Le ministre de la Défense italien : «Aux côtés de la France en Libye et au Sahel !»
De Rome, Mourad Rouighi – Au terme d’un long périple qui le mena en Afrique puis à Paris, le ministre de la Défense italien, Lorenzo Guerini, a tenu à son retour à tracer les contours de la politique de son pays pour les années à venir et à énumérer les dossiers stratégiques au centre des choix de défense qu’il a lui-même qualifiés de vitaux et de cruciaux.
A Paris, c’est la collaboration entre l’Italie et la France au sujet de la Libye qui a dominé l’ordre du jour, les deux pays cherchant une approche commune face aux «intrus» turc et russe. Et cette relation entre Rome et Paris serait suffisamment solide et efficace pour envisager, selon le ministre italien, d’apporter une contribution significative à la crise libyenne.
De fait, Lorenzo Guerini a répété à plusieurs reprises qu’il s’agissait de la «priorité» de la politique étrangère italienne. «Le dossier, a-t-il souligné, a enregistré des développements positifs ces derniers mois ; des développements qui, toutefois, ne nous font pas oublier les menaces et les risques qui pèsent sur le processus de paix et face auxquels nous devons être prêts à répondre efficacement et conformément aux indications des institutions libyennes.»
Et si l’accent est mis sur la voie onusienne et sur le gouvernement d’Abdulhamid Dbeibah, résultant du Forum pour le dialogue et chargé de conduire le pays aux élections du 24 décembre prochain, tant Paris que Rome ont bien vu ce même Dbeibah se rendre avec une importante délégation à Ankara rencontrer Recep Tayyip Erdogan et sceller avec lui un pacte ouvrant aux Turcs une voie plus que préférentielle.
Une mission, nous dit un expert au fait du dossier, qui a dû refroidir les ardeurs de certains «amis» de la Libye, qui ont vite fait d’oublier que la Turquie fut le premier sponsor (y compris militaire) du gouvernement d’accord national de Fayez Al-Serraj et que son rôle fut déterminant pour arrêter les forces dirigées par Khalifa Haftar. Il était donc assez hasardeux d’envisager du jour au lendemain de l’exclure de la définition de la future structure du pays. Et Mario Draghi qui était à Tripoli la semaine dernière a probablement entendu sur place que la Turquie était là pour rester et que la petite phrase qualifiant Erdogan de dictateur n’était pas pour arranger les choses.
Cela dit, le rôle que l’Italie souhaite se voir reconnaître est le domaine de la défense, qui, selon le ministre Guerini, peut constituer un levier important pour le retour de l’influence italienne en Libye, et ce notamment en relançant les opérations de la mission Irini, actuellement sous le commandement de l’amiral Fabio Agostini.
Pour ce faire, et après le récent renouvellement de son mandat, l’Italie s’emploie à la doter de moyens adaptés à élargir son champ d’activités, en associant à l’embargo sur les armes la formation de la marine et des garde-côtes libyens. Paris pourrait peser sur ses alliés émiratis et saoudiens pour convaincre Joe Biden de l’importance d’un rééquilibrage des rapports de force en Libye et d’une plus grande attention à l’égard d’une région où les deux nations seraient appelées à jouer un rôle de premier plan.
Autre chapitre, celui tournant autour de la volonté déclarée de Mario Draghi, en rupture totale avec son prédécesseur Giuseppe Conte, de privilégier un axe italo-français, le choix peut-être le plus délicat pris par le nouveau Premier ministre, nous dit-on à Rome, compte tenu des tentations de cavalier seul de Paris sur le dossier libyen et de l’hostilité obsessionnelle d’Emmanuel Macron vis-à-vis du gouvernement du président Erdogan (accompagnée de ventes militaires à la Grèce) une position tranchée que ne partage pas Rome, de par ses relations apaisées avec Tripoli, Moscou, Téhéran et Bakou… toutes liées d’une manière ou d’une autre à de bons rapports avec Ankara.
Ces derniers mois, cependant, la France a semblé virer vers la recherche d’aide, dans un processus parallèle à la demande de soutien aux pays européens dans la conduite de sa propre guerre au Sahel. Et sur ce point précis, l’Italie a répondu positivement à l’invitation française, en rejoignant la mission Takuba (le premier contingent est récemment arrivé au Mali, sur un engagement prévu jusqu’à 400 soldats), l’opération qui vise à hausser le niveau dans la lutte contre le terrorisme djihadiste dans cette zone.
Pour l’armée italienne, il s’agit de faire d’une pierre deux coups, en offrant un support précieux à sa mission bilatérale au Niger où elle compte construire une base permanente à partir de juillet prochain.
Et à Rome, cet axe avec Paris est perçu comme un cheminement logique vers une plus grande action de l’armée italienne dans la région, ce qui lui permettra au passage d’accroître la capacité de l’Europe d’intervenir au Sahel et dans toute la ceinture sub-saharienne, de la Corne de l’Afrique au Golfe de Guinée, la mettant dans un système intégré menant tout droit à la stabilisation de la Libye. Et en voulant élargir le champ de vision, Paris, Rome et Berlin, dans le cadre de l’Union européenne, tentent dans un processus qui touche différents secteurs (de l’espace, au contre-terrorisme, en passant par le numérique et la cyber-sécurité) d’aboutir à une mouture commune de la réflexion stratégique dite «OTAN2030».
L’Italie souhaite y inclure une vision plus attentive à son «flanc sud», qui devrait trouver un terrain de coopération entre les deux armées et sur lequel Rome compte de plus en plus.
M. R.
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