Le FMI «ennemi des riches» vole au secours de Joe Biden !
Contribution d’Ali Akika – Le titre de l’article peut paraître paradoxal. En vérité, il est dans la logique des choses d’une mondialisation qui se sent menacée et à laquelle il faut apporter un remède. L’annonce de l’augmentation de l’impôt des sociétés par le président Joe Biden a fait les titres d’une certaine presse. Avant le FMI et avant Biden, il y a eu l’homme le plus riche des Etats-Unis qui «suppléait» le fisc d’augmenter ses impôts. Pourquoi ? Simplement en homme intelligent, il voulait sauvegarder ses intérêts car, dit-il, c’est la seule façon d’éviter la reprise de la lutte des classes, vieille peur du spectre de la révolution. Ainsi, nous savons maintenant que cette idée d’augmentation des impôts était dans les tuyaux du Fonds monétaire international (FMI), cette «banque» des Etats évidemment dominée par les Américains. Pourquoi maintenant cette augmentation des impôts des sociétés par Joe Biden ?
Contrairement à Trump qui a baissé les impôts, Biden veut à la fois éviter «l’implosion» de son pays qui n’est plus une idée farfelue depuis l’incroyable invasion du Congrès américain. Nous verrons plus loin une autre raison, celle des milliers de milliards de dollars d’investissements publics aux Etats-Unis qui, conjuguée avec cette augmentation d’impôts, renforcerait les armes et les capacités de son pays à affronter une menace qui risque de détrôner les Etats-Unis de leur statut de gendarme du monde. Pour ceux qui n’ont pas la mémoire courte et habitués aux virements à 180 degrés du libéralisme, rappelons que la décision du FMI et de Biden est l’exacte posture inverse prise dans les années 80.
En ce temps-là régnait en Amérique le président Reagan et en Grande-Bretagne Thatcher, dite la Dame de fer. Ces deux petits soldats ont obéi aux chantres du libéralisme sauvage qui conseillaient de se débarrasser des industries «canards boiteux» de leur économie. Le sort de ces industries fut réglé à cette époque au profit du capitalisme financier de la mondialisation naissante. Les images de Détroit, capitale de l’automobile américaine, devenue ville fantôme et les villes ouvrières anglaises comme Liverpool ont symbolisé le lourd prix payé par les classes populaires de ces deux pays.
Ainsi, la décision d’augmenter les impôts des sociétés du FMI et de Biden risque de produire de fâcheuses conséquences dont le monde va cueillir les fruits pourris qui ressembleraient à la politique de Reagan et Thatcher. D’aucuns peuvent dire que la décision de Biden est le contraire de son lointain prédécesseur Reagan. Certes oui mais ça ne sort pas du périmètre clouté et «sacré» du capitalisme. On le voit déjà dans les shows télévisés où des «spécialistes» sont éblouis par les milliards de dollars tout en disant qu’ils vont profiter à la Bourse.
Nos spécialistes s’appuient sur l’augmentation des milliardaires dans le monde en cette période de coronavirus alors que des millions de gens sont sur les carreaux du chômage. Cette contradiction ne leur saute pas aux yeux car ils ronronnent à l’intérieur de leur système chéri et ne pensent nullement à sortir pour respirer un autre air moins pollué. Si Newton avait mangé la pomme qui tombait de l’arbre au lieu de réfléchir à la force d’attraction qui l’a fait tomber, on ne voyagerait pas en avion mais sur une charrette tirée par des bœufs.
En vérité, la décision de Biden sort des classiques de l’intervention de l’Etat théorisée par John Keynes qui prôna aux lendemains de la guerre des investissements publics pour absorber le chômage par la «fameuse loi» du ruissellement (1 dollar investi produira 2/3 dollars). Peut-être que cette loi de ruissellement produira quelque effet car les infrastructures publics aux Etats-Unis ont besoin d’être «modernisées». Quant aux augmentations des impôts des sociétés imposées aux 20 pays riches du G20, bonjour la patience et les coups fourrés des alliés pour échapper à ces injonctions. Ceux qui pensent que cette décision va passer comme une lettre à la poste oublient deux choses.
