La guerre cybernétique n’arrêtera pas la résistance
Par Ali Akika – La cybernétique a fait un saut qualitatif qui se traduit par la naissance d’une arme «miracle» nommée cyberguerre. Celle-ci, née du mariage de l’Internet et de l’intelligence artificielle, est une nouvelle arme à distance. Elle fascine par ses potentialités à paralyser ou détruire des centres névralgiques des armées, des entreprises industrielles ou de services. Un simple ordinateur avec un AS de l’informatique installé au milieu de nulle part peut entrer dans les secrets des Etats et des entreprises pour voler des infos, détruire des dossiers, mettre à l’arrêt une usine qui distribue l’eau, l’électricité, un aéroport pour empêcher le va-et-vient des avions, etc.
Les assassinats du général Souleymani et du savant du nucléaire Mohsen Fakhrizadeh, tous deux Iraniens, ont mis en lumière la féroce guerre qui se déroule à coups d’armes jadis relevant de la science-fiction. Des armes redoutables et efficaces utilisées par les services secrets et les forces spéciales des armées (1). Ces nouvelles armes sont-elles susceptibles de bouleverser les équilibres stratégiques ou bien sont-elles simplement des outils tactiques ? Seules la nature opérationnelle et la qualité des actes de guerre sur le terrain peuvent les ranger et les définir comme arme stratégique ou tactique.
D’emblée, on peut dire que toutes les innovations et nouveautés dans l’équipement d’une armée concourent à la stratégie mais restent des armes tactiques sur un champ de bataille. Visitons l’histoire des armes qui ont équipé les armées et leur incidence sur la façon de faire la guerre. Le passage de l’épée au fusil, de la cavalerie à cheval au blindé et à l’hélicoptère, du bombardement de l’artillerie au bombardement de l’aviation, toutes ces innovations ont-elles assuré toujours et en tout lieu la victoire totale qui est le but de la guerre ? A l’évidence non. Ces innovations/outils mis dans les mains de militaires bien entraînés et bien commandés facilitent et nourrissent les esprits imaginatifs et audacieux dans la concrétisation des objectifs tactiques fixés par le haut commandement. La tâche de celui-ci consiste à coordonner de nombreux tacticiens qui concourent à l’objectif stratégique qui est, et reste, la fin de la guerre par la soumission de l’ennemi, c’est-à-dire la victoire.
Pour l’heure donc, seule la bombe atomique est considérée comme arme stratégique car son utilisation fait disparaître en même temps les deux ennemis, sans vainqueur ni vaincu. C’est pourquoi l’arme atomique est rangée dans la catégorie arme de dissuasion. Au-delà de la différence entre tactique et stratégie, n’oublions pas que la guerre est un ensemble d’actes de violence au service du politique qui lui donne toutes les ressources pour les réaliser. Objectif politique et moyens sont le socle de toute doctrine militaire dont le rôle est d’élaborer une vision d’ensemble de la stratégie et d’élaborer des schémas tactiques adaptés aux moyens disponibles et aux réalités de l’époque (géopolitique et alliances des Etats).
Ainsi, à travers l’histoire des guerres, on s’aperçoit que les innovations technologiques améliorent et facilitent les rendements tactiques, diminuent le temps d’exécution des opérations, etc. Ces innovations sont toujours les bienvenues car elles enrichissent les capacités tactiques des différentes armées (terre, mer, ciel). L’aviation à son apparition qui a pu entrer dans la catégorie d’élément stratégique a peu à peu perdu de son aura et intégré la sphère tactique. La raison est simple. L’ennemi peut posséder son aviation et livrer, lui aussi, le combat dans le ciel.
De plus, de nos jours, dans la guerre asymétrique, l’ennemi possède une DCA qui peut interdire le ciel de son territoire. C’est pourquoi aucune arme ne peut à elle seule remporter la décision. La guerre du Vietnam est un exemple de la guerre asymétrique. La supériorité aérienne américaine au Vietnam et leur énorme logistique n’a pas empêché la déconfiture de leur armée. On le voit aussi avec un Israël courant derrière un équilibre qui doit rester toujours à son avantage. Le fait que son armée ne puisse pas se balader comme jadis dans les terres et le ciel du Liban et Syrie révèle quelques impasses tactiques. Jadis, Israël comme un cow-boy traverse des pays avec ses avions sans autorisation pour aller bombarder un petit réacteur nucléaire irakien et se moque que ce réacteur soit construit par la France.
