Gilles Munier : de l’extrême-droite au Hirak
Par Ahmed Bensaada – Selon la formule imagée de mon ami Rafaa, mon récent livre a agi comme le projecteur d’un chalutier faisant sortir différentes sortes de poissons de la mer. Mais qui aurait pensé un seul instant que sa lumière éclairerait aussi loin que les rivages de la Bretagne ? Qui aurait parié un misérable kopeck sur une prise d’une telle taille dans cette région ? Car, il faut se le dire, Gilles Munier n’est pas du menu fretin, même s’il est connu pour se mêler régulièrement les nageoires, naviguant d’un courant à l’autre, au gré de la houle.
La pêche miraculeuse
Gilles Munier est donc apparu après la publication de mon livre. Mais pourquoi diable ce Breton s’est-il manifesté avec pas un, mais deux articles contre moi ? Des attaques avec des histoires de coup de poignard dans le dos et des rapports de police politique, rien que ça !
Ainsi, sans prendre le temps de lire mon ouvrage, Munier est intervenu dans le débat pour défendre bec et ongles son ami et protégé Mourad Dhina, membre de l’ex-FIS (Front islamique du salut) et un des fondateurs du mouvement islamiste Rachad.
Mais l’histoire a commencé un peu plus tôt. En effet, en date du 4 juin 2020, Mourad Dhina n’a rien trouvé de mieux à faire que de me citer dans sa vidéo du jour. Lui aussi a longuement disserté sur mon livre sans l’avoir lu (sic), confirmant la forte prévalence de cette maladie chronique dans la faune ichtyologique. Il y a pris plaisir à dresser mon portrait avec des termes choisis avec soin comme «fragilité intellectuelle», «soutenu par le régime», «propagandiste du système», «casseur du Hirak», etc.
Ce qui est étonnant, c’est que mon livre n’avait pas pour objet l’étude du mouvement Rachad, ni la critique de ses fondateurs. Cette sortie virulente a pourtant une explication claire qui sera discutée un peu plus tard.
L’attaque violente de Dhina méritait une réponse de ma part qui fut publiée sur mon site le 6 juin 2020. Petite précision : aucun droit de réponse n’a été demandé à Dhina, ni Rachad pour poster mon article sur leurs médias sociaux.
Certainement très irrité par le contenu et la forme de mon texte, Dhina s’est fendu d’un long texte qu’il a présenté comme un droit de réponse (sic) que je devais impérativement publier sur mon site personnel. Il n’avait pas compris qu’il aurait fallu qu’il en fasse de même avec la mienne !
Fâché par ce refus, Gilles Munier monta sur ses grands chevaux (bretons ?) pour aller défendre les droits de son suzerain. Dans son article intitulé «Un coup de poignard dans le dos du Hirak ?» on peut lire : «A la suite de la parution de Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? Mourad Dhina a réagi avec calme aux attaques mensongères et diffamatoires le concernant, en adressant à l’auteur un droit de réponse qui n’a toujours pas été publié.»
On remarque bien que, selon Munier, le nom de Dhina rime avec «calme» et «droit de réponse», alors que celui de Bensaada est associé aux «mensonges» et à la «diffamation».
Rachad peut-il trouver un vassal aussi fidèle ?
Les accointances avec l’extrême-droite
Alors qu’il vivait en Algérie dans sa jeunesse, Gilles Munier a été correspondant de la revue Nation Européenne, organe de presse du mouvement d’extrême-droite Jeune Europe. Dans de nombreuses publications, ce mouvement est considéré comme néo-fasciste. Jeune Europe a été fondé en 1962 par le Belge Jean Thiriart (1922-1992), dont la vie politique a été associée aux milieux néonazis et néofascistes, avec un début remarqué dans la collaboration avec l’Allemagne nazie : «Thiriart a dix-huit ans quand l’Allemagne occupe la Belgique. Le jeune autodidacte adhère bientôt aux Amis du Grand Reich allemand, ce qui le conduit à un séjour en prison en 1944 et à la privation de ses droits civiques jusqu’en 1959.»
