonnés de la Bible et de la Torah redoutent l’avenir dans un monde ouvert à tous les vents. Et ces vents risquent d’effeuiller l’identité d’un îlot d’Etat noyé dans un océan d’immenses pays peuplés de voisins qui ont quelques raisons et de douloureux souvenirs à ne pas ranger dans les pertes et profits de l’Histoire.
Les seconds, minoritaires, qui appellent à un Etat palestinien, ont d’autres motivations qui ne reposent pas sur la mystique des premiers. Leurs arguments : l’occupation gangrène la démocratie israélienne, un Etat unique ferait des Palestiniens des citoyens de seconde zone. Leur consensus s’est élaboré autour d’une seule idée, l’existence d’un Etat Palestinien séparé physiquement par une frontière étanche est une nécessité pour préserver le caractère juif d’Israël. Ils veulent en quelque sorte que le rêve sioniste ne meure pas mais se transforme en un projet «réaliste» et permettre un entre-soi entre gens de même «origine».
Cette journée du 1er juillet qui devait être une «fête» fut qualifiée par les médias israéliens de «retrouvailles avec la souveraineté d’un peuple avec sa terre». Remarquons au passage le remplacement du mot annexion par souveraineté. Le délire dans l’utilisation des mots est l’exacte définition d’un individu qui met une barrière entre sa perception des choses et la réalité. Mais Ô paradoxe, selon un commentateur ex-général ce sont les Palestiniens qui seraient donc «fous» de refuser le deal du siècle. Pourquoi fous parce que vivre en Israël, ils auraient un meilleur niveau de vie. Mieux vivre et courber l’échine, la bonne affaire ! Mais la folie n’est-elle pas du côté de ceux qui décrètent, avec des mots sur du papier biodégradable, la souveraineté sur le territoire d’autrui pour qu’il devienne magiquement une réalité inscrite dans et pour l’éternité ? Les Palestiniens comme tant d’autres peuples ont vu chez eux défiler tant d’occupants pour ne pas se laisser impressionner par de pareilles balivernes.
Ce genre de délire qui puise ses ressources dans la métaphysique perd de son attrait. Il gêne même leurs amis européens (1) qui y voient un danger. Ils ont en tête les accords de Munich qui ouvrirent les portes de l’enfer qui a consumé et dévasté le monde en 39/45. Ils ont peur que l’annexion de la vallée du Jourdain signe le glas des accords d’Oslo qui sont déjà une coquille vide. La mort de ces accords ouvrira un vide politique dont les conséquences sont imprévisibles. Vue la situation en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye, les pays européens n’ont pas besoin d’un autre conflit. Tant que l’incendie et la répression étaient «sous contrôle» en Palestine, l’Europe ne s’inquiétait pas trop. Mais là, trop c’est trop ! se disent-ils.
L’Europe a déjà avalé tant de couleuvres dans le passé et aujourd’hui avec la sortie des Etats-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran, on est au bord du gouffre. Nous ne sommes plus en 1982 quand Israël bombarda le réacteur nucléaire irakien. Déchirer un accord avec l’Iran, c’est une autre paire de manche. Le Moyen-Orient est entré dans une phase où l’Oncle Sam et son proconsul sur place ne font plus totalement la loi. Le «Deal du siècle» de Trump est leur dernière trouvaille «généreuse» pour tirer le rideau sur une pièce de théâtre dont ils sont à la fois auteurs, metteurs en scène et comédiens. Et cette «générosité» on la trouve dans la proposition de Trump qui, en contrepartie de la fertile vallée du Jourdain à son ami Netanyahu, offre aux Palestiniens des morceaux de terre rocailleuse du désert du Néguev. Ce genre de marché ne rappelle rien à ceux qui soutiennent ce scabreux deal en Trump-œil.
A ceux qui l’ignorent, on leur rafraichît la mémoire. C’est exactement ce que l’Oncle Sam réserva aux véritables habitants de l’Amérique. Les chasser des fertiles et fraîches vallées du pays et les caser dans des réserves. On leur offrait en plus du Whisky pour oublier leur état et les laisser mourir à petit feu. Tiens… Tiens, j’allais oublier, Trump et Netanyahu sont tous deux Américains. Ceci explique cela idéologiquement. Cela dit, qu’ils ne se réjouissent pas trop vite. Où seront-ils les Trump et Netanyahu dans cinq mois ? En revanche, on est sûr que les Palestiniens seront toujours sur leur terre et continueront à résister. Une autre chose est sûre : les Palestiniens ne seront pas les Amérindiens (Indiens) du XXIe siècle.
A. A.
(1) Boris Johnson, Premier ministre britannique de la puissance qui offrit en 1917 un foyer juif en Palestine, a écrit une tribune où il affirme que la Grande-Bretagne ne reconnaîtra pas l’annexion de la vallée du Jourdain. Ce pays en raison du rôle historique qu’il joua dans l’installation d’un foyer juif en Palestine mais, surtout, qui a des énormes intérêts dans les pays du Golfe qu’il a «aidé» (avec l’espion Laurence d’Arabie) à se débarrasser de l’empire ottoman, sa position compte en raison de ses liens spéciaux avec les Etats-Unis.
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