Aujourd’hui, Israël n’ose pas même approcher des côtes iraniennes, un pays considéré pourtant comme une menace existentielle. Pour compenser la diminution de cet avantage, il met le paquet sur la normalisation avec les pays arabes pour isoler le Liban et la Syrie champs de bataille qui lui donnent des cauchemars. Par cette normalisation, il espère banaliser sa présence au Moyen-Orient et faire oublier les conditions et la manière de sa création dans la région. Faire oublier les Palestiniens, les couper des peuples pour faire sa petite cuisine loin des regards gênants.
Pour ne pas tomber dans les pièges du dogmatisme, il faut distinguer les guerres entre armées classiques et la guerre de libération opposant un envahisseur et un peuple résistant. Dans les deux cas de figure, les technologies nouvelles apportent un plus et facilitent des modifications tactiques en introduisant de la mobilité, la rapidité et la puissance de feu. La situation mouvante dans une guerre engendre des situations où une arme tactique d’appui aux troupes au sol devient une arme stratégique. L’aviation des alliés en 1939-45 avait un rôle stratégique en bombardant des usines d’armement de l’Allemagne en acceptant d’énormes pertes en pilotes et en avions. De même, ayant affaibli l’aviation allemande, elle a pu détruire les trois-quarts de la ville de Brème pour pousser l’ennemi à capituler plus vite (2). Quant aux guerres asymétriques, les innovations technologiques peuvent améliorer les tactiques de combat.
Mêmes les armées classiques à travers leurs forces spéciales tentent d’imiter les tactiques utilisées par les maquisards ou les guérilléros. Sauf que ces forces spéciales ne connaissent pas le terrain (pays), ne peuvent pas supporter longtemps la frugalité des repas et surtout, surtout ne peuvent évoluer comme un poisson dans l’eau car elles n’ont pas la sympathie et la protection de la population. Le fameux Bigeard qui a fait la guerre d’Indochine a voulu importer la tactique de la guérilla en Algérie. Il s’embarquait dans des hélicoptères avec ses paras et s’installait dans les djebels pour attendre les fellaghas, comme il disait, pour leur tendre des embuscades. On a retenu de lui que ses «exploits» dans la Casbah dynamitant des maisons où se trouvaient femmes, enfant et hommes.
Qu’en est-il de la situation de l’Algérie à l’heure de la cyberguerre ?
Le pays n’est pas en guerre avec ses voisins. Il est plutôt en bons termes avec les gouvernements en place, excepté celui du Maroc. Mais il se trouve que les voisins de l’Algérie abritent sur leur sol des troupes d’Etats étrangers ou leurs mercenaires, en Libye, Mali, Burkina Faso, Niger. En principe, tous ces pays, non seulement ne manifestent pas d’animosité ouverte et particulière contre l’Algérie mais entretiennent des liens tissés pour des raisons de simple voisinage mais aussi historiques. L’Algérie a même offert ses bons offices, comme on dit, grâce aux populations targuies qui se trouvent des deux côtés des frontières.
Mais avec la reprise de la guerre au Sahara Occidental, les prétentions territoriales du Maroc et sa normalisation avec Israël, un Etat avec lequel l’Algérie est en guerre, la donne militaire et sécuritaire a changé. Quand bien même le pays a une armée qui peut tenir en respect les forces régulières et irrégulières qui circulent dans ces pays, il ne faut ni ignorer ni sous-estimer les effets de la cyberguerre. Même si les centres névralgiques et l’armement sensible de l’ANP sont protégés comme on le voit en Syrie et en Iran (coopération avec le Russie), les paralysies, par des cyber-attaques, de la production et la circulation de produits peuvent constituer des dangers et menaces dans le quotidien de la population.
De nos jours, la défense d’un pays n’est pas assurée par les seuls champs de bataille où guerroie une armée nationale. Dans les stratégies d’aujourd’hui plus qu’hier, les arrières d’une armée sont d’autant plus importants qu’ils sont plus «ouverts» aux intrusions dans les foyers de l’intoxication idéologique par l’intermédiaire d’Internet et le matraquage des médias. On le voit tous les jours dans ces médias qui montent sur leurs chevaux quand il s’agit de clouer au pilori certains pays qui les concurrencent mais garde un silence de cimetière quand les pays amis gèrent la misère de leur peuple agrémentée d’orgie de massacre et de torture.
