L’ex-conseiller à la Maison-Blanche Steve Bannon : «Les Italiens sont ingrats !»
De Rome, Mourad Rouighi – En choisissant de se séparer de son conseiller et ami Steve Bannon, le président américain, Donald Trump, en cette fin d’année 2017, ne fait que céder aux pressions de son entourage proche, de son gendre Jared Kushner, de son influente fille Ivanka, du général Mc Master, se résignant par la même occasion à payer le prix politique des événements de Charlottesville qui éclaboussent son administration. La posture indulgente du locataire de la Maison-Blanche vis-à-vis de ce qui est présenté par la presse mainstream comme une vague suprématiste blanche, durant cette crise interne, scandalise, tant à gauche qu’au sein du parti républicain, de l’establishment économique et, surtout, chez les tenants du pouvoir réel.
Bannon est donc sacrifié et livré à une opinion publique remontée, qui le désigne comme étant le principal instigateur de cette flambée et dérive racialistes ; ce dernier acquiesce et liquide cette expérience aux côtés du président américain en confiant à ses amis que le projet politique pour lequel il s’est battu est désormais derrière lui.
Mesurant les avantages de son nouveau statut, il savoure cette liberté d’action nouvellement retrouvée et prépare sa reconversion ; il hésite néanmoins à se lancer dans de nouveaux chantiers politiques et accepte l’invitation de son ami, l’homme politique anglais Nigel Farage à se rendre en Europe.
Durant un séjour bruxellois, ce dernier lui illustre le projet d’un think-tank ficelé dans le moindre détail, à même de fédérer les mouvements nationalistes d’Europe, autour de lignes directrices susceptibles de réunir les diverses familles politiques, dites populistes, et accompagner ce vent fort de changement qui souffle sur l’Occident et que l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis a définitivement mis en orbite.
Le nom est prêt, The Movement, le Mouvement, et l’idée est suffisamment mûre pour convaincre Bannon de se lancer dans l’affaire et de tout faire pour qu’elle réussisse.
De fait, mis devant le fait accompli, Bannon savoure cette sollicitude qui l’entoure et se met à rêver d’un rôle de gourou, de faiseur de rois et de maître à penser d’une droite moderne, décomplexée, souverainiste… et judéo-chrétienne.
Une certaine naïveté, doublée d’une ambition vorace lui font toutefois oublier l’essentiel. L’idée du Mouvement a été, certes, validée par Farage mais elle a été élaborée bien avant, précisément lors du Jerusalem Leaders Summit, en 2016, un forum d’extrême droite, qui, en l’occasion, charge deux VRP, Mischaël Modrikamen et Joël Rubinfeld, d’orienter la montée des mouvements de droite en Europe vers une plateforme assez complexe, anti-arabe et plaçant les intérêts d’Israël au-dessus des priorités des électeurs du Vieux-Continent.
Deuxième étape de ce vaste chantier appelant Steve Bannon à la rescousse, la création d’une université pour défendre «l’Occident judéo-chrétien» ; le choix du site pouvant l’accueillir est à portée de main, puisque l’Institut catholique Dignitatis Humanae (DHI), un centre d’études dirigé par l’avocat britannique Benjamin Harnwell, proche de Bannon, obtient, en 2017, du ministère de la Culture italien une concession pour un monastère cistercien à 100 km de Rome, pour un bail de 19 ans et un loyer 100 000 euros par an, pour y installer un centre de réflexion, acquis aux valeurs catholiques, tout en s’engageant à effectuer dans des délais raisonnables des réhabilitations de ce vieux bâti, menacé à tout moment de dépérissement.
Or, dès le départ, son répertoire semble un peu usé et ses considérations politiques contre le pape François, la Chine et contre l’Europe pro-musulmans, sont souvent confuses – il peut attaquer Pékin la qualifiant de menace mortelle, tout en vantant le gouvernement italien qui vient de signer un important accord commercial avec ce pays – mais le public, qui applaudit à la fin de chaque intervention, ne semble pas relever les nombreux paradoxes.
En plus des doutes sur la capacité de DHI à gérer un lieu aussi contraignant et précieux, l’opacité du projet universitaire pousse à s’interroger sur la crédibilité de l’opération Bannon et Harnwell. Tous deux en parlent depuis des mois comme d’un projet sur le point de partir mais, à ce jour, il n’est pas encore clair quels devraient être les thèmes des cours et les sujets d’étude. Ils disent vouloir commencer par un master sur la gestion des médias. Ils auraient affiné un peu leurs idées sur ce qu’ils veulent faire, mais le ministère de la Culture exigeait au préalable un programme transparent et un site officiel indiquant toutes les activités de l’école. Or, face aux nombreux manquements au contrat stipulé au moment de l’attribution de la concession et pressé par des associations locales opposées dès le départ à ce projet, le ministère se résigne à instruire, fin 2018, une procédure pour obtenir la révocation de la concession de l’abbaye pour fausses déclarations.
Le procureur, qui, en l’occasion, représentait la Direction des musées du ministère du Patrimoine culturel, accuse en effet DHI d’avoir falsifié son dossier et d’avoir contourné toutes les conditions requises pour obtenir la concession de cette structure et contextuellement d’avoir fourni de fausses garanties, attestant de la solidité financière du projet.
De même, le procureur souligne que le statut de DHI n’indique en aucun cas, et sous aucune forme, de pouvoir s’acquitter des divers chapitres du cahier des charges et notamment pour ce qui a trait à la promotion du site et de posséder les références requises pour une telle adjudication. Le procureur a signalé au tribunal que DHI a omis de préciser que les cinq ans d’expérience dans la gestion d’un site de cette importance, ne faisaient pas partie du dossier de candidature à la concession et que le CV joint à ce dossier ne contenait aucune référence, ni attestation témoignant de l’habilitation technique de DHI à ce genre de projet.
Bannon encaisse mal le coup et résigné prend acte que l’étau se resserre sur son projet et que les tracasseries bureaucratiques, si ancrées dans les coutumes de la Péninsule, finiront par entamer son aura et lorsqu’il affirme qu’en Italie sévit une classe politique corrompue et incompétente, il ne fait en réalité qu’enfoncer son dossier.
Son arrestation, jeudi dernier, pour détournement de fonds destinés au financement du mur séparant le Mexique des Etats-Unis (un projet voulu expressément par le président américain Donad Trump), marque probablement la fin de course de ce personnage aux contours complexes qui, de toute évidence, a perdu de vue l’essentiel, à savoir que sans de solides soutiens acceptant – d’apparaître au grand jour –, son projet d’Occident judéo-chrétien se déliterait à la première difficulté et tomberait à l’eau, faute de transparence et d’horizons politiques viables.
Un rebondissement qui a été longuement commenté par la plupart des quotidiens italiens et de nombreux éditorialistes ont souligné la naïveté et l’angélisme d’une certaine droite italienne, cautionnant un personnage aussi loufoque ; des polémiques qui enflent, prenant des proportions aggravées par les nombreuses forfaitures contenues dans le dossier de DHI, que le Conseil d’Etat devra dénouer, d’une façon ou d’une autre, mais une chose est sûre, les nouveaux démêlés de Steve Bannon avec la justice newyorkaise lui faciliteront grandement les choses.
M. R.
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