Et ce n’est pas tout. Avant Jeune Europe, Thiriart avait dirigé le Mouvement d’action civique (MAC), un groupe ouvertement en faveur de l’«Algérie française» et de l’OAS : «[…] En effet, on a pu constater que les contacts entre l’OAS et le MAC/Jeune Europe furent réels : le MAC a été accusé d’aider matériellement l’OAS, avec la coopération du Centre d’études et de formation contre-révolutionnaire établi à Tournai (impression de tracts, vol et utilisation de faux passeports).»
«Par ailleurs, le MAC était le principal soutien de l’OAS en Belgique. Il avait développé ses contacts avec les mouvements favorables à l’Algérie française, tels que Jeune Nation, la Fédération des étudiants nationalistes ou le MP13. Non seulement sa presse publiait les communiqués ésotériques de l’OAS mais, de plus, son réseau accueillait les clandestins et leur fournissait le gîte et des faux papiers. Et l’imprimerie produisait le journal Appel à la France.»
C’est, d’ailleurs, à cause de son soutien à l’OAS que Jeune Europe a été interdit en France.
Dans une interview à Amel TV (sic !) datée du 9 janvier 2019, et ce quelques jours avant une émission avec le président du MAK, Ferhat Mehenni (resic !), Gilles Munier s’explique sur ses fréquentations de jeunesse : «Parmi les organisations que j’avais contactées de droite et d’extrême-droite, lorsque j’étais allé en France, il y en a une qui m’avait semblé, et qui a semblé aussi aux Algériens, intéressante. C’était une organisation belge mais qui rayonnait sur une partie de l’Europe, qui avait des représentants en Italie et en France, mais qui était interdite en France. C’était une organisation dont le dirigeant avait soutenu l’OAS. La guerre est finie et la page est tournée. C’était une organisation antiaméricaine. Disons prosoviétique. Oui, voilà, il y avait deux blocs. Elle publiait une revue qui s’appelait La Nation Européenne et ils ont décidé, moi je les avais contactés, j’étais allé les voir à Bruxelles. Et, donc, ils m’ont demandé si je voulais être leur correspondant en Algérie. Moi, je leur ai dit oui […]» (transcription littérale).
Dans cette déclaration hésitante, on voit bien que Munier cherche à taire les noms compromettants de «Thiriart» et de «Jeune Europe». Par contre, il reconnaît lui-même avoir contacté des mouvements de droite et d’extrême-droite. Pour cela, il a fait personnellement le déplacement en Belgique pour proposer ses services (à Thiriart ?). Ayant vécu en Algérie et connaissant le passé de son père, il devait bien savoir que Thiriart et sa Jeune Europe avaient fricoté avec l’OAS ! Rien de cela ne l’a dérangé : ni le passé collaborationniste, ni le néonazisme, ni le néofascisme, ni l’OAS.
Et avec tout cela, Gilles Munier passe son temps à crier sur tous les toits à la calomnie et à la diffamation lorsque ses accointances avec l’extrême-droite sont évoquées.
Les relations de Munier avec l’extrême-droite ne se sont pas estompées avec le temps. Dans un livre collectif intitulé Autopsie d’un déni d’antisémitisme, ses relations avec Frédéric Chatillon sont relatées : «C’est dans un dossier réalisé par le site antifasciste Réflexes sur Frédéric Chatillon que le nom de Mohamed Sifaoui apparaît une première fois. En l’espèce, la note 30 de cette enquête mettant à nu la face cachée du FN mariniste nous indique que Sifaoui a publié un livre chez Erik Bonnier (Encre d’Orient), vieille connaissance de Frédéric Chatillon et de Gilles Munier, lobbyiste bien connu de Saddam Hussein mis en cause dans le dossier Pétrole contre nourriture. Quand, en 1999, Gilles Munier publie son Guide de l’Irak (éditions Jean Picollec), Erik Bonnier, qui édite aujourd’hui Munier, apparaît comme l’auteur des photos publiées. La mise en page de ce guide est, par ailleurs, réalisée par la société Riwal de Frédéric Chatillon et sans surprise recensé dans la revue du GUD Jusqu’à Nouvel Ordre.»
Frédéric Chatillon est l’ancien président du GUD (Groupe Union Défense), un mouvement d’extrême-droite néofasciste, néonazi, connu pour son usage de la violence. Admirateur des Waffen SS, il a été aussi un proche collaborateur du Front National et de Marine Le Pen.