En guise de conclusion, les Américains et les Israéliens qui utilisent la cyberguerre abondamment dans les assassinats politiques commencent à comprendre les limites de cette politique. Des analystes de chez eux se posent des questions si le jeu en vaut la chandelle. La mobilisation de leurs troupes et de leurs armadas maritimes, leurs menaces pathétiques à l’occasion de l’anniversaire du meurtre du général Qacem Souleymani révèle leur anxiété et l’ignorance de l’âme de leurs ennemis qui, eux, les connaissent bien à travers leurs comportements de gribouille (3).
Pour illustrer mon propos, je vais me référer à deux films de grands réalisateurs américains. Ces cinéastes sont les mieux placés pour éviter de tomber dans les histoires de Rambo, fait de muscles et armés jusqu’aux dents. Ce héros de Hollywood, dans ses batailles, décime facilement toute une «foule d’ennemis ignares» appelée chez nous el-ghachi par ceux qui méprisent leur peuple. Les deux réalisateurs ont eu le courage de montrer avec talent que les Rambo au Vietnam n’ont rien de chevaleresques. Les deux réalisateurs ont quelque peu terni le mythe du soldat américain invincible tant vanté et popularisé par John Wayne. La guerre du Vietnam a montré que la guerre reflète et révèle une époque, un pays, une société dans leurs rapports avec l’indicible de la vie et de la mort. A travers les deux films cités, on a symboliquement l’image du soldat vietnamien chaussé avec les célèbres sandales en caoutchouc que portait Ho Chi Min, se nourrissant frugalement face aux G’IS sujets à des dépressions car projetés dans un autre monde aux antipodes de leur mode de vie américain.
Les excellents films d’Oliver Stone (Patton) et de Stanley Kubrick (Full Metal Jacket) mettent le doigt sur les raisons de la défaite de l’armée américaine. Ce ne sont pas les armes qui font la différence sur le terrain mais, au final, ce sont les facteurs politiques et idéologiques. Les uns se battent chez eux pour protéger leur peuple et leur pays, les autres non motivés ne savent pas pourquoi ils vont mourir loin de chez eux. Les discours claironnés par leurs officiers sonnaient faux dans les oreilles des jeunes bidasses américains. On le sait maintenant, toutes les guerres menées par l’armée américaine l’étaient pour les intérêts de l’empire militaro-industriel, selon la formule d’Eisenhower, président des Etats-Unis en 1953-1961.
A. A.
1- L’armée d’Israël emploie la cybernétique pour surveiller la frontière. Une mitrailleuse montée sur un véhicule muni d’un écran reçoit des images de toute activité d’une zone frontière surveillée par des caméras ou des satellites qui envoient des images aux véhicules militaires stationnés à la frontière. Quand une cible suspecte s’affiche sur l’écran, le soldat appuie sur le bouton de l’écran et la mitrailleuse se met à tirer en direction du suspect.
2- Les facteurs qui donnent l’avantage dans l’équilibre des forces sont nombreux. Les faiblesses dans certaines conditions peuvent être compensées par des éléments dont est démuni l’ennemi. Ni Napoléon ni Hitler n’ont pu envahir l’Angleterre dont la localisation/géographie a augmenté ses capacités de résistance. Les Américains se sont résolus à utiliser la bombe atomique contre le Japon possédant une puissante marine. La conquête de ce pays aurait coûté très cher en hommes et en matériel. Le débarquement des alliés en Normandie a réussi malgré le mur de l’Atlantique car Hitler, intoxiqué par les services secrets anglais, attendait le débarquement à Calais. De même, Hitler «attiré» à Stalingrad devenu centre de résistance à l’invasion allemande, son armée fut décimée par la résistance de l’armée russe aidée par le froid, les lignes de ravitaillement très longues et continuellement harcelées par la guérilla de la résistance populaire.
3- Exemple, l’accord international sur le nucléaire de l’Iran signé sous l’égide de l’ONU et auquel Israël n’était pas convié. Israël se donne le droit d’empêcher par tous les moyens l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire alors que ce pays possède 2 à 300 bombes atomiques et qu’il n’a jamais signé le Traité international de non-prolifération des armes atomiques. Il se comporte de la même manière avec les Emirats arabes avec qui il signe un traité de paix mais lui interdit l’achat de F35 aux Etats-Unis. Bref, voilà un pays qui, non seulement ne respecte nullement le droit international, mais veut aussi imposer sa vision de l’équilibre des forces à son avantage. Il serait même prêt «parait-il d’écrire un nouvel essai sur la guerre» !!! qui remplacerait l’antique Art de la guerre du Chinois Sun Tzu et De la Guerre de Clausewitz, officier dans l’armée prussienne qui fit la guerre à Napoléon.
Comment (21)