Le déclin du gaz de schiste aux Etats-Unis servira-t-il de leçon à l’Algérie ?
Par Hocine-Nasser Bouabsa – Fin juin, Chesapeake Energy, société américaine spécialisée et pionnière de la fracturation hydraulique (fracking), technologie essentielle pour l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste, s’est placée sous la protection du fameux chapitre 11 du droit de faillite américain pour essayer de sauver les meubles, laissant derrière elle une montagne de dettes estimée à 12 milliards de dollars. Ce n’est pas la première faillite, mais c’est la plus importante.
Le déclin de l’industrie américaine du gaz de schiste, entamé il y a quelques années, s’est accéléré depuis le début de l’année 2020 et semble maintenant être irréversible, comme le pronostique un article paru dans le New York Times, le 10 juillet dernier. D’après Rystad Energy, une société de conseil norvégienne, presque 250 sociétés américaines, dont les activités sont liées étroitement à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste, pourraient subir le sort de Chesapeake Energy dans le cours terme. Les analystes de Rystad prévoient une stagnation et même une décroissance de la consommation énergétique mondiale, non seulement en raison des retombées économiques de la pandémie du Covid-19, mais aussi en raison de la baisse des coûts des énergies renouvelables qui faciliteront la transition énergétique et des avancées technologiques dans l’efficience énergétique.
Cette stagnation ou décroissance de la demande impacte automatiquement les prix, dont la tendance baissière a atteint aujourd’hui des niveaux qui étaient imaginables il y a dix ans. Il est, d’ailleurs, même arrivé au mois d’avril dernier, faute de capacités de stockage, tellement tous les dépôts sont pleins, que des producteurs payent pour qu’on prenne leur pétrole ou leur gaz. Cette tendance baissière n’a pourtant pas stimulé la demande souhaitée. Au contraire, l’attitude des producteurs qui ont augmenté leur production pour générer les revenus indispensables à leurs budgets a envenimé encore plus la situation. Actuellement, le prix du baril tourne autour de 40 dollars. La grande majorité des experts s’attend à ce que ce niveau de prix perdure encore quelques années.
Comme dans toute activité industrielle ou commerciale, le prix/coût de revient ou de production dans le business du gaz de schiste est déterminant pour sa profitabilité. Ce coût varie suivant les formations géologiques des réservoirs entre 30 et 60 dollars. Lorsque le pétrole était au-dessus de 100 dollars, ce business était donc hautement lucratif. C’est, d’ailleurs, pendant la période de ce niveau de prix que le grand rush vers l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste a eu lieu aux Etats-Unis, causant d’énormes dégâts environnementaux, que l’industrie pétrolière et l’administration américaine minimisent volontairement au nom de la politique de l’indépendance énergétique américaine, prônée depuis les années 1980.
Au prix de 50 dollars pour un baril, ce business a tendance à ressembler plutôt au jeu de la roulette russe. Mais pour la grande majorité des experts, à 40 dollars le baril, il génère surtout des pertes. C’est ce qui explique le nombre élevé de faillites américaines dans ce secteur. Les conséquences pour l’environnement et les investisseurs sont désastreuses. En effet, le passif cumulé de toutes ces faillites devrait dépasser 170 milliards de dollars. Cet argent que les investisseurs et les banques ne récupèreront jamais, disparaîtra pour toujours, laissant les dégâts environnementaux provoqués par l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste à la charge de la collectivité et du contribuable américains.
Apocalypse environnementale
Pour comprendre l’immensité de la catastrophe environnementale, je citerai volontiers l’exemple de Chesapeake Energy. Cette société à elle seule détient les droits d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste sur une surface d’approximativement 60 000 km2, selon le journal allemand éco-financier Handelsblatt. C’est presque l’équivalent de la surface de la moitié du Tell algérien qui serait donc écologiquement sinistrée. Si on considère la somme de tous les acteurs du gaz de schiste, c’est certainement un territoire aussi grand que l’Allemagne qui pourrait être concerné. En dehors de la pollution évidente de la terre et de l’eau, qui est un phénomène local, la faillite des acteurs américains du gaz de schiste engendrera un autre problème environnemental plus grave et dont l’impact est planétaire. Il s’agit des fuites incontrôlées ou contrôlées du méthane.
D’après une étude publiée dans la revue Sciences Advances, le volume des fuites de méthane avant la série des faillites est le double de ce que l’industrie du gaz de schiste déclare. Et ceci, malgré les efforts d’entretien que consent cette industrie pour satisfaire les exigences des pouvoirs publics et la société civile. Avec les faillites et la disparition de beaucoup d’entreprises, c’est l’apocalypse environnementale qui est à craindre. En effet, d’après les statistiques des autorités américaines, le nombre de forages effectués par l’industrie du gaz de schiste dépasse trois millions au total. Sachant qu’il y a moins de preneurs pour leur gaz, les producteurs tendent à le cramer ou à le fuiter sur place.
Or, il est connu que l’effet de serre du méthane est plus actif que celui du CO2, puisqu’il emmagasine beaucoup plus d’énergie que ce dernier. Sur ce point, les spécialistes estiment que l’impact du méthane sur le réchauffement climatique est 25 fois supérieur à celui du CO2. Un pays comme l’Algérie, dont la désertification menace ses terres fertiles, serait bien conseillé de prendre en considération cet aspect écologique qui s’ajoute au danger très élevé de la contamination des eaux albiennes et des nappes phréatiques.
La débâcle américaine servira-t-il de leçon à l’Algérie ?
Lors de sa première sortie médiatique, le président Tebboune faisait une déclaration lourde de sens : «Dieu nous a donné cette ressource, pourquoi s’en priver ?». Cette ressource, c’est le gaz de schiste.
Pour la très grande majorité des Algériens, le clan de Bouteflika est l’incubateur de l’idée relative à l’exploitation du gaz de schiste et Chakib Khelil est son père spirituel. Déjà, en 2012, il voulait embarquer l’Algérie dans cette option hautement dangereuse. Heureusement que l’équipe autour de l’ex-patron du DRS, le général Toufik, l’en a dissuadé.
Certes l’Algérie a besoin de ressources pour nourrir son peuple et se développer, mais l’option du gaz de schiste n’est pas la solution. Nous avons d’autres choix. J’y reviendrai dans une prochaine contribution.
H.-N. B.
Phd, ancien directeur général de Schlumberger North-Africa
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