L’assassinat du scientifique iranien Fakhrizadeh et le piège tendu par Israël
Par Ali Akika – Est-ce la peur mauvaise conseillère qui a poussé Israël à assassiner Fakhrizadeh ? Ou bien est-ce un piège grossier de Netanyahou après la reculade de Trump d’attaquer l’Iran sous la pression de «l’Etat profond» américain ? Ces questions ne sont pas farfelues si l’on fait un récapitulatif de l’attitude d’Israël vis-à-vis du nucléaire iranien. On sait que l’accord nucléaire international de 2015, signé notamment par Obama, a rendu furieux Israël. On sait aussi que le premier acte diplomatique de Trump a été de sortir de cet accord pour la plus grande joie d’Israël. L’objet de cet article est de faire un lien entre l’assassinat du savant iranien et la prochaine accession d’un nouveau président américain à la Maison-Blanche. Joe Biden a déclaré qu’il reviendrait à l’accord et entamerait des négociations avec l’Iran.
Mais auparavant, un mot sur les zélotes et perroquets d’une catégorie de journalistes qui participent au brouillage d’un acte de gangstérisme international pour le rendre légitime. Ces plumes mercenaires prouvent une fois de plus à la fois leur ignorance et leur incompétence face à un problème qui navigue dans les eaux trouble des services secrets et dans l’espace/temps de l’art de la guerre qui n’obéit nullement à leur esprit formaté par la logique cartésienne. Abandonnons cette petite meute hargneuse et penchons-nous sur les acteurs du terrain.
Ainsi, le couple diabolique Trump/Netanyahou pense gagner une guerre en pratiquant le crime politique. Les exemples pourtant dans ce genre de crime se sont toujours soldés par des échecs honteux et misérables. Le cheikh palestinien Yacine assassiné à Gaza par un missile tiré d’un F16 n’a pas empêché les fidayîn palestiniens de passer de l’AK47 (la Klach) aux missiles. Le meurtre du général iranien Souleymani le 3 janvier 2020 n’a pas retardé l’aide à la Syrie et la mise en place d’une DCA qui a fermé le ciel syrien aux avions d’Israël. On voit que la conception de la guerre qui se fonde sur le culte de la force conjuguée au vide d’une pensée métaphysique nourrit l’esprit du tandem Trump/Netanyahou. Je me permets humblement de dire qu’une guerre se gagne avec l’appui d’un peuple, la justesse de la cause mise en musique par l’art de la guerre. Jetons un coup d’œil sur la vision de Trump enfermé dans sa Maison-Blanche, rongé par l’ennui tout en semant des chausse-trapes visant à compliquer la tâche de son successeur…
Comme l’ont révélé les grands médias américains, Trump était sur le point d’attaquer l’Iran mais fut fermement dissuadé par la crème des crèmes de ses conseillers. Ce geste inconsidéré était à l’évidence un acte dont les conséquences étaient incontrôlables. Pour les stratèges des services de renseignement et de l’état-major de l’armée américaine, c’était purement et simplement un risque qui frise le délire. Ils ont pensé que Trump a cédé à Netanyahou dont les arrière-pensées n’étaient même pas dissimulées.
N’oublions pas que l’Etat profond américain ne fait jamais une guerre qui met en danger les intérêts et la sécurité du pays. Du reste l’establishment américain a une expérience avec le coriace et rusé joueur d’échec iranien. Le Pentagone se rappelle du fiasco de l’expédition héliportée des Marine’s les 24-25 avril 1980, partis libérer les otages américains enfermés dans leur ambassade à Téhéran. Leurs hélicoptères furent ensablés dans le désert iranien et eurent la vie sauve grâce aux secours de leurs camarades postés dans une base militaire ou un bateau de guerre dans la région (cet échec coûta la réélection de Jimmy Carter).
