Le combat pour la démocratie appartient à tout le peuple algérien
Par Dr Abderrahmane Cherfouh – Lors de son dernier discours qu’il a prononcé au Palais des Nations, le président Tebboune était vraiment fâché et n’y est pas allé de main morte pour fustiger tous qui veulent saboter sa démarche, entraver la mise en œuvre de son programme et tenter de retarder ses décisions, et ce, en agissant dans l’ombre et en caressant le fol espoir de revenir au pouvoir. Il a déclaré, entre autres : «Il y a des forces d’inertie qui œuvrent contre la stabilité du pays et espèrent toujours parvenir à une situation de chaos». Il estime que 80% de la population approuve la politique du pays, il ne tarit pas d’éloges sur le Hirak «béni» et il s’engage à réaliser toutes ses revendications.
A qui s’adresse ce discours ? Au peuple ? Certainement pas. Le peuple n’a jamais vraiment compté pour le pouvoir. De tout temps, ce peuple a été marginalisé, humilié, trahi, pillé. A l’opposition ? Je ne le pense pas, non plus. Il n’y a pas d’opposition proprement dite et réelle en Algérie. Ou bien s’adresse-t-il au clan opposé qui se trouve au sein du pouvoir lui-même ? A mon avis, oui. Il y a une guerre larvée qui mettrait en scène deux clans qui seraient en lutte pour prendre le pouvoir réel afin que le clan vainqueur puisse exercer sa domination totale sur le pays et l’assoir définitivement. C’est une lutte clanique, intestine qui ne concerne pas le peuple.
Comme toujours, le pouvoir utilise les formules classiques et trompeuses qui versent dans le populisme, des formules creuses, connues de tous. Un langage auquel nous nous sommes habitués et qui ne sort pas de l’ordinaire. Et je ne pense pas que ce discours puisse avoir un impact sur les Algériens qui savent que les promesses du changement ne sont qu’un leurre car ils ont appris à ne plus faire confiance et à ne pas donner un blanc-seing à ceux qui se sont autoproclamés leurs dirigeants. Les Algériens ont la tête ailleurs, les luttes internes des deux clans ne les intéressent pas. Ils sont beaucoup plus préoccupés par leur devenir, par cette nouvelle pandémie qui a chamboulé leur vie et leur a causé d’énormes préjudices sur tous les plans, par la difficulté de leur quotidien et par le marasme économique chaotique dans lequel s’est empêtré le pays et laissé en héritage par le système politique de Bouteflika et ses larbins.
En tout état de cause, on aurait bien aimé que le président Tebboune aille au bout de sa logique et nous révèle les noms de ces déstabilisateurs. Depuis la nuit du temps, nous connaissons ce vieux refrain, cette menace extérieure exhibée à tout bout de champ comme épouvantail. On ne cesse jamais de nous répéter que l’Algérie a deux ennemis, l’un est situé à l’extérieur et l’autre à l’intérieur. L’ennemi extérieur est incarné, d’une part, par l’Occident et ses multiples relais qui se cachent derrière des organismes et des associations qui ne cherchent qu’à nous déstabiliser, nous diviser et porter atteinte à notre souveraineté et notre intégrité, et, d’autre part, par l’ennemi intérieur composé d’une partie dévoyée du Hirak, détournée de ses objectifs par des forces occultes qui agissent dans l’ombre et par les résidus du système.
Ces deux ennemis, aux yeux du pouvoir, constituent l’axe central vers lequel convergent tous les fils qui animent et motivent ces forces déstabilisatrices. Pour le pouvoir, l’heure est à l’unité du gouvernement et de son peuple pour faire face à ces deux ennemis et pour construire l’Algérie nouvelle, cet axe doit être exclu puisqu’il est nocif et manœuvre contre sa stabilité.
