Le rêve américain, zamân yâ zamân, souvenir ô souvenir !
Contribution d’Ali Akika – Le rêve américain est un chapitre du roman national du Nouveau Monde devenu Etats-Unis d’Amérique. C’est une construction intellectuelle et culturelle qui s’appuie sur des faits réels pour raconter une histoire avec les ressources de la fiction. Celle-ci est un art plus séduisant que la sécheresse des lieux et des dates dont sont prisonniers les historiens. Le roman national de l’histoire d’un pays permet au lecteur d’arpenter des champs de bataille célèbres, de côtoyer des chefs de guerre devenus des légendes. Sauf qu’il faut faire attention d’en faire trop pour que la légende ne se transforme pas en mythe pour faire avaler des «vérités» du présent.
Ainsi, pour beaucoup de gens qui souffraient de la misère dans l’Europe d’hier meurtrie par les guerres et notamment les guerres religieuses, l’Amérique était le refuge, l’asile pour recommencer une vie. Partir pour ces volontaires à l’exil, ce n’est pas mourir un peu, comme dit le poète, mais pouvoir vivre enfin loin de la faim et ne plus subir l’oppression politique et religieuse. Beaucoup de gens de nos jours continuent d’émigrer dans ce pays sans se nourrir d’illusions de devenir des Rockefeller. Un pays donc d’immigrés devenu indépendant après sa révolution contre le colonialisme anglais et régi par une grande Constitution.
Dans ce Nouveau Monde où le règne de l’exploitation ne disparaît pas se mettent en place des organisations pour défendre pied à pied les ouvriers. Des luttes admirablement décrites dans Les Raisins de la colère de John Steinbeck, prix Pulitzer 1940 et du Nobel en 1962. Ce n’est donc pas un hasard si le 1er Mai, Fête internationale des travailleurs, est né aux Etats-Unis. Ce pays avait donc beaucoup d’arguments pour vanter son rêve américain face à l’orgueilleux Vieux Monde. Le Nouveau Monde le lui rappelle en insistant sur son aide par deux fois, en 1914-18 et en 1939-45 ! Mais, hélas, le temps s’écoulant, le rêve s’éloignait et n’était plus à la portée des parias, si tant qu’il le fût un jour. Les parias continuaient malgré tout à vouloir s’y rendre. «Papa, c’est encore loin l’Amérique ? Hélas, fiston, économise ton souffle et nage !»
Oui, l’Amérique qui s’est construite sur le massacre des autochtones, longtemps a fasciné beaucoup de monde en dépit de ses guerres d’agression, malgré ses millions d’hommes et de femmes souffrant de faim et du manque de soins dans une société qui jette chaque soir dans les poubelles des centaines de milliers de tonnes d’aliments non consommés ou non vendus. Le 6 janvier 2021, ce pays de la richesse et du dynamisme se lézarda. Il offrit un spectacle inimaginable au monde entier, hébété devant la télévision en se pinçant la peau pour s’assurer qu’il n’était pas en train de regarder un remake foufou et de mauvais goût de Tempête à Washington, le célèbre film de Otto Preminger sur le Congrès américain.
Ce 6 janvier donc, la télévision hexagonale offrit au spectateur un visage méconnu de cette grande Amérique. Ce jour-là, on pouvait la confondre avec une vulgaire République bananière, selon les dires de George Bush, ex-président des Etats-Unis. La télé montra la diversité des visages d’une seule couleur de ces Américains à l’assaut du temple phare de la démocratie américaine. Mais cette vraie invasion du Capitole par de vrais insurgés ne ressemble guère à la prise du Palais d’Hiver du Tsar à Saint-Pétersbourg en 1917.
A Washington en 2021, nos insurgés de pacotille erraient dans cette immense bâtisse avec des drapeaux et des slogans de la nostalgique Amérique où, jadis, l’esclavage était légal. Ces gugusses n’oubliaient pas cependant de se photographier pour avoir des souvenirs à raconter à leurs enfants. Comme leurs propres parents ont dû leur transmettre «l’épopée» de cette Amérique sécessionniste du XIXe siècle. A vrai dire, l’Histoire pour ces agités du bocal, comme dirait Céline, s’est arrêtée dans les champs de coton où trimaient leurs esclaves noirs. C’est tout le contraire des vrais insurgés du Palais d’Hiver qui, eux, avaient conscience que la geste de leur aventure faisait entrer leur époque dans un nouveau cycle de l’Histoire.