Le deuxième échec militaire avec l’Iran fut la destruction d’un «paquebot» (drone) volant bourré d’électronique pour filmer la moindre aiguille au sol. Enfin, les stratèges militaires ont dû expliquer à Trump que frapper l’Iran n’est pas une partie de plaisir. Qu’un acte de guerre de cette nature coûtera plus cher que les gains engrangés. Primo, le ciel iranien fermé par une DCA sophistiquée fera un carton parmi les avions américains et les aviateurs tués ou prisonniers ne seront jamais pardonnés à Trump. Secundo, les bases militaires de la région et les bateaux de guerre seront des proies faciles aux missiles de haute précision iraniens.
Les missiles qui se sont abattus sur la base américaine d’Aïn Saad en Irak (1) janvier dernier sont un avant-goût des ripostes futures iraniennes. La reculade de Trump de bombarder l’Iran avant son départ était-elle le fruit de l’analyse rationnelle de son entourage et conseillers ou bien un jeu entre Trump et Netanyahou ? Personne ne le saura, du moins pas avant très longtemps. En revanche, on peut déduire que cette reculade de Trump n’a pas calmé l’envie de Netanyahou de régler ses comptes avec l’Iran. Il lui fallait faire un coup qui ferait mal à l’Iran qui obligerait ce pays à répondre à l’agression. Tomber dans le piège tendu qui justifierait une attaque des Etats-Unis et Israël qui deviendrait «légitime».
Manque de peau, le président iranien, en bon joueur d’échec, a vu venir le coup et, quelques heures après le crime, déclara au monde entier deux choses. Le crime ne restera pas impuni et l’Iran ne tombera pas dans le piège tendu. En clair, l’Iran réglera ses comptes une fois Trump parti à la retraite et, à ce moment-là, Israël goûtera au fruit amer de la solitude internationale. La déclaration de Rohani est-elle aussi un piège pour «endormir» l’ennemi et le surprendre ensuite sans attendre le départ de Trump ? On le voit, les deux ennemis mènent une guerre totale se déroulant sur le terrain militaire et sur l’espace opaque de la désinformation.
Faisons maintenant un flash-back, comme dans un film, sur l’attitude de Netanyahou pour comprendre son agitation en lien avec les problèmes qu’il a avec la justice de son Etat (allusion à son procès actuel sur la corruption).
Devant la reculade de Trump d’attaquer l’Iran, Netanyahou sortit une énième carte provocatrice en assassinant le physicien iranien. L’acte commis fut condamné dans le monde, certes, avec beaucoup d’hypocrisie et d’arrière-pensées. Bizarrement, Trump n’a pas sauté sur son compte de tweet pour bombarder l’opinion de ses états d’âme. En revanche, les grands médias américains ouvrirent leurs colonnes à des ex-membres des services secrets qui désignèrent Israël comme l’acteur du crime. En réponse, ministres et chef des services des renseignements israéliens démentent ou bien naïvement déclarent ne pas avoir d’infos sur le sujet. Sommes-nous là encore dans le jeu de la manipulation ? En tout cas, du côté de l’Iran, il n’y a pas eu de réaction impulsive et désordonnée espérée par Netanyahou. En revanche, l’Iran a obligé Israël à élever au maximum l’état d’alerte. Cette tactique a été utilisée par le Hezbollah qui a forcé Israël à mobiliser ses troupes depuis plusieurs mois à la frontière nord.
C’est l’arroseur arrosé dans cette séquence où le piège tendu par Israël se retourne contre lui. Israël s’attendait que l’Iran frappe. La simple phrase du président Rohani sur le châtiment réservé aux auteurs du crime a suffi de faire prendre aux forces d’Israël une posture d’attente angoissante. Comme dans le roman de Buzzati Le Désert des Tartares où les soldats scrutent avec angoisse l’horizon en permanence mais ne voient rien venir.