A travers sa société Riwal, Chatillon a réalisé des affaires juteuses avec la Syrie dans le domaine de la promotion du tourisme, et ce bien avant la «printanisation» de la Syrie.
Notons la spécialité commune à Munier et Chatillon : la promotion touristique des pays arabes. Le premier avec l’Irak et le second avec la Syrie.
Dès le début de la guerre en Syrie, Frédéric Chatillon a lancé un site progouvernemental syrien baptisé Infosyrie. Collaboration intéressante : ce site reprend les articles de Gilles Munier et France-Irak Actualité, le site du protecteur de Rachad, publie ceux d’Infosyrie. Dans un des nombreux articles de Munier publiés sur le site de Chatillon, on peut lire, en date du 31 mai 2011 : «C’est à l’excellent blog de Gilles Munier, ami et spécialiste du monde arabo-musulman, président des Amitiés franco-irakiennes d’une guerre du Golfe à l’autre, que nous empruntons cet article.»
Extrême-droite, nationalisme arabe et islamisme
L’extrême-droite européenne a eu des relations très étroites avec le nationalisme arabe. Pour illustrer cela, citons le voyage en 1968 de Jean Thiriart dans certains pays arabes, du temps où Munier officiait à La Nation Européenne. Pour Thiriart, la coopération prendrait forme en alliant «l’argent arabe avec les compétences européennes».
En fait, la relation entre Jeune Europe et les nationalistes arabes était essentiellement basée sur les deux mamelles que sont l’antiaméricanisme et l’antisionisme. C’est ce qui fit dire à certains que Thiriart a commencé sa carrière en compagnie de suprémacistes blancs et la termina en compagnie de nationalistes arabes. Ainsi, on se rend compte que l’engagement de Gilles Munier en Irak – ou celui de Frédéric Chatillon en Syrie – n’est qu’une poursuite d’une voie tracée par Jean Thiriart.
La proximité de Munier avec les islamistes ne se résume pas à celle avec le mouvement Rachad. En effet, on peut lire sur son site France-Irak Actualités de nombreux articles signés par l’islamologue Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur de la confrérie égyptienne des Frères musulmans. Même après son inculpation pour viols, il a continué à prendre sa défense en postant des articles en sa faveur.
Il faut reconnaître que la relation entre les différents courants de l’extrême-droite et l’islamisme n’a jamais été simple, ni monolithique. Mais cela ne veut pas dire que ces deux mouvements ne se sont jamais alliés, ni n’ont pas d’intérêts communs.
De nombreux articles ont été consacrés à ce sujet. Citons, à titre informatif, Daniel Rickenbacher, chercheur postdoctoral à Université Concordia (Montréal, Canada). Auteur d’un très intéressant article au titre très clair, «Extrême-droite et islamisme : une histoire d’amour compliquée», pour lui, même si «les militants d’extrême-droite se livrent régulièrement à la violence contre les immigrants musulmans, il existe également une affinité répandue, mais peu connue pour l’islam politique dans ses cercles, où il est considéré comme un allié contre des ennemis communs». La relation extrême-droite-islamisme y est décrite avec moult exemples.
A la lumière de ce qui vient d’être exposé, il s’ensuit que les affinités de Gilles Munier avec les pays arabes et les islamistes ne sont pas étrangères à son passé thiriartiste.
Munier-Dhina khawa khawa !
Dans un de ses nombreux articles de défense de Mourad Dhina lors de son arrestation en France, Munier cite Lahouari Addi : «Le sociologue Lahouari Addi rappelle que Mourad Dhina est un Erdogan algérien, il défend un islam compatible avec les droits de l’Homme et la démocratie. Mais, pour le gouvernement algérien, il n’y a rien de pire que des islamistes autonomes.»
C’est cette même citation que j’avais mentionnée dans mon récent livre. Nous voyons que même le militant breton s’est joint, bien avant le Hirak, à la campagne de réhabilitation des anciens du FIS sur la scène politique algérienne. Addi, Munier, même combat !
