Lettre au chef de l’Etat : «Djabelkhir lit le Coran avec les lunettes de son temps»
Par Nabil D. – Une pétition a été initiée par des universitaires, des moudjahidine, des journalistes, des écrivains et des scientifiques pour dénoncer la condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir à trois ans de prison et à une amende de 50 000 DA. «Ce que nous craignions est arrivé : Djabelkhir a été jugé sur des énoncés où la justice n’est pas supposée interférer tant ils dépassent ses compétences car il ne s’agit pas, là, d’une offense par un citoyen lambda mais d’une réflexion d’un penseur dont le but n’est pas d’offenser, ni de nuire à l’islam ni aux musulmans mais, au contraire, de les servir, éclairer, promouvoir et faire évoluer», soulignent les auteurs de la pétition.
«Nul ne peut mettre en doute que la mission première d’un islamologue, musulman croyant et pratiquant de surcroît, comme l’est Saïd Djabelkhir, est de servir l’islam, par l’ijtihad : c’est sur cette seule base de sa sincérité que la justice aurait dû trancher», font-ils remarquer, en ajoutant que «tout le reste, tout ce qu’il a dit ou écrit, la dépasse et dépasse n’importe quel autre théologien de la planète de quelque école islamique qu’il soit». Les auteurs du texte de la pétition expliquent que les énoncés de Djabelkhir «sont nouveaux et lui appartiennent en propre».
«Ce qui est reproché à Djabelkhir relève de la compétence de spécialistes en fiqh et en théologie. Et, là encore, les écoles s’opposent d’un courant religieux à un autre, que l’on soit chiite ou sunnite, ou encore malékite, hanbalite, hanafite, chafiite, etc.», soutiennent les auteurs de la pétition, pour lesquels «mettre une personne en prison pour ce supposé délit ne devrait pas être pensable, même en cas de ce qu’on appelle apostasie car la Constitution nationale est supposée garantir la liberté de culte et la liberté de pensée».
«Djabelkhir connaît parfaitement son domaine d’étude, l’islam, et c’est en tant que chercheur qu’il veut le faire avancer. L’Etat a payé ses études pour qu’il produise et non pas pour qu’il ressasse le connu. La théologie est une discipline où les musulmans ont excellé : or, aujourd’hui, on condamne un chercheur dont le but unique est de faire avancer l’islam, comme si on voulait que l’islam reste une religion sans pensée novatrice, donc figée et stagnante en Algérie», s’indignent les signataires, parmi lesquels la moudjahida Louisa Ighilahriz, le philosophe Mohamed Bouhamidi et l’économiste Abdeltif Rebah. «Condamner Djabelkhir, estiment-ils, c’est condamner l’ijtihad» et «c’est indigne du pays pour lequel des millions sont morts en luttant contre le colonialisme» et des dizaines de milliers «lors de la décennie noire dans la lutte contre l’hydre wahhabite».
«Djabelkhir lit le Coran avec les lunettes de son temps. Il a une compréhension non dogmatique de l’islam et l’interprète avec des arguments de l’esprit tel que le Coran l’exige du savant», lit-on dans la pétition, selon laquelle «le verdict qui le condamne à trois années de prison restera une tache indélébile dans notre histoire, et ses conséquences politiques ne font que commencer, vu l’ampleur que cela prend à l’échelle internationale». «Notre pays a suffisamment de problèmes pour lui ajouter une affaire d’inquisition digne du moyen-âge occidental, d’autant que certains attribuent au procès un caractère idéologique manifeste», ajoutent-ils, tout en considérant que «ce procès a entraîné la justice dans un terrain qui n’est pas le sien dans la mesure où un tribunal n’a pas vocation de juger les idées philosophiques, scientifiques, artistiques ou autres».
«Nous espérons que la liberté de culte, la liberté de pensée, la promotion du savoir et de la recherche dans tous les domaines sont encore des fondements de l’Etat algérien et nul ne peut les remettre en question», poursuivent les signataires qui appellent à une «justice sereine, à la hauteur des enjeux nationaux» et qui ne doit pas «interférer dans le domaine des sciences et des idées».
Aussi les pétitionnaires exhortent-ils le président Tebboune à agir pour la libération de Djabelkhir, en précisant que l’article 144 bis 2 dans le code pénal algérien (la loi 06-23 du 20 décembre 2006) «a induit une interprétation attentatoire aux droits humains les plus fondamentaux, à savoir la liberté de conviction dans notre pays». «Ce problème touche aujourd’hui un chercheur, mettant ainsi à nu les contradictions de cet article et les poursuites pénales observées avec la liberté de culte et de conscience, pourtant garantie par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par l’Algérie et reconnu par l’article 42 de la Constitution», concluent les auteurs de la pétition.
N. D.
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