Le Hirak et ses effets secondaires
Par Ferid Racim Chikhi(*) – Dans l’opinion qui suit, il est question des effets inhérents au Hirak en dehors des premiers qui ont empêché le 5e mandat présidentiel et qui ont chassé quelques corrompus et corrupteurs mais qui ont ouvert grâce au Coivd-19 la prochaine approbation par référendum d’une nouvelle Constitution. Il est question aussi de la démocratie tant espérée mais qui se trouve contrée par le danger islamiste contre le projet de société qui appelle à la refondation de la République Algérienne.
L’amendement de la Constitution
Le Hirak, comme Révolution pacifique du sourire, n’est plus à la croisée des chemins parce qu’il a atteint ses objectifs initiaux. Il a ébranlé et chassé du pouvoir un président qui a échoué dans sa gouvernance et créé les conditions d’un marasme multiforme, cependant il a ouvert la porte à un pouvoir à l’évidence sans expérience de la chose politique parce qu’il n’a pas su, à ce jour, décrypter le sens commun de ce mouvement. Le Hirak a gagné ses lettres de noblesse dès le moment où il est imité et cité en exemple partout dans bien des parties du monde et ses causes comme ses effets immédiats (en attendant de voir les autres) sont enseignés dans des départements de sciences politiques, de sociologie et d’histoire d’universités prestigieuses.
Il reste que la mise de l’avant du projet d’amendement de la Constitution porte en lui des concepts qui augurent d’incertitudes difficilement appréciables à l’heure actuelle. Ceci pour dire qu’en tant que le citoyen est interpellé par deux paramètres. Le premier est celui du choix de la date du jour anniversaire du déclenchement de la Révolution de Novembre 1954. Le second concerne le qualificatif qui est accolé au sigle du FLN. Ces deux amendements sont porteurs de contingences et d’une configuration qu’il faut redouter.
Le premier est pernicieux, usurpateur pour ne pas dire contrefacteur. C’est à se demander si on se prépare encore à un autre effacement d’un pan de la mémoire révolutionnaire. Le 22 février 2019 a été récupéré par le pouvoir en place pour lancer sa nouvelle République algérienne, encore un concept frauduleux et sans l’assentiment des citoyens. Si l’objectif est de placer le FLN au musée du patriotisme national, personne n’est contre. Cependant, pourquoi ne pas le faire avec les honneurs dus aux martyrs et au combat libérateur des Algériens ? Le 1er Novembre 1954 doit être protégé afin d’éviter tout effacement de la mémoire anticoloniale, celle de la lutte pour la récupération de la souveraineté nationale. Les promoteurs de cette idée ne mesurent pas les effets sur l’histoire nationale mais aussi sur celle de bien des pays qui ont acquis leur indépendance à la suite de luttes mémorables et en se référant à celle des Algériens.
Ce qui est déplorable, c’est qu’au lendemain de son investiture le Président avait une opportunité unique de dissoudre les assemblées élues sous l’ère Bouteflika et d’offrir une nouvelle démarche institutionnelle. Il aurait pu parler au nom du Hirak. Malheureusement, il a failli et maintenu les politiques et les procédures du siècle dernier. Celles que le Hirak a justement dénoncées. S’il avait déclaré l’amnistie et la suspension des détentions des militants, des animateurs et des activistes du Hirak, qui ne l’aurait pas cru et suivi même si sa légitimité est contestée ?
Il reste que si la Constitution a une importance primordiale dans le devenir du pays, ce qui compte ce n’est pas la Constitution en tant que telle mais son application sur le terrain.
La démocratie ?
Ce que vit l’Algérie est encore une occasion qui sera imputée aux errements renouvelés d’un pouvoir incapable de décrypter l’expression du sens commun. La démocratie du Hirak, par exemple, et ses effets sur la population ainsi que la vie politique de l’Algérie avaient pris une place prépondérante dans les différents rassemblements. C’était la relation entre les citoyens et les animateurs du mouvement. Semblable à celle d’un pays où le peuple communie avec ses élus, ses gouvernants, etc.
Le maintien des institutions élues montre on ne peut mieux que le message populaire n’est pas compris par les gouvernants qui affichent un mépris évident à l’endroit du peuple. Or, qui ne sait pas que les députés reçoivent un mandat du peuple mais font-ils leur travail ? On peut en douter ne serait-ce qu’en constatant leur absentéisme chronique, leur ignorance, leurs agissements, leur éloignement de ceux et celles qui les ont «élus». Ils prennent rarement l’initiative de projets de lois alors que la Constitution leur en donne le droit. Sur le plan local, la plupart des élus locaux passent leur temps à revendiquer des aides de l’Etat et sont incapables d’anticiper les problèmes. En tout état de cause, peut-être dans une ou deux générations si l’éducation nationale est refondée, transformée, restructurée. Si le statut personnel de la femme change pour lui offrir la place entière qu’elle mérite et si la religion est cernée dans les espaces qui lui conviennent loin de la gouvernance, peut-être que la démocratie poindra à l’horizon.
Mieux encore, si le citoyen est mis au centre des préoccupations des élus et des gouvernants et si le militaire prend sa place d’abord comme citoyen et qu’il se mette réellement au servir non seulement du pays mais aussi de la citoyenneté, peut-être que cela sera possible ?
Les islamistes et leurs accointances gouvernementales
Actuellement, à la veille de ce 1er novembre 2020, le pouvoir est à la manœuvre avec les islamistes, en mettant en œuvre deux programmes, le premier est celui du renforcement de l’arabisation et le second celui de l’islamisation de l’école. Les deux n’échappent à personne et il faut ajouter un troisième : le recul des programmes économiques gouvernementaux. Malheureusement, la mentalité, l’état d’esprit ont été tellement corrompus que leurs tenants trouvent facilement des relais pour les aider à se renforcer.