Dans sa première attaque contre ma personne, Munier a évoqué le sujet des journalistes emprisonnés en Algérie en ces termes : «Mais combien d’autres croupissent encore en prison, comme le journaliste Khaled Drareni, de Radio M, arrêté uniquement parce qu’il rendait compte objectivement du déroulement d’une manifestation ?»
Etant personnellement foncièrement contre l’emprisonnement des journalistes dans l’exercice de leur fonction, il est quand même important de signaler que la Turquie est devenue la plus grande prison des journalistes au monde depuis qu’Erdogan est aux commandes de ce pays !
Regardons ça de près : Erdogan est devenu Premier ministre en 2004 puis Président en 2014. Le classement de son pays dans le domaine de la liberté de la presse est passé du 98e rang en 2005 au 123e en 2010 puis au 157e en 2019. Mourad Dhina, l’Erdogan algérien, aurait-il fait mieux en Algérie ? Il est permis d’en douter. Voilà pourquoi.
Un journaliste a questionné Mourad Dhina au sujet de l’assassinat des intellectuels algériens par les terroristes islamistes durant la décennie noire : «Pourquoi n’avez-vous pas condamné l’assassinat de certains de ces intellectuels ?» Ce à quoi il répondit, sans état d’âme : «Personne n’a pleuré nos morts parmi ceux-là, bien plus, tout le monde a applaudi, euh…, je pense que sur un plan…, encore faudrait-il être sûr de qui a tué qui à telle et telle période, euh…, mais je dirai que pour certains, certains ont choisi une voie de confrontation, une voie de provocation d’une jeunesse et qu’ils ont payé ce prix. Que ces intellectuels de gauche aient le courage d’assumer leur action. Qu’ils disent que nous nous sommes engagés dans une guerre et que certains d’entre nous ont payé de leur vie. Qu’ils en fassent des martyrs pour eux !»
La plupart de ces intellectuels de gauche assassinés étaient des journalistes.
A ce sujet, notons une surprenante déclaration de Lahouari Addi à propos de cette vidéo qui a fait le tour du cyberespace. Le sociologue aurait signifié à l’éditeur Amar Ingrachen qu’elle n’était pas véridique : «La vidéo où Mourad Dhina assume le massacre des démocrates est un montage du DRS», aurait-il précisé.
On aurait pensé à une blague si ce monsieur ne se faisait pas passer pour un illustrissime et grandissime professeur.
On aurait pensé à une blague si cette déclaration ne légitimait pas l’assassinat de certains de ses collègues universitaires.
On aurait pensé à une blague si cette allégation n’absolvait pas les crimes perpétrés contre des innocents.
La défense des anciens du FIS par Gilles Munier ne s’est pas limitée à Mourad Dhina. Elle s’est même étendue à un des fondateurs de ce parti islamiste : Ali Benhadj. Un Breton, ça vise haut ! «Avec beaucoup de hirakistes et leurs soutiens, je pense que l’Algérie ne sera un pays vraiment démocratique que le jour où Ali Benhadj pourra se présenter à des élections», a-t-il affirmé. En s’exprimant ainsi, Munier montre son ignorance de la conception «benhadjienne» de la démocratie.
Dans un discours qui a été largement partagé dans les médias sociaux, on peut voir Benhadj exposer sa conception de la démocratie : «Nous, dans l’islam, pour qu’on soit clair, dans l’islam, nous n’avons pas un gouvernant qui est élu tous les quatre ans. Dans l’islam, nous n’avons pas ça. Dans l’islam, nous avons des règles, nous avons le Livre d’Allah et la Sounna du Prophète (QSSSL) et la société élit la bonne personne qui applique le Livre et la Sounna. Et s’il dévie après deux jours, ils s’y opposent, ils ne le laissent pas quatre ou cinq ans. Et si quatre années passent et il continue d’appliquer le Livre et la Sounna, et il applique la Loi, nous ne faisons pas d’élections. Nous le laissons. Tant qu’il applique la Loi, le Livre et la Sounna, pourquoi l’enlever ? Et s’il n’applique pas le Livre et la Sounna, pourquoi le laisser quatre années ? Nous l’enlèverons la première année, la première semaine ou le premier mois. C’est ça la gouvernance, selon la charia. Pour que ce soit clair, frères, nous ne sommes pas démocrates, la démocratie est un kofr (blasphème).»
