Polisario, guerre du désert : la marche verte du roi va rebrousser chemin
Par Ali Akika – Dans nos imaginaires, le désert est un territoire béni par les prophètes et les poètes. Il est vrai que cet océan de sable avec son horizon infini, son silence et ses dunes se déplaçant au gré des vents, a alimenté les contes de la mystique religieuse et servi d’asile aux amours blessés comme ceux de Majnoun Leïla et autres Roméo et Juliette dans le monde. Il ne faut cependant pas oublier que le désert est habité par des hommes et femmes qui y vivent et luttent toute l’année, toute leur vie. Et ils y font même la guerre pour le défendre contre de voraces convoitises. Le Sahara Occidental en est un exemple édifiant. Un vieux pays, l’Espagne, à la mort de son vieux dictateur, s’en alla de cette contrée vite remplacée par une monarchie qui se raconta des historiettes pour documents de légitimation de son opération de flibustier.
Mais devant les fauves lancés dans ce pays pour terroriser et faire fuir les habitants, ils rencontrèrent un peuple debout et à leur tête un homme courageux nommé El-Ouali. Un meneur d’hommes doublé d’un stratège, entouré de combattants connaissant et maîtrisant les obstacles du désert. Familiers des rudesses du désert, El-Ouali et ses camarades menaient le combat avec un art de guerre approprié au terrain. Les combattants sahraouis harcelaient sans répit la Mauritanie qui accepta de partager le gâteau de leur territoire avec le monarque marocain (1). Pour faire payer cette trahison et casser ce partage de la honte, El-Ouali prit la tête d’un groupe de combattants, parcourant des centaines de kilomètres sans se faire repérer. Il entra avec ses camarades dans la capitale mauritanienne, livra bataille dans la ville, perdit la vie mais gagna la bataille.
L’humiliation infligée à l’armée mauritanienne se traduisit par le retrait de la Mauritanie du territoire saharien, laissant seul le roi du Maroc face au Polisario qui s’imposa comme représentant du peuple sahraoui. La guerre va monter en intensité car l’ennemi a la prétention de défendre un objectif légitime.
Devant des objectifs aussi contradictoires entre ennemis, le différend ne peut se régler que par la guerre. Celle-ci depuis la nuit des temps est, et reste, un instrument aux mains du politique dont l’objectif est de réduire l’adversaire. C’est la négation de leur Moi national par une brute épaisse de conquérant qui amplifia la force et le courage des combattants sahraouis contre l’armée marocaine. Celle-ci, pour échapper à la déroute, trouva refuge en s’abritant derrière un mur de sable de 2 700 km. Elle se terra alors derrière ce mur pendant des années pendant que son seigneur Hassan II manigançait sur la scène internationale pour amener le Polisario à accepter un cessez-le feu.
La France, qui bombarda à plusieurs reprises les combattants avec ses Jaguars, fut donc aux premières loges de la diplomatie internationale grâce à son siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Forts de ces appuis au Conseil de sécurité, et en dépit de la reconnaissance du droit à l’autodétermination des Sahraouis et du rejet par la Cour de justice internationale des prétentions marocaines, Hassan II profita de l’arrêt des combats pour ne point respecter ses engagements pris en signant le cessez-le feu en 1991.
Le Maroc savoura à bon compte la paix jusqu’au 13 novembre 2020 quand le Polisario siffla la fin de la récréation. Sa patience qui durait depuis 30 ans, date du cessez-le feu, les zigzags diplomatiques, les mensonges et la parole non tenue par le Maroc sont autant de facteurs qui ont incité et nourri sa décision de mettre fin à la mascarade onusienne avec la bénédiction de certains membres du Conseil de sécurité. Après cette décision politique, le Polisario entre dans la bataille avec l’expérience acquise aussi bien avec l’ennemi qu’avec les manigances et les peaux de banane de la scène diplomatique.
Les forces en présence
Le Polisario peut compter sur le peuple sahraoui éparpillé dans les territoires occupés, le territoire libéré et les réfugiés installés en Algérie. Bien que sa puissance de feu ait sensiblement augmenté par rapport à 1975, il tire toujours sa force de l’engagement du peuple, de son organisation politique et de sa tactique de combat. Ses combattants sont nés dans le pays et pratiquent la guerre selon la méthode asymétrique. Le mur de sable de l’ennemi n’est ni une forteresse imprenable ni un point d’appui solide pour des contre-attaques de l’ennemi. En revanche, le Polisario avec sa cavalerie constituée des 4/4 Toyota permet une mobilité à sa petite, mais ingénieuse, armée, très motivée. C’est un avantage tactique considérable face à une armée ennemie étrangère au pays, donc certainement moins motivée, statique et lourdement handicapée dans ses déplacements. Le mur du sable présenté comme un signe de force est en réalité l’exact contraire. Il fut construit pour arrêter l’hémorragie de l’armée marocaine (2) qui a été épuisée par d’incessantes attaques de la guérilla sahraouie.