Après le référendum sur la Constitution, il y aura les législatives. Comme la nature a horreur du vide, si les partis peu représentatifs boycottent le scrutin, ils n’auront aucune tribune pour exister politiquement. S’ils participent, s’ils s’impliquent, ils pourront espérer impacter la vie politique, à condition qu’ils revoient complètement leur logiciel. Le Hirak comme mouvement sans organisation ni verticale ni horizontale n’a pas eu pour objectif sa structuration en prévision des batailles politiques électorales. Peut-être que les initiateurs n’ont pas eu le temps de le faire puisque presque tous ont été mis en détention ou invités à rejoindre leurs quartiers. Cela s’est fait dans le silence total.
Cependant, si le pouvoir veut œuvrer pour le bien du citoyen, il a l’option de mettre en œuvre des solutions à titre transitoire, en changeant en souplesse des paradigmes organisationnels et fonctionnels de la gouvernance. Il pourrait en accord avec la société civile, les organisations citoyennes et les personnalités locales sérieuses ouvrir des canaux de communication et mettre en place des passerelles pour un dialogue serein et sincère. Lancer un dialogue décliné sur le court, le moyen et le long terme axé sur l’économie, l’agriculture, l’urbanisation, l’éducation et la culture, la diaspora et d’où émergeront de nouveaux profils représentatifs des citoyens.
Le danger islamiste
C’est un des outils pour éviter l’intrusion perfide des islamistes. La question est considérée avec attention, notamment avec les falsifications éhontées de l’histoire de la Révolution et l’hégémonisme islamiste transnational.
N’oublions pas que l’islamisme est l’épine au pied sur laquelle ont marché les dirigeants des années «1980». Les islamistes ne cessent de s’infiltrer et d’enfler avec l’appui accordé par l’ancien Président. Les liens des islamistes algériens avec ceux des autres pays, que ce soit au Moyen-Orient, en Asie ou en Europe, le soutien intéressé des puissances occidentales en rajoute et cela est encore plus visible de nos jours. Le pire, c’est qu’en Algérie les islamistes sont au pouvoir au sein de l’éducation nationale, la justice, les affaires religieuses, les télécommunications, les institutions électives locales, etc. et adulés par les militaires. C’est dire que le Hirak a juste balayé sous le tapis le problème.
Deux projets de société inconciliables
Aujourd’hui, ses représentants basés à l’étranger lancent des actions liberticides et d’intimidation contre un observateur qui a quitté la scène politique depuis fort longtemps. L’observateur de la scène politique, Saïd Sadi, fait l’objet d’un affichage mortifère par l’organisation islamiste Rachad. Il ne s’agit pas d’une simple confrontation entre deux hommes politiques. L’un est porteur d’un projet totalitaire et orienté vers le passé et la régression sociétale, l’autre décline celui d’une société démocratique, tournée vers le progrès et le développement du citoyen et de toute la société. L’un est obscurité et obscurantisme, l’autre est avenir et futur et tourné vers le savoir et la connaissance.
Par conséquent, ils se réfutent dans la forme et dans le fond, ce qui fait qu’ils sont antinomiques. Le projet que portent les islamistes, toutes tendances confondues, est celui de l’endoctrinement, de l’embrigadement et si cela ne fonctionne pas il préconise l’intimidation jusqu’à la violence physique, en décimant les intelligences qui fragilisent leur programme de prise de pouvoir. Ce projet porte en lui les germes de l’adversité contre tout ce qui ne rejoint pas ses idées, ses dogmes d’un autre âge ; ses attaches à des préceptes dignes de la jahilya (période ante islamique, ndlr). Il ne laisse aucune place à l’esprit critique.
Le projet que défend Saïd Sadi est celui d’un humaniste. Celui d’un esprit éclairé. Celui d’un libre penseur et rhétoricien rigoureux auquel s’ajoute le patriotisme. Pour clore ce chapitre, il faut savoir que l’islamiste en chef de Rachad bénéficie du soutien financier de divers bailleurs de fonds et de plusieurs organisations islamistes transnationales. Il n’a pas l’Algérie au cœur. Le Dr Saïd Sadi a le support de la vérité, celle que porte en eux des compatriotes exilés durant la décennie noire et en Algérie des démocrates qui militent encore, avec abnégation et détermination.
En conclusion
Au-delà des aspects politiques que personne ne peut minimiser et notamment la pléthore de pseudo-partis multifonctions, ce sont, de nos jours, les urgences économiques qui interpellent et qui font que la situation globale incertaine pour les citoyens et la faiblesse des marges de manœuvre gouvernementales. Formuler quelques-unes sous forme de questions pourrait ouvrir la porte à des projets de développement qui mettraient bien du monde au travail : comment sortir du Covid-19 ? Comment remettre les gens au travail ? Comment résorber le chômage de masse (5 millions de chômeurs) ? Comment gérer le pays avec moins de 50 milliards de dollars de réserves de change ? Comment se libérer de la dépendance aux hydrocarbures ? Comment éviter de recourir au FMI ? etc. Ces urgences imposent une vraie refondation des approches politiques de l’économie, à la fois de la part du pouvoir et des partis d’opposition. C’est à l’aune de ce changement de paradigmes que les citoyens algériens sépareront le bon grain de l’ivraie.
F.-R. C.
(*) Consultant, membre du groupe d’analyse et de réflexion Afrique du Nord/Amérique du Nord
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