David T. Fischer : un ancien vendeur de voitures bombardé ambassadeur au Maroc
Par Sabri Oukaci – L’ambassadeur américain au Maroc, David T. Fischer est un ancien vendeur de voitures qui était à la tête de concessions automobiles représentant près de 36 marques de voitures, principalement dans l’Etat du Michigan.
Républicain convaincu, ce philanthrope notoire de 73 ans avait intégré, dès 1988, l’équipe d’élite des donateurs républicains : la «Team 100», un club fermé réservé uniquement aux contributeurs ayant donné au moins 100 000 dollars aux républicains. Aussi, c’est près de 250 000 dollars qu’il avait «généreusement» offert à la candidature de Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2017.
Trump avait, à titre de remerciements pour ses dons financiers, désigné en 2018 David T. Fischer ambassadeur des Etats-Unis au royaume du Maroc. Ce dernier n’a pu prêter serment que le 16 janvier 2020, soit après trois années d’attente, faisant ainsi du Maroc le seul pays du Maghreb à être longtemps demeuré sans ambassadeur américain après l’élection du président Donald Trump !
Cet acte qui peut surprendre est pourtant une pratique courante dans la plus grande démocratie du monde. A titre d’exemple, John Rakolta Jr, ancien PDG d’une compagnie de construction basée à Detroit, a pu être nommé ambassadeur aux Emirats arabes unis en mai 2018, suite à ses charitables donations au candidat Trump. Ceux qu’on appelle les «political appointees» sont bien évidemment choisis selon leurs accointances politiques, et en récompense des services rendus pendant la campagne électorale, mais la procédure reste toutefois contestable car elle se fait au détriment de la nomination de diplomates professionnels.
Si certains défenseurs de la pratique américaine de nominations politiques des ambassadeurs rappellent que la proximité de la personnalité choisie avec l’hôte de la Maison-Blanche peut être un atout pour le pays d’accueil, du fait de la relation privilégiée entretenue par ces nantis avec le Président, ils ne peuvent, d’un autre côté, occulter les graves erreurs d’appréciation que peuvent engendrer leur manque de culture diplomatique et la flagrante méconnaissance de la légalité internationale.
Lors de son audition par le comité sénatorial des relations extérieures le 22 août 2018, David T. Fischer avait déclaré : «J’appuierai les efforts des Nations unies pour faire avancer un processus juste, durable et solution politique mutuellement acceptable, qui prévoit l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental.» Une déclaration aux antipodes du point de presse tenu vendredi 11 décembre 2020 par l’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc, y affirmant que le plan marocain d’autonomie serait la seule option réaliste pour parvenir à une solution juste, durable et mutuellement acceptable pour les aspirations des populations du Sahara !
Fischer, qui hormis une courte expérience dans l’administration locale de la ville de Détroit, et sa désignation à la commission judiciaire de l’Etat du Michigan, n’a aucune expérience diplomatique, aurait-il leurré les membres du Sénat américain lors de son audition ? Que dire du Président américain sortant qui a décidé unilatéralement de reconnaître l’occupation illégale d’un territoire autonome au détriment des règles internationales, alors même que les Etats-Unis ne s’étaient jamais opposés aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, et du maintien de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental ?
En normalisant ses relations diplomatiques avec Israël, en échange de la reconnaissance par le président américain Donald Trump d’une prétendue souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, le Maroc s’est vu proposer un contrat d’armement pour 1 milliard de dollars, qui comprend notamment des drones de combat américains, auxquels s’ajoutent 3 autres milliards de dollars d’investissements, destinés aux banques et aux hôtels marocains, mais surtout aux sociétés appartenant au roi Mohammed VI… Une manœuvre, aux relents de troc nauséabond, que seuls des businessmen sans éthique, transformés conjoncturellement en politiciens sans principes, peuvent entreprendre, à l’instar d’un Donald Trump ou d’un David T. Fischer qui, manifestement, ignorent tout des nobles aspirations des peuples palestinien et saharaoui à disposer librement de leur avenir, sur leurs propres terres…
Il nous paraît dès lors fort probable que la tardive installation de l’ambassadeur américain David T. Fischer, pour une durée qui, finalement, ne pourra dépasser une année, n’avait été décidée par Washington que dans la seule perspective de passer un deal qui ne profitera qu’aux investissements américains dans les riches territoires de la République arabe sahraouie démocratique.
