Les contrats d’excellence et l’absence de mécanismes d’investissement minent le développement économique
Depuis l’avènement de l’ère du Hirak populaire et le soulèvement de la population contre l’ancien système accusé d’avoir ruiné l’économie du pays, l’Algérie nouvelle ne cesse de répéter à qui veut l’entendre qu’elle a de grandes ambitions en matière de renouveau industriel.
Mais la transition d’une économie de commandement à une économie d’initiative n’est assurément pas une tâche facile. Les rentes de situation, les habitudes héritées de l’ancien système constituent autant de contraintes qui retardent son avènement, notent les spécialistes les plus avertis.
Ils considèrent qu’au plan institutionnel les statuts et missions des nouveaux acteurs de la production foncière et urbaine devraient donc évoluer vers une logique entrepreneuriale (qui suppose une modernisation, une autonomie et une efficacité des structures de l’Etat). Cependant, des résistances à l’encontre du processus de libéralisation de l’économie nationale ont été exprimées par une fraction conservatrice au sein du sérail qui voudrait que l’Etat providence perdure.
En réalité, bon nombre de veilles recettes bureaucratiques complètement obsolètes et anachroniques régissent encore l’activité économique et notamment l’investissement. Celui-ci se trouve otage de certaines décisions politiques à même de faire tomber définitivement les barrières à l’investissement local et étranger.
C’est dans cette optique que l’expert international et conseiller en investissement industriel, Mohamed Sayoud, préconise un tour de vis supplémentaires dans les procédures de récupération du foncier industriel non exploité, qu’il juge insuffisantes.
En effet, des milliers d’hectares de terrains sont restés en jachère dans plusieurs wilayas, après que des pseudos opérateurs économiques les ont tout bonnement abandonnés après avoir pu contracter des crédits bancaires, qu’ils ont détournés de leur vocation originelle.
Pourtant, des organisations patronales, à l’image de la CAPC, ont été unanimes à souligner la portée et la nécessité de mettre un terme au phénomène de spéculation qui a pris de l’ampleur au détriment de l’investissement, à travers l’application de l’instruction du président de la République de récupérer toutes les assiettes foncières attribuées, mais non exploitées à ce jour.
Pour rappel, l’ex-ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali Braham, avant annoncé en janvier dernier devant les membres du Conseil de la nation, l’élaboration d’un projet de texte modifiant la loi 08-04 de 2008 relative au foncier industriel, visant la récupération des assiettes des zones industrielles, dont les propriétaires ont bénéficié d’actes de concession et qui sont toujours non exploitées.
Une démarche longtemps revendiquée par Mohamed Sayoud, qui estime, quant à lui, que l’Algérie accuse un retard de 50 ans en la matière, et qu’il faudra, en conséquence, travailler davantage et un rythme soutenu pour combler ce déficit économique. L’expert qui a évolué plus de 30 ans en Allemagne en tant qu’industriel pointe du doigt un phénomène étrange au sein de l’administration algérienne, consistant à ne pas appliquer, pour des raisons non évidentes, les orientations et les directives émanant des plus hautes instances de l’Etat. «Il doit y avoir des forces occultes qui veulent à tout prix entraver le développement économique en Algérie» s’interroge-t-il. Sayoud argue que la croissance économique dans le secteur de l’industrie doit s’articuler sur la baisse des importations, qui entraîne, de facto, une baisse de la demande sur les devises. «Le marché parallèle de la devise impacte négativement la volonté d’aller vers l’investissement productif», ajoute-t-il.
Sur le plan international, l’Algérie peine à améliorer son classement Doing Business depuis plusieurs années déjà, à cause de la détérioration du climat des affaires et une législation qui ne favorise pas la croissance des IDE, car elle est jugée trop «bureaucratique», voire «protectionniste» par beaucoup d’experts.
Et pour cause, la sacro-sainte règle dite du 51/49 qui régit l’investissement étranger depuis 2009 et amendée par l’article 50 de la loi de finances complémentaire LFC 2020, résiste, du moins sur le terrain, à l’autorité de la loi en vigueur et s’applique, de fait, dans de nombreux secteurs d’activité dont l’inertie et le marasme économique en portent les stigmates.
En effet, à ce jour, le Centre national du registre du commerce (CNRC), sous tutelle du ministère du Commerce, n’autorise pas encore les investisseurs étrangers à avoir un registre de commerce s’ils ne disposent pas d’un partenaire national, avance Mohamed Sayoud. «Nous ne comprenons pas les raisons de ces blocages malgré la révision de la loi et nous demandons la levée immédiate des barrières à l’entrée des IDE.»
Un véritable mur de Berlin se dresse face à l’investissement en Algérie
Pour Mohamed Sayoud, il n’y a pas de recette magique ! En l’absence d’un nouveau code de l’investissement, c’est la bureaucratie qui tire les ficelles. L’expert signale, à cet effet, que 40 000 à 50 000 dossiers ont été déposés auprès du comité d’assistance à la localisation et à la promotion des investissements et de la régulation du foncier, plus connu sous l’acronyme du Calpiref. Parmi les demandeurs, il y a d’anciens importateurs qui souhaitent réaliser des usines. «Ce n’est pas rien ! Imaginez que sera l’impact sur l’économie nationale si ces postulants à des terrains industriels obtiennent gain de cause. Maintenant, imaginez le contraire aussi. Il n’y a pas de secret. Il faut que l’expression ce n’est pas possible disparaisse du vocabulaire des administrateurs», ironise Sayoud.
L’importance du facteur «temps» n’est pas en reste ! Mohamed Sayoud s’étonne que le lancement d’une activité industrielle peut durer très longtemps, pour des raisons bureaucratiques, alors que l’entrée en production d’une entreprise devrait intervenir dans les 5 à 8 mois à compter de sa création. «Il faut que les autorités prennent à bras-le-corps la question du temps. Il s’agit d’un facteur primordial pour le développement économique du pays».
Dans un autre registre, l’expert relève un paradoxe, selon lequel l’investissement en dehors du cadre législatif trouverait un terrain fertile en Algérie. «Certains dysfonctionnements causés par des années d’inertie de la part de certains agents publics ont conduit à ce qu’un no man’s land prenne le relais en matière de production industrielle», s’indigne le patron du cabinet Invest Design. Et d’ajouter : «Au lieu de démissionner de leurs postes car ils ont échoué dans leur mission, certains responsables locaux s’obstinent à poursuivre leur entreprise destructrice des opportunités d’investissement.»
L’expert international propose, en guise de traitement d’attaque, le recours à l’universalité en matière de process industriels, en commençant par l’implémentation de zones industrielles clés-en-main, à même de proposer toutes les facilités à tout investisseur désireux de démarrer son projet dans perdre de temps. «Pourquoi ne pas opter pour la construction de zones industrielles clés-en-main avec des hangars prêts pour la location, comme c’est le cas de partout dans le monde afin que les opérateurs n’aient qu’à placer leurs machines ou lignes de production et démarrer leur activité sans perdre de temps avec les tracasseries des formalités/papiers/autorisations, etc. L’absence de telles infrastructures coûte énormément au pays», a-t-il regretté.
Enfin, Sayoud s’indigne contre le maintien des contrats d’excellence comme mécanisme d’accès au foncier industriel dans les secteurs de l’industrie, l’agriculture ou encore le tourisme, un maintien qui hypothèque durablement le décollage du développement économique, compte tenu du caractère obsolète de ce genre de stratégies.
R. E.
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