L’histoire de ces deux pays, les Etats-Unis dont l’image fut entachée par ces lynchages «dans la chaleur de la nuit» du sud des Etats-Unis (1) et la Russie qui entra avec fracas dans le monde, comme le raconta John Reed dans Les dix jours qui bouleversèrent le monde (2). La Russie que l’on oppose dans toute crise internationale aux Etats-Unis ne fut pas cette fois évoquée. On comprend pourquoi, le spectacle n’était pas à l’avantage de Hollywood. En revanche, on nous soulait de jérémiades sur une vison de la démocratie sans tache, ni reproche. On exprimait des inquiétudes sur un modèle qui semblait en passe de s’écrouler.
Tristesse et appréhension planaient sur les plateaux de télé. Les Etats-Unis sont des amis parce que des alliés prometteurs et protecteurs d’une culture. Celle-ci a envahi le paysage idéologique et médiatique qui répand la «modernité» et biberonne les fantasmes made in Coca-Cola. Que deviendrons-nous, semblent dire dans leur for intérieur, ceux qui ont cru aux balivernes de la fin de l’Histoire ? Une idéologie qui a débarrassé, selon eux, le paysage politique de la lutte de classe, ce spectre qui continue, malgré tout, de hanter le monde. Laissons donc ces tartuffes pérorer comme d’habitude sur un événement qui, comme d’habitude, les a surpris. Hier, il y a quatre ans, ils ont été surpris par l’élection de Trump.
Aujourd’hui, ils sont effarés de voir la grande démocratie être piétinée par Trump et les forces qui le soutiennent. Cette faune ne gémissait pas, ne criait pas, ne protestait pas quand le même Trump coupait les vivres aux réfugiés palestiniens, offrait comme un vulgaire cadeau les terres palestiniennes à un Netanyahou aux abois et confortait les illusions d’un monarque marocain se prenant pour un commandeur des croyants. La Palestine, une terre d’un peuple qui souffre le martyre, un pays où un Jésus en qui croit Trump connut le martyre (3).
Il en est de même pour le Sahara Occidental, pays des Hommes bleus, hommes du désert chérissant leur liberté. Et c’est ce droit inaliénable qu’un trio de mafieux a violé. Que raconte l’occupation du Capitole par les hordes du «trumpisme» ? Elle raconte la fin d’une époque, que les empires sont mortels et qu’il est temps de cesser de se gargariser de lieux communs sur la solidité de la démocratie américaine.
Que faut-il encore vous montrer, vous prouver ô serviteurs patentés pour que vous renonciez à vos certitudes, à votre arrogance, à votre démission politique ? Un tel évènement se déroule en plein jour dans un pays qui se vante d’avoir la plus grande armée, la meilleure police du monde et un Président élu, qui prend la tête d’une sédition et vous continuez à tenir des propos de café de commerce. Si un événement dix, cent fois plus banal se déroulait dans des contrées lointaines, vous auriez traîné ces pays dans la boue avec le riche vocabulaire de la langue de Molière.
Le meilleur comportement face à l’envergure de cet événement et l’extravagance de son expression, c’est de réfléchir sur l’histoire de ce système qui a produit un tel phénomène, à une société qui a élu un tel Président qui a semé le chaos dans le monde. Hélas, la réflexion des squatteurs des médias s’arrête aux portes de leurs petits intérêts qui leur recommandent de ne pas trop fouiller dans le système qui les gave. L’histoire, pas si vieille que ça, nous renseigne sur la passivité des Etats qui se sont partagé le gâteau dans des conférences de Berlin par exemple, en 1884, des Etats membres de la SDN (Société des nations) 1917-1946 qui restaient passifs devant les agressions de certains Etats contre d’autres pays, des hommes d’Etat qui signent à Munich avec Hitler des accords qu’ils vont payer par «le déshonneur et la guerre» (Winston Churchill).
Dans l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, n’y a-t-il pas le même air irrespirable, les mêmes lâchetés citées précédemment ? Mais aussi l’impuissance de cette introuvable communauté internationale. Les parallèles sont en effet troublants, la SDN a été remplacée par l’ONU, la Conférence de Berlin a été réduite à un seul Etat, les Etats-Unis qui dépècent des pays pour les offrir à quelque homme voulant sauver leur peau, et les Accords de Munich portent aujourd’hui le nom d’Accords d’Abraham.