Notons que l’accord Rabat-Tel-Aviv a été conclu avec l’aide de l’investisseur juif marocain Yariv Elbaz, un proche du ministre des Affaires étrangères du Maroc, Nasser Bourita, ayant agi en tant qu’intermédiaire aux côtés de Reuven Azar, conseiller spécial de Benyamin Netanyahou et considéré comme proche de Jared Kushner, le beau-fils de Trump, qui préside la fondation familiale ayant fait des dons d’un montant de 325,860 de dollars américains à l’organisation Friends of the Israeli Defence Forces, association qui collecte des dons au bénéfice de l’armée israélienne…
De même, la rencontre du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, en marge du sommet de l’Assemblée générale des Nations unies en 2018, avait été rendue possible grâce au conseiller à la Sécurité nationale de Netanyahu, Meir Ben-Shabbat, et l’homme d’affaires israélo-marocain, Yariv Elbaz.
Une véritable intrigue politico-financière initiée au départ par l’ancien directeur adjoint du Mossad, Ram Ben Barak, qui est actuellement député du parti d’opposition Yesh Atid, et qui dirigeait une entreprise en affaires au Maroc avec… Yariv Elbaz ! Aussi était-il attendu que l’accord de reconnaissance de l’Etat hébreu par le Maroc soit vite rejeté par le sénateur américain Jim Inhofe, allié de Trump et puissant président du Comité des services armés du Sénat, et par John Bolton, l’ex-conseiller à la Sécurité nationale qui a affirmé que «Trump a eu tort d’abandonner trente ans de politique américaine sur le Sahara Occidental juste pour remporter une victoire rapide en politique étrangère».
Car si les Etats unis ont pu, grâce au soutien des monarchies du Golfe, faire infléchir Mohamed VI dans sa reconnaissance d’Israël, l’opinion publique internationale et les artis politiques islamistes au Maroc ont condamné l’annonce de la normalisation des relations entre leurs pays et Israël.
Il faut dire qu’une bonne partie de l’opinion publique au Maghreb, dotée d’une maturité politique qui lui permet une lecture libérée des événements géopolitiques internationaux et les intérêts mercantiles des puissances étrangères, n’est pas tombée dans le piège dressé par l’axe Washington-Tel-Aviv aux pays du Golfe, consistant à les convaincre que l’Iran serait, comme autrefois l’Irak, l’ennemi qui déstabilisera la région et leurs monarchies moyenâgeuses…
L’entente tripartite composée d’Israël, les Etats-Unis et quelques principautés du Moyen-Orient espère asseoir un nouvel ordre international et faire accepter aux pays arabes une paix avec Israël, seule capable, à leurs yeux, de venir à bout de l’Iran qui menacerait leurs royaumes.
Le Parti de la justice et du développement, qui est au pouvoir, et le Mouvement de l’unicité et de la réforme ont qualifié la décision de «déplorable», a rapporté l’agence de presse Reuters.
Enfin, alors que l’Autorité palestinienne qualifiait l’accord de normalisation israélo-marocain de trahison, soulignant que troquer la cause et les droits du peuple palestinien contre la souveraineté sur le Sahara Occidental était quelque chose de dégradant, Christopher Ross, l’ancien émissaire de l’ONU pour le Sahara Occidental, a réaffirmé, aujourd’hui 14 décembre 2020, que la décision de Donald Trump de reconnaître une prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental ne changeait rien à l’approche de la communauté internationale sur ce conflit, rappelant ainsi la position «claire» de l’Algérie sur le droit des peuples à l’autodétermination.
S. O.
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