Nul ne remet en cause, en effet, le fait que notre pays, de par sa position géographique, de par son influence régionale, soit soumis à des pressions et fasse l’objet de manœuvres de déstabilisation et qu’il existe des groupes et des pays, même «ami» qui entendent exercer leur mainmise sur nous en tentant de nous imposer des solutions politiques qui vont à l’encontre de notre souveraineté – le problème libyen en est le parfait exemple –, que la résorption de la crise larvée née de la gestion catastrophique du clan ne soit pas une chose facile et simple à traiter et que la remise en état de la nation doive se faire progressivement. Cela est clair pour nous tous et pour les citoyens qui ont battu le pavé durant 55 semaines et qui ne demandent pas plus que de continuer à être écoutés, considérés et traités comme des citoyens à part entière.
La balle est vraiment dans le camp du pouvoir.
Le droit à la critique, le droit du citoyen à l’avènement d’une vraie démocratie va-t-il être considéré comme une manœuvre de déstabilisation ? Ou bien, en d’autres termes, le peuple n’est-il pas encore mûr et souffre de sa division profonde ? Pour mériter d’être un citoyen modèle, il ne faut pas froisser le pouvoir, il faut apprendre à le ménager, à composer avec lui, à ne pas le gêner et à ménager ses susceptibilités, à cautionner ses dérives et ses dépassements. Nous sommes donc invités à ne plus évoquer les dizaines d’arrestations des militants du Hirak ou des internautes, à applaudir des deux mains les discours des nouveaux dirigeants. Aucune critique, donc, ne doit être tolérée à l’encontre du régime qui s’abrite derrière cette menace des forces déstabilisatrices et qui a toujours fait sienne cette terrible sentence : qui n’est pas avec moi et contre moi.
Chaque silence d’un intellectuel, chaque silence d’un citoyen, chaque compromis pour ne pas gêner le pouvoir, chaque hésitation à dénoncer les tares du système font de nous ses complices, ses obligés, ses alliés inconditionnels. De quelque côté que l’on se tourne, la déstabilisation ne peut réussir que si elle rencontre un terrain favorable et propice. Or, le silence face aux tares de notre système est le terrain idéal pour la culture de la déstabilisation. Et tout mettre sur le dos des ennemis et des déstabilisateurs de l’Algérie ne rend nullement service à l’Algérie. Il est vrai que des laboratoires et des officines spécialisées pour déstabiliser l’Algérie ont toujours existé et n’ont pas attendu le Hirak ou le président Tebboune pour tenter d’allumer le brasier au nom de la démocratie, au nom des droits de l’Homme, au nom de l’égalité homme-femme, ou encore en se mêlant même des affaires internes de l’Algérie.
Cela signifie-t-il, pour autant, que tous ceux qui luttent pour l’avènement d’une vraie démocratie, pour un Etat de droit, pour une justice saine, pour les droits de l’Homme, pour la liberté de conscience, pour l’avènement d’une deuxième République, pour une Algérie nouvelle au sens vrai du terme et sans tutelle et qui dénonce le pouvoir et ses travers, sa corruption érigée en institution, sa dictature, son hégémonie, doivent être classés dans la catégorie des déstabilisateurs ? Non, ce n’est pas de cette façon que les choses doivent fonctionner ! Le combat pour l’avènement de la démocratie réelle et non fictive et de façade, pour une nouvelle Algérie, pour la liberté d’expression est très important. Ce combat appartient à tout le peuple algérien. Il ne faut plus «laisser le couvercle sur le puits» – comme dit l’adage algérien –, n’en déplaise à ceux qui veulent tout régenter et qui veulent avoir le monopole pour parler au nom du peuple. Il ne faut plus se taire, il faut, au contraire, dénoncer et acculer le pouvoir et le pousser dans ses derniers retranchements. Le silence est l’ennemi de la démocratie. Ce silence, justement, qui avait trouvé un terrain favorable et avait permis à Bouteflika et ses acolytes d’accaparer les richesses du pays et de faire de l’Algérie ce qu’elle est devenue actuellement.
A. C.
(Canada)
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