Alors, M. Munier, pensez-vous toujours que l’Algérie sera un pays «vraiment» démocratique avec M. Benhadj ?
Et que pense M. Dhina de tout cela ? Avez-vous lu l’interview publiée en 2003 qu’il a accordée à Olfa Lamloum ? «[…] Le FIS a été une formation politique originale et particulière sur la scène politique algérienne. […] D’abord, le FIS s’appuyait sur le charisme de ses deux dirigeants historiques. Ali Benhadj et Abassi Madani avaient une présence envahissante au sein du FIS. Un sermon à Alger de Benhadj ne passait pas inaperçu. De par ses références idéologiques, le FIS a fait une synthèse nationaliste, bien sûr islamique […].»
Et, au sujet de la lutte armée :
1- Lamloum : «Pourtant lors de sa dernière conférence de presse avec Abassi Madani, la veille de leur arrestation, Ali Benhadj appelait clairement à la résistance armée !»
2- Dhina : «Je partage son point de vue. Nous disons que devant l’action d’un pouvoir tyrannique, il est du droit du peuple de résister en portant des armes. Il s’agit là d’une position que nous revendiquons haut et fort. Je pense que toute démocratie, toute Constitution, tout pays, reconnaît ce droit à son peuple […].»
Le pouvoir par les armes et une démocratie agonisante, voilà ce que Munier souhaite à l’Algérie. Décidément, il y tient mordicus à son passé thiriartiste !
Les «ONG» de l’Oncle Sam
Dans sa diatribe contre mon livre, Munier a essayé de minimiser, voire d’ignorer le rôle de la National Endowment for Democracy (NED) dans le Hirak. Pourtant, pendant de nombreuses années, il a dénoncé le rôle des organisations américaines «exportatrices» de démocratie dans d’autres pays arabes. En effet, son site regorge de références montrant le rôle néfaste de la NED, Freedom House, l’USAID, le NDI (National Democratic Institute), l’IRI (International Republican Institute), etc. On y peut lire des articles aux titres explicites dont voici quelques exemples : «La Guerre humanitaire de la NED et de la FIDH en Syrie» ; «L’instrumentalisation des ONG syriennes» ; «Un dirigeant de l’opposition syrienne taxe le CNS de club de Washington», etc.
On peut aussi y consulter un article sur la convoitise américaine de notre pays datant de 2018, «L’Afrique, et en particulier l’Algérie, seraient dans le viseur de l’armée américaine».
La «main de l’étranger» ? Etes-vous sérieux, M. Munier ?
Alors, ces articles n’étaient pas des coups de poignard contre les «révoltés» des autres pays arabes ? Tout ce qui a été relaté et prouvé sur les révolutions colorées et le «printemps» arabe ne s’applique plus à l’Algérie ? Notre pays ferait-il partie d’une autre galaxie et nous l’ignorons, sauf le militant breton ?
Dans le découpage géopolitique du monde, selon les Etats-Unis, l’Algérie fait partie de la région Mena (Middle East and Nord Africa). A ce titre, l’action subversive qu’elle subit n’est aucunement différente de celle des autres pays arabes de la région. Elle est même plus ciblée que les autres de par son appartenance au Front du refus, de sa position géostratégique et de ses immenses richesses.
Je ne sais pas si Munier a consulté le site du mouvement Rachad. Si cela avait été le cas, il aurait remarqué, parmi de nombreux documents de type «otporien» publiés par Rachad sur leur site, deux livres du politologue américain Gene Sharp. En particulier De la dictature à la démocratie, la bible de Canvas et tous les activistes des révolutions colorées et du «printemps» arabe.
Quelques documents de type «otporien» sur le site de Rachad
Gene Sharp (1928-2018) était le fondateur de l’Albert Einstein Institution qui se spécialise dans l’étude des méthodes de résistance non violente dans les conflits. Selon Michael Barker, cette institution a été financée par la NED, l’IRI, l’US Institute for Peace et l’organisme allemand Friedrich Naumann Stiftung. En outre, l’Albert Einstein Institution a reçu l’aide de deux des plus influentes organisations philanthropiques libérales américaines, qui sont la Ford Foundation et l’Open Society Institute (Fondation de G. Soros).