Trump et Netanyahou ont passé leur temps à s’agiter, en bricolant des coups contre l’Iran sans modifier l’attitude de l’Iran (embargo, incendies de site nucléaire, cyber-attaque). Faire vraiment la guerre à l’Iran n’est pas une joyeuse promenade de santé mais une entreprise chimérique qui ne peut sortir que d’un cerveau quelque peu imperméable à l’art de la guerre. Et l’art de la guerre est plutôt appliqué par l’Iran qui a neutralisé Trump (comme Carter) dont le rêve est parti en fumée devant les descendants de Darius. Il en est de même pour Netanyahou dont l’ambition d’empêcher l’Iran de s’installer en Syrie et d’avoir une bombe atomique est voué à l’échec. Il espérait combler cet échec avec les accords signés avec les féodaux du Golfe.(3) Ceux-ci seraient prêts à mettre au service d’Israël des bases et des îles à quelques encablures de l’Iran pour avoir un levier de menace et de dissuasion pour obliger l’Iran à évacuer ses troupes de la Syrie. Mais au fond de lui-même, il sait que le facteur géographique des Emirats ne pèse rien dans la balance.
Israël a une autre contrainte qui pèse plus lourdement sur sa politique. C’est une équation stratégique insoluble. C’est l’étroitesse du territoire démuni de profondeur stratégique et l’absence de pays amis à ses frontières qui empêchent Israël de pratiquer une stratégie de défense.(2) L’armée israélienne a donc été condamnée dès sa naissance à une stratégie d’attaque qui a fonctionné tant qu’elle avait la maîtrise du ciel. Cette avantage-là s’est rétréci comme peau de chagrin et s’est traduit par une paralysée en territoire ennemi de son infanterie et de ses chars. L’armée israélienne en a senti le poids de cette leçon de guerre de mouvement en 2006 que le Hizbollah lui a donné.
Aussi l’agitation du couple d’amateurs Trump-Netanyahou envahi par une subjectivité pesante et désordonnée marque-t-elle l’échec des politiques d’embargo et des coups fourrés des services secrets. A défaut de résultats concrets, «notre» couple va se satisfaire de semer des petits cailloux dans les chaussures de Joe Biden qui veut essayer de redorer le blason américain. Cependant, Biden commence mal en disant qu’il faut rétablir le statut perdu de son pays, celui de guide du monde, rien que ça. De toutes les manières, tous ceux qui vivent dans le déni du réel finissent par sombrer dans les pièges que réservent l’Histoire à tous les arrogants et autres colosses aux pieds d’argile. Les roitelets du Golfe et du Maghreb devraient s’imprégner de cette vérité de base de la politique.
A. A.
1- A la suite de l’assassinat du général Quassem Soulaymani, l’Iran a bombardé une base américaine en Irak infligeant de lourdes pertes à l’armée américaine. Trump qui avait promis une réponse sévère a apparu à la télé la mine défaite et déclarant qu’il renonçait à des représailles. Le nombre de victimes et les dizaines de drones calcinés ont dû peser dans sa décision.
2- Dans l’art de la guerre théorisé à partir des batailles par les grands stratèges, la stratégie de la défense est supérieure à l’attaque. Les exemples ne manquent pas. Le plus marquant et récent est celui de Stalingrad où la machine de guerre mécanisée de l’Allemagne s’est brisée grâce à la fois à la résistance des Russes et à la profondeur stratégique du pays qui a permis de harceler les arrières de l’ennemi dans une guerre de mouvement, donc d’attaque. La conjugaison de la défense et de l’attaque est devenue l’art suprême de la guerre.
3- Les menaces à peine voilées de l’Iran ont fait paniquer les pays du Golfe qui sortent de leur silence complice pour condamner enfin l’assassinat du savant iranien. Ont-ils pris conscience qu’Israël se sert d’eux comme bouclier ? Un jour ou l’autre, ils feront l’expérience comme l’Egypte qui assiste au jeu d’Israël qui soutient l’Ethiopie en train de construire un barrage sur le Nil. Conséquences, le débit de l’eau va sensiblement diminuer pour le grand malheur des paysans égyptiens. Israël a déjà joué un tour à l’Egypte en persuadant les Etats-Unis de ne pas financer le barrage d’Assouan. Heureusement l’URSS prit le relais et sauva l’Egypte des pires difficultés.
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