Sur le plan strictement militaire et tactique, aucun mur n’est infranchissable. Rappelons la fameuse ligne Bar Lev de l’armée israélienne (3) le long du canal de Suez. Lors de la guerre de Ramadan en 1973, en une nuit, l’armée égyptienne franchit le canal de Suez et la ligne soi-disant de défense fut défoncée par un déluge de feu et par le génie militaire. Le mur de sable marocain peut paraître impressionnant par sa taille mais «travaillé» à l’aide de l’artillerie et du savoir-faire des sapeurs militaires, il finira par céder brèche après brèche. Les terrains minés et les postes de surveillance sous le feu de l’artillerie dans la guerre d’usure qui vient de commencer ne resteront pas opérationnels après des semaines de bombardements. L’ennemi harcelé jour et nuit finira par sortir de sa tanière pour tenter des contre-attaques. C’est à ce moment-là que les petits groupes de guérilléros dans leurs 4/4 Mad-Max iront à la rencontre de leurs ennemis. C’est cette tactique que semble mettre en œuvre le Polisario depuis le 13 novembre si l’on se réfère aux images de son artillerie qui bombarde différents points du mur.
Dans ce genre de guerre, c’est la patience de ceux qui s’allient avec le temps qui augmente leurs chances de vaincre. Parallèlement à la destruction militaire du mur, la fermeture des points de passage frontaliers avec la Mauritanie isolerait le Maroc et son juteux commerce avec l’Afrique deviendra un doux souvenir. Le Polisario, en réaffirmant sa détermination à faire la guerre pour libérer le pays, selon son dernier communiqué de son ambassade à Alger, le Maroc ne peut que connaître l’amère conclusion d’une règle de l’art de la guerre : «Le territoire doit être conquis parce qu’une armée de notre temps hors de son territoire ne pourrait être que vaincue.» L’action du Polisario, en tant qu’acteur sur son propre territoire, repose sur la stratégie de défense, laquelle permet la combinaison de l’offensive et de la défensive. Cette conjugaison des forces offensives et défensives a été théorisée par l’auteur de célèbre essai De la guerre de Karl Von Clausewitz, officier prussien et historien des guerres de Napoléon.
Quant au plan politique, le Polisario ne cédera plus aux sirènes mielleuses de la fourbe diplomatie. Il ne donnera plus d’importance à la moindre parole de l’ennemi. Il fera comme les Vietnamiens : négocier sans jamais cesser de combattre et à chaque entourloupe de l’ennemi, accentuer la pression militaire pour lui faire comprendre que ses petites ruses de marchand de souk n’ont plus d’effets. Ainsi, il finira par comprendre qu’il a plutôt intérêt à déménager pour éviter de connaître l’humiliation de la défaite comme celle de la Mauritanie. Bref, il faut que le petit roi comprenne qu’il a perdu la guerre qu’il a imposée à leur peuple. Et que le prix à payer est d’abandonner son objectif initial qui, dès le départ, était une entreprise chimérique. La dernière réaffirmation du droit de peuple sahraoui à l’autodétermination voté au Conseil de sécurité présidé par l’Allemagne est de bonne augure pour le Polisario. Sa marge de manœuvre diplomatique s’élargira d’autant que le recéleur Trump ne sera plus là pour imposer le droit de la force. Et si Biden tient sa promesse de revenir à l’accord nucléaire qui est un très gros morceau, ce n’est pas une plaque d’un consulat américain dans le désert sahraoui qui lui poserait problème. Espérons que ces deux événements qui seraient un coup de tonnerre médiatique donneront de la sueur froide à tous ces féodaux qui ont courbé l’échine en signant des contrats chez des notaires véreux. Et que les potentiels défaitistes sachent que la trahison ne paie pas, ne paie plus.
A. A.
1- Un roi qui a une drôle de conception de la souveraineté du pays. Il affirme sans rougir que le Sahara Occidental appartient au Maroc depuis la nuit du temps et le partage avec la Mauritanie. Ça rappelle l’époque féodale où l’on se partageait les butins et les femmes étaient comprises dans ce vulgaire partage. Drôle de mentalité, et pitoyable arrêt sur image en reproduisant l’époque du servage.
2- On se rappelle, après le cessez-le feu, les centaines de prisonniers militaires marocains envoyés à la mort à l’abri dans leurs casemate sous le sable. La générosité des Sahraouis ne fut pas payée en retour. Toujours ruse et mensonge des seigneurs de pacotille.
3- La guerre d’Octobre, l’armée israélienne fut surprise par plus malin qu’elle. Les Egyptiens réussirent à garder les secrets des préparatifs de la traversée du canal de Suez. Avec des moyens rudimentaires mais aussi avec les ressources modernes du génie militaires, ils prirent d’assaut les fortifications ennemies après un déluge de feu de l’artillerie. Des centaines de morts et prisonniers israéliens furent surpris dans leurs tunnels souterrains.
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