Ainsi, même Rachad fait de la publicité pour des ouvrages subventionnés par les organismes américains d’exportation de la démocratie. Mais il ne faut pas en parler car tout cela devient caduc lorsqu’il s’agit de l’Algérie.
On ne peut que constater que ses liaisons «amicales» (ou intéressées ?) avec le mouvement Rachad ont fait perdre à Gilles Munier lucidité, pragmatisme et bon sens.
Je n’évoquerai pas dans cet article toutes les énormes contradictions fondamentales entre les positions de Munier et Rachad en ce qui concerne les dossiers libyen et syrien. Mon ami Rafaa s’en est chargé dans une vidéo très pédagogique.
Pour quelques millions de barils
Nous avons vu que la relation entre l’extrême-droite et certains pays arabes était due à la convergence de points de vue sur certains sujets, comme l’antiaméricanisme ou l’antisionisme. Mais au-delà de l’idéologie, les aspects pécuniaires ne sont jamais très loin. Ainsi, Thiriart voyait les pays arabes comme une tirelire et Frédéric Chatillon a reçu entre 100 000 et 150 000 euros par an pour gérer la communication de la Syrie.
Paul Volcker, ancien directeur de la Réserve fédérale des Etats-Unis, a été chargé par l’ONU d’enquêter sur les malversations et le scandale concernant le programme des Nations unies pour l’Irak Pétrole contre nourriture (1996-2003). Son rapport détaillé indique que Gilles Munier a, grâce à ce programme, bénéficié de 11,8 millions de barils de pétrole. En ces temps, Munier était secrétaire général de l’association Amitiés franco-irakiennes (AFI), fondée en 1985.
Dans ce volumineux rapport de plus de 600 pages, une section est spécialement dédiée à Gilles Munier. Ce dernier faisait affaire avec Aredio Petroleum, une filière de Taurus Group. Le rapport nous apprend qu’«en 1998, Jean-Loup Michel, le directeur général d’Aredio, a contacté M. Munier pour aider son entreprise à importer du pétrole d’Irak. M. Munier a accepté de présenter la société de M. Michel à M. [Tareq] Aziz et de demander des allocations. En échange, M. Michel apporterait un soutien financier à l’AFI et rémunérerait M. Munier pour sa campagne visant à faire lever les sanctions contre l’Irak».
«Munier a affirmé ne pas avoir touché de salaire pour son travail à l’AFI, ni reçu de commission d’Aredio. Il a cependant reconnu qu’Aredio et Taurus l’avaient rémunéré pour ses efforts d’intermédiaire, en couvrant ses dépenses pour son travail à l’AFI. […] Cependant, la relation de M. Munier avec Taurus était plus formelle qu’il ne l’a décrit précédemment. M. Munier a signé un accord de consultance avec Taurus et a reçu des honoraires de conseiller pour rechercher [et] fournir des contrats dans la région, avec un accent particulier sur le brut irakien dans le cadre du programme Pétrole contre nourriture. M. Munier devait recevoir 0,07 dollar par baril net de Taurus, et Taurus lui a versé plus de 240 000 dollars.[…] Un total de 647 600 dollars de surtaxes a été prélevé et payé sur deux des contrats d’Aredio pour le pétrole alloué à M. Munier au cours des phases X et XI.»
Commentant cette affaire, Gilles Munier a déclaré : «Une vingtaine de Français fut arrêtée et mise en examen pour trafic d’influence et corruption d’agent public étranger. En clair, pour viol d’une résolution de l’ONU. J’étais dans le lot. Cela s’est traduit pour moi par la perquisition de mon domicile, 72 heures d’interrogatoire en garde à vue en octobre 2005, une libération sous contrôle judiciaire contre le versement d’une caution d’abord fixée à 80 000 euros, le retrait de mon passeport et l’interdiction de quitter le territoire métropolitain. Un compte bancaire servant au financement des activités des Amitiés franco-irakiennes fut bloqué.»