Ce n’est nullement sûr. La première raison, l’économie mondiale échappe quelque peu aux accords de Bretton Wood (1946) avec le dollar comme monnaie d’échange dans les transactions commerciales. La deuxième raison, il sera difficile d’obéir au désir fiévreux des Américains de former un front anti-Chine avec ces 20 pays riches qui sont moins obsédés par la Chine car ils ont leurs problèmes intérêts. Et c’est oublier surtout que la Chine ne va pas rester les bras croisés face à un Etat qui lui cherche des poux dans la tête. La Chine a déjà affaire à la politique des Etats-Unis, guerre commerciale et technologique. Elle se prépare depuis longtemps en évitant d’utiliser le dollar dans son commerce avec ses partenaires du Brics (1).
On apprend, du reste, qu’elle est en train de mettre en place une monnaie numérique pour se libérer du dollar et même le concurrencer. La monnaie numérique n’est pas une simple lubie propre à Facebook et autres Google qui sont, eux, à la merci des lois de leur propre pays. La Chine a plus de chance de réaliser ce projet audacieux d’autant que cette monnaie numérique s’adossera à sa puissance économique et technologique mais aussi ô ! paradoxe aux milliards de bons du Trésor américain que possède la Chine. Elle est, enfin, en train de construire sa route de soie, un réseau commercial sur terre et mer pour éviter tout aléa ou accident de la nature et des guerres (2).
Devant le nombre et la complexité des problèmes à résoudre, les Etats-Unis ne sont pas au bout de leur peine. Hélas, pour eux, jadis, la politique de la canonnière, c’est fini. Contre la Russie et la Chine, elle est obsolète et même folle, à moins de risquer sa propre sécurité. Que faire donc ? Là est le problème, that is the question. Avoir enfanter la mondialisation et la voir s’émanciper, c’est dur de l’admettre et plus difficile de la garder dans son giron. Car les adversaires d’aujourd’hui ne ressemblent pas à ses alliés européens que les Etats-Unis ont inondés de dollars du plan Marshall pour reconstruire l’après-Seconde Guerre mondiale. La Russie et la Chine, grâce à leur armure, tiennent en respect non seulement les cols blancs du FMI mais les GI’S qui jouent aux cow-boys dans des pays démunis des mêmes armes.
En guise de conclusion, la mondialisation est en train d’échapper à son créateur et, comme dans les contes ou la science-fiction, le «monstre» créé est sorti de sa cage et risque de se retourner contre son créateur. Ce qui est sûr, c’est que ce créateur a tout intérêt à changer de stratèges qui raisonnent comme à l’époque où une armée emportait «la victoire en chantant» (titre d’un film sur des Français vivant en Afrique alors colonisée). Plus sérieusement, tant que l’on veut ignorer l’identité du carburant qui fait fonctionner le moteur de la mondialisation, les stratèges du FMI iront de surprise en surprise. En rédigeant cet article me vient une phrase de Spinoza : «L’homme reste impuissant devant le temps.» Eh oui, Internet a rendu un grand service à la finance pour rendre invisible la circulation, de jour comme de nuit, de sa monnaie fétiche (3).
Mais la richesse matérielle qui nourrit et réchauffe les êtres, il est impossible de la cacher et de la faire circuler. Un simple accident d’un cargo sur le Canal de Suez fait baisser les cours des Bourses. Et une simple roquette dans le Golfe tirée par les Yéménites peut faire brûler ces milliards qui se sont amassés, paraît-il, dans les poches de nouveaux milliardaires. Donc, Messieurs les cols blancs du FMI, soyons moins arrogants avec le Temps, écoutez plutôt Spinoza !
A. A.
1- Brics : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, organisation de ces pays pour des relations économiques pour échapper aux dérèglements du commerce international.
2- La Chine acquiert des positions fortes, ports et aéroports dans différents pays et continents pour ses approvisionnements et ses exportations. Son dernier coup et exploit devait être le port de Haïfa. A l’avancement des pourparlers, Mike Pompeo débarqua à Tel-Aviv et fit «annuler» ce «contrat» au grand regret de Netanyahou, fidèle allié.
3- Ces milliards investis dans les structures publiques américaines vont être transférés en inflation dans le monde et ce ne sont pas les miettes distribuées aux «pauvres» qui vont contrebalancer les effets néfastes de l’inflation sur les classes populaires. Mais nos «spécialistes» s’en moquent dans la mesure où ces milliards circulent à l’abri de tout contrôle et jettent leur ancre dans des paradis fiscaux.
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