Rumeur de rencontre syro-israélienne : Damas dément formellement
Ces derniers jours, plusieurs sources ont rapporté l’organisation d’une réunion entre les deux parties, sous la houlette de Moscou, dans la base aérienne russe de Hmeimim, à Lattaquié.
La rumeur se répand depuis quelques jours dans certains médias, mais elle n’a pas été confirmée. Et pour cause, les principaux protagonistes de l’histoire se montrent, pour l’heure, silencieux, quand ils ne la démentent pas catégoriquement. Le site du centre d’études syrien basé en Turquie, Jusoor for Studies, a rapporté dans un article publié le 18 janvier qu’en décembre 2020 une rencontre se serait tenue entre une délégation syrienne et une délégation israélienne sous le patronage de Moscou, à Hmeimim, base aérienne russe située au sud-est de la ville de Lattaquié, en Syrie. La chaîne Al-Arabiya a, elle aussi, rapporté l’organisation de cette réunion, en ajoutant qu’une autre s’était tenue auparavant entre les deux parties à Chypre, sans toutefois préciser la date exacte, la nature des discussions ou encore les personnes en présence.
Selon Jusoor en revanche, la rencontre de Hmeimim aurait rassemblé des officiels de haut rang. Le centre va jusqu’à rapporter la présence – aux côtés du chef des renseignements syrien, Ali Mamlouk, et du général Bassam Hassan – du président syrien Bachar Al-Assad lui-même. Israël, pour sa part, aurait été représenté par l’ancien chef d’état-major de l’armée Gadi Eizenkot et par Ari Ben-Menashe, ancien agent au sein du Mossad, les services de renseignements israéliens. Le site rapporte enfin la participation du commandant des forces russes en Syrie, Alexander Chayko. La délégation syrienne aurait demandé la facilitation de son retour au sein de la Ligue arabe, l’obtention d’une aide financière pour rembourser ses dettes iraniennes et la fin des sanctions occidentales pour permettre à la Syrie d’expulser l’Iran de son territoire. Le centre d’études ajoute que la délégation israélienne aurait, de son côté, requis le retrait complet des milices affiliées à Téhéran et du Hezbollah, «la formation d’un gouvernement comprenant l’opposition ainsi que la restructuration de la sécurité et de l’établissement militaire».
«Il est peu probable que cette réunion ait eu lieu. Mais si c’était le cas, la question est pourquoi ? On peut supposer que le régime syrien chercherait par là à gagner en influence internationale. Mais pourquoi Israël irait discuter avec Bachar Al-Assad alors qu’il sait que ce dernier n’a pas les moyens de se défaire de l’emprise de Téhéran?» commente pour L’AFP Nawar Oliver, chercheur au centre Omran basé à Istanbul. «La question du contrôle iranien sur la Syrie est très compliquée et ne concerne pas uniquement les terrains sécuritaire et militaire. Téhéran exerce son influence au sein même du régime. Bien entendu, une partie du régime voudrait s’en défaire. Mais pour le moment, c’est une équation impossible qui requiert un soutien international unifié», poursuit-il.
Moumanaa
D’après Jusoor, la réunion se serait conclue sans accord, mais constituerait l’amorce d’une nouvelle orientation russe qui devrait connaître une expansion majeure cette année. Pour la Russie, un rapprochement syro-israélien s’apparenterait ainsi à une bouée de sauvetage pour un régime mis au ban de la communauté internationale et permettrait à Moscou de défendre son projet politique dans le pays.
Du côté de Damas, on nie catégoriquement l’existence de cette rencontre. L’agence de presse d’Etat Sana rapporte qu’une source officielle au ministère des Affaires étrangères et des Expatriés lui a confié que «les forces derrière ces mensonges sont les mêmes qui cherchent à normaliser leurs relations avec cette entité (NDLR : Israël) et tentent d’absorber toute la région dans des alliances sionistes occidentales». Côté israélien, en revanche, aucune confirmation ou infirmation n’a circulé à ce stade. Historiquement, le régime syrien s’est bâti sur l’idée de la Moumanaa qui vise à maintenir le pays en état de guerre contre Israël. Mais dans les faits, Damas n’a mené aucune action contre son ennemi juré depuis les années 1970, quand bien même le plateau du Golan serait occupé par Israël depuis 1967.
Un article en ligne de l’hebdomadaire panarabe anglophone The Arab Weekly, publié le 19 janvier, affirme que plusieurs sources diplomatiques occidentales lui ont confirmé sous couvert d’anonymat l’organisation de la réunion syro-israélienne dans la base russe de Hmeimim. La publication ne mentionne cependant pas les noms des personnes présentes durant cette rencontre. Les diplomates interrogés estiment que Damas se trouverait dans une position difficile, car Moscou aurait insisté pour que la réunion ait lieu – en agitant notamment la menace d’une suspension de l’approvisionnement en carburant de la Syrie –, tandis que Téhéran s’y serait fermement opposé. Selon les sources occidentales citées par The Arab Weekly, l’objectif de la manœuvre pour les Russes est d’adresser un message clair et direct à Téhéran, à savoir qu’Israël ne peut aucunement accepter l’idée d’une présence militaire iranienne sur le territoire syrien voisin, à plus forte raison du fait de l’accroissement au cours des dernières années de l’arsenal militaire iranien, avec notamment la montée en puissance du programme balistique de la République islamique et l’obtention de drones de haute précision.
La circulation de rumeurs autour de la tenue de rencontres syro-israéliennes intervient alors qu’au cours des derniers mois Israël a multiplié ses frappes contre les effectifs du régime et de ses alliés iraniens ou encore du Hezbollah. Dans l’est du pays, dans la province de Deir ez-Zor frontalière de l’Irak, là où sont déployées de nombreuses milices étrangères sponsorisées par Téhéran, ces bombardements se sont intensifiés il y a plus d’une semaine, visant notamment des entrepôts d’armes et des positions militaires.
Dans ce contexte, Moscou semble déceler une occasion en or pour se présenter comme possible médiateur entre les forces en présence sur le terrain syrien tout en marquant des points contre Téhéran qui lui dispute l’influence auprès du régime de Damas. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a critiqué, lundi, les frappes israéliennes contre des cibles iraniennes en Syrie, tout en réitérant la volonté du Kremlin de coopérer avec Israël, exhortant ce dernier à fournir à la Russie les renseignements liés à la menace iranienne et assurant qu’elle les «neutraliserait».
«La rencontre de Hmeimim est crédible – bien qu’il soit difficile d’obtenir une confirmation définitive en raison du caractère confidentiel de la réunion –, parce qu’il y a des intérêts qui confortent cette possibilité. Les Israéliens revendiquent toujours l’éloignement des milices iraniennes et pro-iraniennes, Moscou désire jouer un rôle régional en parrainant des négociations de ce genre et puis on compte aussi la volonté du régime Al-Assad d’obtenir l’assentiment pour rester au pouvoir, que Washington et l’Occident en général lui accordent du crédit à travers Israël», commente Omar Kaddour, écrivain et journaliste syrien. «En ce sens, cette rencontre serait liée à la situation actuelle en Syrie et à l’avenir d’Al-Assad, mais pas aux négociations entre Israël et d’autres pays arabes en vue de la normalisation de leurs relations», ajoute-t-il.
R. I.
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