Et dans un article du Monde : «Gilles Munier, qui a aidé par le passé des élus et des journalistes français à se rendre à Bagdad, insiste sur sa bonne foi. Tout l’argent que lui versaient les sociétés de courtage Aredio et Taurus n’allait pas dans sa poche, dit-il, mais vers les activités de son association. Achat d’espaces publicitaires (notamment dans Le Monde, en janvier 2001), organisation de colloques, envois d’aide humanitaire en Irak, voyages à Bagdad.»
Après huit ans de procédure, Gilles Munier a été déclaré non coupable dans l’affaire des détournements du programme des Nations unies Pétrole contre nourriture.
Mais cette affaire nous a aussi appris qu’Aredio Petroleum avait acheté un millier d’exemplaires du fameux guide touristique de l’Irak dont la mise en page avait été réalisée par la société Riwal de Frédéric Chatillon.
D’autre part, certaines déclarations de Gilles Munier ne peuvent qu’attirer l’attention. Dans une interview parue dans le magazine Le Mensuel de Rennes, en octobre 2009, il explique comment il a rencontré Saddam Hussein : «La dernière fois, c’était en 1996, seul à seul, pour discuter de la situation politique, en plein embargo international. J’étais envoyé par le Quai d’Orsay pour porter un message à Tarek Aziz, le vice-Premier ministre de l’époque.»
Pareillement, dans une de ses biographies en-ligne, on peut lire qu’en 1991, «Gilles Munier contribuera à l’ouverture d’une mission d’intérêt français à Bagdad en transmettant un message secret de Tarek Aziz au Quai d’Orsay».
Et une question évidente se pose : à travers tout ce remue-ménage politico-affairiste irakien, Gilles Munier travaillait-il avec le Quai d’Orsay ? Ce qui nous mène à la question la plus importante : son «dévouement» pour Rachad serait-il dans le cadre d’une mission du Quai d’Orsay pour déstabiliser l’Algérie et nuire à ses intérêts ?
Dans ce cas, ses contradictions idéologiques seraient compréhensibles.
Zabiba et le roi
Zabiba et le roi est un livre écrit par Saddam Hussein, traduit en français sous la supervision de Gilles Munier qui en a lui-même rédigé la préface. Et le volet «business» n’est jamais loin : «C’était la guerre, on parlait de Saddam tous les jours dans les journaux, c’était un sujet porteur. L’édition, c’est aussi du commerce», a commenté le préfacier de l’ouvrage.
On trouve bien sûr ce livre dans le catalogue de l’éditeur Erick Bonnier, celui qui avait déjà publié le guide touristique de Munier «sponsorisé» par Aredio Petroleum et auquel avait collaboré Frédéric Chatillon.
Dans ce conte allégorique, la belle Zabiba représente le peuple et le roi n’est autre que Saddam Hussein en personne. Dans une des discussions figurant dans cette histoire d’amour, le roi questionne Zabiba : «– Le peuple a-t-il besoin d’être traité avec rigueur ? – Oui, Majesté. Le peuple a besoin de rigueur. Elle rassure les gens de bien et inspire de la crainte à ceux dont la morale est douteuse.»
Selon ses propres dires, Munier a rencontré Saddam Hussein à cinq reprises. Et quand on le questionne à son sujet, il répond : «Certes, c’était une dictature, mais il y a dictateur et dictateur. Il y a celui qui cherche à opprimer son peuple et celui qui essaie de développer son pays.»
Les paroles de Zabiba dans la bouche de Gilles Munier ! Notre Breton serait-il un admirateur et un fervent militant de la dictature ? Serait-ce une réminiscence de ses liaisons passées avec les groupuscules fascistes ou un accord tacite avec le modèle de gouvernance prôné par Ali Benhadj ?
Dictature ? En France, non ! En Occident, non ! Dans les pays arabes, oui !
Et Munier ne s’arrête pas là. Voici la suite de sa réponse : «Il y avait eu une évolution sociale, les femmes n’étaient majoritairement pas voilées par exemple. L’invasion américaine a provoqué un retour en arrière, avec l’arrivée au pouvoir des partis religieux. On est passé d’un pays laïc à un pays gouverné par des obscurantistes islamistes, avec toutes les conséquences que cela implique, non seulement pour les femmes, mais dans bien d’autres domaines comme l’enseignement. Non seulement il n’y a pas eu d’amélioration, mais il y a eu une véritable régression sociale.»
