L’Algérie dans le viseur des Empires
Par Dr Arab Kennouche – La dislocation progressive du monde arabe ne date pas d’aujourd’hui, il faut bien le reconnaître. Et son baromètre principal est bel et bien la question de la Palestine occupée. Depuis la création de l’OLP en mai 1964, deux ans après l’indépendance de l’Algérie, et l’institution d’un Etat palestinien par le Conseil national de la Palestine en exil à Alger le 15 novembre 1988, le peuple palestinien court toujours après une reconnaissance internationale sans équivoque et sans subterfuge. Le baromètre de l’indépendance totale du peuple palestinien, fixé très haut et sans atermoiements par les anciens ténors de la politique algérienne, comme nulle part ailleurs dans le monde arabe, se retrouve aujourd’hui au plus bas au moment où les nations arabes ne cessent de se faire la guerre au bénéfice de l’entité sioniste.
Après près de vingt années de bouteflikisme, l’Algérie doit affronter un vide sidéral dans sa politique étrangère qui devient flagrant dans le dépassement constaté sur la question libyenne. Bouteflika avait donné le ton en commettant l’erreur ou la trahison d’abandonner Kadhafi à son triste sort, achetant certainement par la même la stabilité de son trône contre la non-immixtion dans le dépeçage libyen. L’abandon de la Libye par l’Algérie de Bouteflika fut une occasion inespérée pour l’Otan d’établir une hégémonie territoriale par groupes islamistes interposés sur une bonne partie de l’Afrique du Nord.
C’est cet héritage empoisonné que doivent gérer les autorités algériennes sous la houlette du président Tebboune et de l’ANP de Chengriha. Les dégâts causés par Bouteflika et Gaïd-Salah en termes de sécurité nationale se payent aujourd’hui très chers devant le projet de contrôle total des côtes nord-africaines par les forces de l’Otan, projet sous-jacent à une politique bien plus radicale de soumission de l’ensemble de la Méditerranée à l’Otan.
Pourquoi la Libye ?
Au-delà des enjeux pétroliers que se disputent les grandes puissances, une occupation durable de la Libye coupera l’Algérie du reste du monde arabe, dont les deux mastodontes que sont l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Déjà, l’Algérie de Tebboune tente de se barricader contre les menaces terroristes mais il faut bien comprendre que l’érection d’un mur aura des conséquences catastrophiques sur la pérennité de l’existence d’un monde arabo-musulman ou bien même d’une civilisation islamique indépendante. La réaction tardive mais salutaire d’une ANP vouée à mieux gérer son espace géostratégique vital, par l’emploi d’une nouvelle doctrine militaire, montre l’importance de la perte de la Lybie.
En coupant le Machrek du Maghreb, les stratèges occidentaux ont entamé une phase importante de dislocation du bloc de civilisation arabo-musulman. On a pu constater aisément comment l’Otan, satisfaite de la prise de la Libye, a pu commencer une autre phase de remodelage des relations politiques d’Israël, gendarme de la région, avec les monarchies du Golfe. L’érection du mur libyen a permis à Israël d’insuffler un nouvel esprit de coopération avec des Etats du Golfe en vue de leur reconnaissance. Il n’existe plus désormais de monde arabe au sens d’une ligue politique mais bien deux entités séparées par le chaos libyen : la péninsule arabique soumise à Israël, et le Maghreb, en voie de soumission ? Le verrou algérien sautera-t-il ?
Pourquoi l’Algérie ?
Par la faute du sinistre Bouteflika, et du non moins arriviste Gaïd-Salah, l’Algérie se retrouve aujourd’hui isolée dans la partie occidentale du monde arabe. La révision salutaire de la doctrine militaire algérienne est la manifestation flagrante de l’erreur fatale de l’abandon de la Libye. Car nous ne sommes plus à l’ère du droit et de la diplomatie multilatérale, depuis que l’unilatéralisme américain s’est imposé comme une norme de droit coutumier, faisant voler en éclats les résolutions du Conseil de sécurité.
Les menaces géostratégiques de type hybride, mêlant des acteurs non étatiques détenant des capacités de nuisance conventionnelles, décrivent un monde international où, désormais, c’est la politique de puissance d’intervention qui dicte la marche à suivre. Engoncé dans un parlementarisme international suranné, datant des années Brandt et Nixon, l’Algérie de Tebboune et Boukadoum fait peine à voir tant elle doit gérer la situation aujourd’hui désastreuse héritée de son prédécesseur. Pourtant, même la Russie de Poutine avait bien démontré que le chiffon du droit international ne servait plus à rien, sinon même à affaiblir l’Etat qui s’en revendiquait dans la question de la Crimée.
C’est devant le fait accompli d’une intervention de puissance tout à fait légitime que la Russie a pu contrôler et mettre un frein à l’expansionnisme de l’Otan en Ukraine. C’est aussi dans un plus grand échiquier de contrôle planétaire des mers que la Méditerranée revêt une importance fondamentale pour l’Otan. Or, le flanc oriental n’est pas tout à fait sécurisé pour l’empire américain en quête d’un nouveau Mare Nostrum. D’autant plus qu’il faudra aussi protéger l’Europe des flux de migrants incessants sans la maîtrise de tout le littoral nord de l’Afrique. Ce sont ces menaces hybrides liant migration et terrorisme que l’Algérie est vouée à gérer, selon l’Otan. Cependant, une défaillance constatée sera le prétexte tout trouvé pour l’installation militaire des Etats-Unis, d’une manière ou d’une autre, en Algérie.
Et pourquoi la Turquie ?
L’interventionnisme d’Erdogan a étonné plus d’un observateur. Mais avant d’évoquer ce rôle de va-t-en-guerre, il faut bien constater le gouffre énorme créé par les diplomaties arabes dans leurs rapports politiques. Se déchirant sur la question yéménite et libyenne, jamais auparavant les Etats arabes n’ont donné l’occasion à la Turquie de se fabriquer un nouveau rôle de gendarme du monde musulman. Ce sont les Libyens d’Al-Sarraj qui ont appelé de leurs vœux à une solution à la turque et sont allés chercher Erdogan. En Algérie, Bouteflika n’a jamais trouvé à redire sur les accointances du MSP de Mokri avec l’AKP d’Erdogan. En cas de déflagration politique en Algérie, c’est la Turquie, pour un camp, qui sera appelée du pied. L’interventionnisme de puissance de la Turquie est désormais un fait établi, à voir le cas de l’Azerbaïdjan.
Cette menace a été largement sous-estimée par Gaïd-Salah, en laissant pénétrer le poison émirati en Algérie et en attendant de faire chauffer le ressort turco-Frères musulmans. Dans une politique de lutte entre empires (Etats-Unis, Chine, Russie, Europe) et de sous-empires (Turquie, Iran), l’Algérie n’a pas d’autre choix que de monter en rang de puissance militaire, mais pas seulement dans l’optique d’un blindage sur ses frontières. Les frontières étatiques de l’ère Bouteflika n’existent virtuellement plus. C’est l’utilisation optimale des cinq mers et des cinq continents qui oblige désormais chaque Etat à assurer sa sécurité intra-muros dans le sein d’un espace vital globalisé.
A. K.
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