Reprendre le Hirak le 22 février prochain est un suicide collectif
Contribution de Youcef Benzatat – Reprendre le Hirak le 22 février 2021 est un suicide collectif car la pandémie du Covid-19 n’est pas encore terminée et, d’autre part, le Hirak a été infiltré et dévié de ses objectifs par des réseaux antinationaux.
Ceux qui appellent à la reprise du Hirak pour cette date sont généralement installés à l’étranger ou, alors, sont à l’intérieur du pays mais ont d’autres objectifs et s’en fichent éperdument que l’Algérie sombre dans le chaos. Parce que ces personnes ne cherchent pas les intérêts du peuple, ni ceux du pays mais leurs propres intérêts égoïstes.
Le Hirak n’est pas un mouvement populaire éphémère pour craindre sa disparition et s’aveugler dans la précipitation. C’est une prise de conscience collective irréversible et ses manifestations sont amenées à se perpétuer jusqu’à l’instauration d’un Etat de droit sous un régime démocratique et se poursuivre bien au-delà.
Certes, ce n’est pas pour demain car la prise de conscience politique collective n’est pas suffisante en soi, il faudra encore se doter d’une conscience révolutionnaire pour accomplir ce pour quoi cette prise de conscience s’est révélée : soit l’instauration d’un Etat de droit sous un régime démocratique.
A savoir que la démocratie n’est pas une formalité électorale ; il s’agit bien de quelque chose de plus profond encore. La démocratie est l’aboutissement du passage d’une société traditionnelle, aliénée dans l’imaginaire mythologique religieux, les structures mentales patriarcales (le zaïmisme), le repli identitaire dans le nationalisme ethnique, vers une société moderne avec toutes les valeurs de liberté que cela implique.
Reprendre le Hirak en déambulant dans la rue sans au préalable accomplir cette révolution en soi-même, par le dépassement de toutes ces aliénations, de plus en pleine pandémie meurtrière, c’est une inconscience et un suicide collectif.
En attendant, nous avons fort à faire pour clarifier nos faiblesses, nos impasses, nos manques, les dépasser pour rendre le projet démocratique vraisemblable et palpable et pouvoir s’organiser en entités politiques conséquentes. Comment voulez-vous construire une démocratie lorsque vous avez une partie de la population qui vous dit que la citoyenneté doit se bâtir sur la personnalité arabo-musulmane, l’autre sur l’amazighité et d’autres sur la charia, en tournant le dos à la citoyenneté républicaine, désaliénée du religieux et de l’identitaire ? Ceux-là mêmes qui appellent à la reprise du Hirak le 22 février 2021. Cela nous mènera à une guerre civile à coup sûr, d’autant qu’on l’a déjà expérimenté dans les années 1990 avec les conséquences tragiques que l’on connaît.
Le bon sens veut qu’avant de vouloir se libérer de l’autoritarisme il faudra, au préalable, se libérer soi-même de ses propres chaînes, en menant un Hirak contre soi-même. Lutter contre l’idée qui confond «pluralisme politique» et «société plurielle» ! La pluralité politique se traduit par l’existence dans la société de plusieurs projets politiques véhiculés par divers courants politiques, vecteurs du dynamisme démocratique de la société. Par société plurielle, on entend généralement la diversité ethnique, culturelle ou alors les divers us et coutumes des régions, qui constituent une mosaïque à la base desquelles on voudrait que la société soit une société multiculturelle.
Le danger est dans l’institutionnalisation de cette conception de pluralité de la société. C’est reconnaître une ghettoïsation de la population à partir de différentiations ethniques et culturelles, qui est propre aux sociétés traditionnelles d’un âge pré-politique. Celui justement de l’âge prémoderne, antirépublicain et antinational dont les pratiques politiques sont identifiées par «a’choûrâ» pour les uns et «thajemaâth» pour les autres. Par opposition à une société moderne, où la citoyenneté est fondée sur le métissage et le transculturel, et où peut s’exercer la démocratie sur la base du suffrage universel, dans le cadre d’une concurrence politique réglementée par le droit.
Que ceux qui appellent à la reprise du Hirak le 22 février 2021, s’ils sont vraiment sincères, doivent au préalable appeler à un Hirak contre soi-même, pouvant jeter les bases d’une véritable transition de la tradition vers la modernité.
Que les élites, les intellectuels, les universitaires et les militants politiques sincères s’engagent à faire œuvre pédagogique pour faire comprendre ce qu’est une démocratie, différencier entre le pluralisme politique et une société plurielle, une société traditionnelle et une société moderne, une nation, une République, etc. Au lieu de pousser le peuple à se jeter dans l’inconnu en espérant récolter des dividendes égoïstes au risque de détruire ce pour quoi on lutte.
Cependant, il est légitime, voire indispensable dans ces conditions de s’organiser pour mettre la pression sur les autorités afin qu’elles respectent l’intégrité physique et morale des détenus d’opinion et, encore mieux, de les libérer sans condition, en même temps de cesser la répression contre les militants politiques. Mais ne pas s’en servir comme prétexte pour pousser la population à la révolte sans que les conditions de la transition soient réunies, ce qui ne pourra mener que vers le chaos et de mettre en péril la paix civile et la souveraineté nationale.
Y. B.
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