Le message émouvant d’un descendant de Siciliens : «Je veux mourir algérien !»
Par Kamel M. – Le témoignage poignant d’un Algérien originaire de Sicile dont les parents ont débarqué en Algérie alors qu’ils se rendaient aux Etats-Unis a fait le buzz sur les réseaux sociaux ces dernières vingt-quatre heures. Il s’agit de la famille Batania qui a élu domicile dans la coquette ville côtière de Bou Ismaïl, à l’ouest d’Alger. «Monsieur Batania, oulid leblad (enfant du pays, ndlr), né à Bou Ismaïl en 1932, je suis pêcheur, professeur d’enseignement maritime». C’est ainsi que s’est présenté l’orateur, en affirmant que «l’Algérie, c’est mon pays».
«Vous avez devant vous un homme de presque cent ans qui vous contemple», a-t-il dit, en tenant à préciser : «Je suis d’origine non pas italienne, mais sicilienne.» «La Sicile est une île qui a passé une misère terrible, parce que c’était une île stratégique», a-t-il expliqué, dans un français teinté d’un accent algérois. «Jusqu’au moment où la ruée vers l’or est arrivée, c’est-à-dire l’Amérique. Un grand nombre de Siciliens sont partis en Amérique puis vint le tour de mon grand-père et mon père. Ils ont pris le bateau à destination de l’Amérique, donc», raconte-t-il.
«Arrivés devant Mansouriah (Ziama Mansouriah, dans la wilaya de Jijel, ndlr), le bateau a subi une avarie. Ils sont alors rentrés à Béjaïa. Ils ne parlaient pas un mot de français, bien entendu, ils se sont dit qu’ils étaient en terre française», a poursuivi le vieux Batania, en mêlant quelques mots en arabe. «En Sicile, les Français étaient vénérés pour être le pays de rois, alors qu’ils y ont fait beaucoup de mal aussi», a-t-il expliqué. «Arrivés à Béjaïa, ils ont constaté qu’il y avait tout ce qu’il faut dans ce pays, il y a le mérou, il y a le pagre, il y a le corail, il y a des anchois, car c’était des saveurs», a encore expliqué l’enfant de la côte ouest, dont les aïeux se sont installés un moment dans la plaine de la Kabylie où, dit-il, ils ont découvert la vraie Amérique.
«Ils ont tellement trouvé de bonnes choses dans ce pays, l’Algérie, qu’ils ont dit que c’est là le Paradis, alors ils ont abandonné leur projet d’émigration en Amérique», a-t-il insisté. «Voilà comment la famille Batania est née en Algérie», a jouté ce Sicilien, selon lequel «il y a une grande partie de mektoub (destin), bien entendu». «De Béjaïa, ils (ses aïeux, ndlr) sont partis à Bou Haroun mais, avant d’y arriver, il y avait un petit bled (patelin, ndlr), qui s’appelle Khemisti, à l’époque il s’appelait Chiffalo, où il y avait une communauté de Siciliens qui se sont retrouvés presqu’en famille», raconte encore M. Batania, dont les parents étaient palangriers.
«Le goût de la pêche m’a été transmis par mes parents», a confié cet enseignant en sciences maritimes. «La mer avait son académie, avec tous ses principes, sa culture, sa philosophie», a-t-il fait remarquer. «Et moi je pense être arrivé à un très grand niveau, peut-être pas le plus haut, mais peut-être pas loin», a-t-il assuré, non sans fierté. «Je suis parti d’Algérie, là-bas, puis il y a eu l’indépendance. Un Algérien m’a demandé, à l’époque, si je pouvais conduire son bateau jusqu’en Algérie, je lui ai dit : pourquoi pas ? Chacun a son propre drapeau maintenant», se remémore-t-il.
Et de raconter cette anecdote qui rappelle les années de plomb dans l’Algérie postindépendance : «Un jour, des hommes dans une voiture noire m’ont abordé et m’ont dit qu’ils allaient revenir le lendemain me prendre à la rue Zighoud-Youcef, au ministère des Transports». «J’ai pris peur, je ne savais pas si c’est moi qui allais payer pour les un million et demi de martyrs», a-t-il confié, un tantinet ironique. «On m’a offert un café suivi d’un beau cigare bagué. Je ne sais pas si c’était la dernière volonté ou quoi, je me suis dit ça ne va plus, là ici !» a-t-il poursuivi sur le même ton humoristique.
«Le conseiller du ministre m’a alors demandé de travailler pour l’Algérie», raconte encore «oulid Bou Ismaïl» qui affirme avoir répondu du tac au tac : «Bien sûr que je veux travailler pour l’Algérie, c’est mon pays !» «Et c’est là que commence la grande histoire de la pêche en Algérie, après l’Indépendance», précise-t-il, en révélant que le président Boumediene avait «commandé trente ou quarante bateaux [de pêche] d’Allemagne de l’Est». «J’ai formé tous les patrons de pêche», s’enorgueillit celui qui affirme être à l’origine du nom la Coiffe donné à la crevette en 1971. «La Coiffe est maintenant répandue sur tout le long de la côte algérienne», a-t-il précisé.
M. Batania relate, enfin, l’émouvante histoire d’un Coran qu’il a trouvé un jour et qu’il a confié à une de ses connaissances. Puis, lorsque ses enfants ont grandi et lui ont demandé à voir cet exemplaire du Livre saint, la personne à qui il l’avait confié l’a informé qu’elle l’avait offert à la mosquée de La Scala, sur les hauteurs d’Alger. «Je lui ai répondu que c’était à moi de choisir la mosquée où ce Coran devait être entreposé, j’aurais peut-être choisi Bou Ismaïl, Béjaïa, Azeffoun ou peut-être même au musée», a-t-il dit.
«A l’époque, je n’étais pas musulman. Ma femme m’a dit : ma fille, c’est moi qui lui donne le nom, qui la baptise ; quant à mon fils Nassim, tu en fais ce que tu veux. En tant que catholique, j’ai été à Notre-Dame d’Afrique, il y avait le papas (prêtre, ndlr), et j’ai choisi le parrain et la marraine. Sitôt sorti de l’église, comme si un ange m’était apparu pour me dire : tes enfants seront musulmans !» se souvient M. Batania qui affirme avoir déposé sa demande de nationalité algérienne depuis dix ou quinze ans, en vain. «Qui mieux que moi pourrait y prétende ? J’ai toutes les caractéristiques voulues pour avoir tout donné, mon savoir, etc. à cette Algérie qui est un des plus beaux pays du monde», a-t-il regretté, en concluant, non sans émotion : «Je mourrais bien sûr ici avec le drapeau algérien car je suis Algérien !»
L’Algérie compte un grand nombre de citoyens originaires de Sicile et portant le nom de Sqolli. Comme elle compte un grand moudjahid dont les ancêtres siciliens se sont tôt installés dans l’est de l’Algérie, Salem Giuliano, décédé il y a quelques années à Annaba.
K. M.
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