De l’époque de la mort de la SDN, il manque un Churchill pour dire au monde d’aujourd’hui : «Vous parlez de paix pour briller devant vos électeurs mais viendra le jour où vous brûlerez vos vaisseaux pour ne pas assister à la transformation de votre rêve en cauchemar. Ce serait que justice après que des peuples ont été punis par le vol de leurs terres dans le silence complice d’une armée de serviteurs à travers le monde, toujours les mêmes dans le but de grappiller quelques maigres et sordides privilèges.»
Quand Trump se moque des lois et excite son électorat à prendre d’assaut le Congrès, bref quand il met bas l’image de son pays, on assiste à une levée de boucliers contre lui. La raison ? Parce qu’il met en danger un système qu’ils chérissent alors que le moment ne se prête pas à une telle aventure susceptible d’être exploitée par d’autres. Par exemple, la Chine qui lui fait de l’ombre sur le terrain économique et la Russie qui rivalise avec lui sur les champs de la guerre du feu et de l’acier. En revanche, on laisse faire Trump et son système carnassier quand ils s’attaquent à des peuples désarmés.
Ce deux poids, deux mesures sont insupportables pour les victimes de cette politique. Les perroquets des ondes ne font appel aux victimes uniquement quand ils ont besoin d’eux. Il y a là une nauséabonde hypocrisie. Comme toujours, les crises économiques et politiques révèlent la véritable nature de ces classes qui présentent un visage propre et lisse tant qu’elles ont le pouvoir et tiennent en respect les récalcitrants. Ainsi, par exemple, on a vu des personnes hurler à gorge déployée à la sacralité de la liberté d’expression quand celle-ci fournissait un prétexte pour combattre leur ennemi du moment.
Mais Trump débitant ses insanités sur Tweeter, les mêmes hurlent pour qu’on le censure ou qu’on le prive de son Tweeter. On intime même l’ordre aux bobos de la Silicon Valley de lui couper la chic. Pour justifier ces exigences, ils nous sortent des arguties qu’ils puisent dans les mares boueuses d’une certaine morale ou bien dans la loi qu’ils votent et interprètent, selon leurs désirs et objectifs cachés. Assistons-nous à un dangereux glissement opéré par ceux qui veulent imposer une nouvelle définition de la démocratie ? Ce syndicat de mafieux n’arrivant plus à gagner comme à leur habitude malgré leurs médias et les milliards dépensés pour influencer le vote des citoyens, propose de nouvelles règles «démocratiques».
Aux Etats-Unis, les trumpistes veulent ou rêvent que toute élection ne tienne pas compte des bulletins non «blancs» (vote des Noirs et autres «déviants» sociaux). Et tout manquement à ce vote censitaire (datant des monarchies du moyen-âge), l’élection sera taxée de frauduleuse. Pour Israël, le droit international doit interdire toute nouvelle arme à des pays qui détrôneraient Israël de sa supériorité stratégique. Voilà le monde que l’on dessine pour l’humanité.
Un jour ou l’autre, les fantasmes se fracassent sur le mur de la réalité. Cette réalité riche de ses contradictions échappe à ces classes vieillissantes qui continuent à faire marcher le monde sur la tête. Heureusement, le sort du monde ne dépend pas des hâbleurs qui nous bassinent avec leurs «lumières» des boîtes noires de télés hermétiques aux fureurs du monde. L’indétrônable Dame histoire est là pour rappeler que les vents des tempêtes soufflant dans le vaste monde surprendront toujours les cowboys qui pensent que le droit de la force est éternel car d’essence divine. C’est pourtant simple à comprendre que la démocratie née en Grèce qui admettait l’esclavage a fait peu à peu des progrès. La démocratie d’aujourd’hui, quelque peu fatiguée, a besoin d’être toilettée, dépoussiérée pour éviter le surgissement des Trump pour que le monde ne connaisse pas, ne connaisse plus, et le déshonneur et la guerre. Re-bonjour, Mister Winston Churchill.
A. A.
1- Dans la chaleur de la nuit, film sur le racisme brillamment interprété par Sydney Poitier et réalisé par Norman Jewison. (Primé 5 fois aux Oscars).
2- Les dix jours qui ébranlèrent le monde, essai de l’Américain John Reed sur la révolution russe.
3- Les mot martyr et martyre ont évidemment la même racine. Cependant, dans les langues arabe et grecque, le mot martyr a le sens de témoignage d’un sacrifice pour une cause. Dans la langue française, le mot martyre donc avec un «e» final signifie souffrance, d’où l’expression souffrir le martyre. La religion chrétienne fait référence à la souffrance de Jésus (le Prophète Issa) cloué sur la croix par les Romains occupant alors la Palestine.
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