Et que pense M. Munier des «obscurantistes islamistes» qui ont sévi en Algérie durant la décennie noire ? 200 000 morts, rien que ça ! Et que fait-il donc avec Rachad dont les fondateurs sont des ex-membres du FIS ? Un autre «torticolis» idéologique gênant !
A moins que la thèse de ses ballades sur un fameux quai parisien de la rive gauche de la Seine ne s’avère véridique.
Les peuples arabes ne peuvent choisir qu’entre la dictature ou l’obscurantisme ? Ne peuvent-ils pas rêver de démocratie dans leurs pays ?
C’est dans ce sens que le Hirak doit porter en son sein un message clair : ni dictature, ni obscurantisme, ni ingérence étrangère qui favoriserait l’un ou l’autre de ces deux fléaux.
En guise de conclusion
Il n’est pas dans mon intention de clore cet article sans revenir à son début, c’est-à-dire à l’agressive et calomnieuse vidéo de Mourad Dhina à mon encontre. Je n’avais pas compris pourquoi une personne à laquelle mon livre n’était pas destiné a eu une réaction aussi violente sans lire l’ouvrage qu’il était censé critiquer. L’explication est pourtant donnée dans un des nombreux articles de (ou sur) Mourad Dhina étalés sur le site de Munier. Effectivement, la recension d’une émission diffusée sur Amel TV (sic et resic !), en date de 17 mars 2019, mentionne que Mourad Dhina a proposé la feuille de route suivante : «Pour sortir l’Algérie de l’impasse actuelle, il faut procéder à l’installation d’un gouvernement de salut national qui sera nommé par une présidence collégiale composée de plusieurs personnalités historiques intègres, honnêtes et désintéressées.»
Hormis l’absence des noms des personnalités, cette proposition ressemble étrangement à celle qui a été l’élément déclencheur de mon livre, en l’occurrence la déclaration de Lahouari Addi qui écrivit, le 14 mars 2019 : « […] Les décideurs doivent accepter le caractère public de l’autorité de l’Etat. Ils doivent demander à celui qui fait fonction de Président aujourd’hui de démissionner et de nommer une instance de transition qui exerce les fonctions de chef d’Etat. Mustapha Bouchachi, Zoubida Assoul et Karim Tabbou devraient être sollicités pour exercer les prérogatives d’une présidence collégiale qui nommera un gouvernement provisoire qui gérera les affaires courantes et préparera les élections présidentielle et législatives dans un délai de 6 à 12 mois. Les généraux doivent aider à la réalisation de ce scénario et se dire, une fois pour toutes, que l’armée appartient au peuple et non l’inverse.»
On constate donc que, moins d’un mois après le début du Hirak, et à quelques jours près entre eux, Addi et Dhina ont fait des déclarations similaires. Ayant montré dans mon livre la proximité entre ces deux personnes, il n’est pas impossible qu’elles se soient concertées sur le sujet. Et cela pourrait expliquer la réaction outrancière du cofondateur de Rachad.
Pour revenir à Gilles Munier, son immixtion de la sorte dans le Hirak soulève beaucoup de questions. Un tel parti pris peut mener l’Algérie au chaos tel que celui vécu dans plusieurs pays de la région Mena. Son action n’est pas un coup de poignard dans le dos du Hirak comme il a bien voulu qualifier mon livre, mais un coup de poignard dans le cœur de l’Algérie. Et pour cela, nous serons toujours aux aguets pour qu’une nouvelle Algérie démocratique, moderne, inclusive et tournée vers l’avenir voie le jour grâce à un Hirak algéro-algérien.
En outre, le peuple algérien, en grande majorité musulman, est adepte d’un islam éclairé, compatible avec la modernité. Il a été marqué par la décennie noire et ne veut plus revivre ses horreurs.
En Algérie, Gilles Munier doit comprendre qu’il n’a aucune chance de publier un guide touristique sur notre pays, ni d’accaparer des millions de barils du pétrole algérien sur fond de scandale politique d’un pays exsangue.
Le peuple algérien n’aime ni les visiteurs de certains quais ni les panégyristes des potentats. C’est pour cette raison que sa sagesse est au diapason de la vigilance de son Hirak.
A. B.
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